Portrait d’Herman Vanspringel, l’éternel sceptique et « Monsieur Bordeaux-Paris » décédé ce jeudi à 79 ans.
Ce mardi 14 août, Herman Vanspringel venait de fêter ses 79 ans. Enfin, fêter est sans doute un grand mot. Vanspringel n’a jamais été très exubérant. Même pendant sa carrière, il préférait rester dans l’ombre. Portrait d’un homme dont la carrière aura été marqué par sept victoire sur « Bordeaux-Paris » et le traumatisme d’un Tour de France perdu en 1968.
Voilà quatorze ans qu’ Herman Vanspringel est pensionné. Après sa carrière cycliste, il a travaillé comme représentant dans le secteur commercial. Le Campinois n’a pourtant jamais été un grand baratineur. Du moins, pas durant la période où il était coureur. Vanspringel était certes accessible, recevait les journalistes chez lui à Grobbendonk d’une manière toujours très conviviale, mais sa modestie légendaire l’empêchait de se lancer dans de grandes déclarations. Il préférait faire parler les pédales.
À la fin de sa carrière, Herman Vanspringel a étonné tous les journalistes en faisant une remarque curieuse : il leur a signalé que son nom ne s’écrivait pas en deux mots, comme tout le monde le pensait, mais en un mot. Van Springel est donc, du jour au lendemain, devenu Vanspringel. Cette précision tardive traduisait aussi sa modestie.
Le Campinois a toujours été trop gentil et trop conciliant. Il véhiculait cette image de bonne poire, il se comportait en victime consentante dont les gens voulaient profiter. Lors des négociations de contrat, il ne lui est jamais arrivé de poser une exigence. Ni pour ce qui est des équipiers, ni pour ce qui est du programme, ni pour ce qui est du salaire. C’est d’autant plus étonnant qu’il s’est bâti un palmarès qui n’a rien à envier à personne.
Cette tendance à se sous-estimer a longtemps poursuivi Vanspringel, le huitième d’une famille de dix enfants. Lorsqu’il a reçu des propositions d’équipes françaises, il les a directement rejetées. Il ne voyait ce que son aura pouvait apporter à ces formations. Le citoyen de Grobbendonk n’a jamais su se montrer convaincant, il croyait trop peu en lui. C’est lié à son passage chez les amateurs. Lors de différentes sélections, la fédération l’a snobé.
Vanspringel est devenu professionnel en 1966. C’est à Milan-Sanremo qu’il a pris, pour la première fois, conscience de ses possibilités. Sous le maillot de Mann, l’équipe dont il a défendu les couleurs durant six ans, il s’est échappé à moins de deux kilomètres de l’arrivée. L’Italien Adriano Durante l’a rattrapé. À 300 mètres de la banderole, il a tenté une nouvelle fois de lui fausser compagnie, mais Eddy Merckx l’a précédé. Trois jours plus tard, il a remporté Gand-Wevelgem.
Le traumatisme du Tour 1968
Toute la carrière d’Herman Vanspringel restera marquée par ce mémorable Tour de France 1968. Une période sombre qui l’a traumatisé : il portait le maillot jaune dans la dernière étape, mais au terme de l’ultime contre-la-montre, il n’a pu que constater qu’il avait été battu par Jan Janssen, son plus proche poursuivant au classement. Sur son terrain, qui plus est, dans une discipline dans laquelle il excellait.
Au départ, il craignait surtout Ferdinand Bracke, le troisième du classement, et pas tellement le Néerlandais. Avec ses qualités de rouleur, Vanspringel avait déjà remporté deux fois le Grand Prix des Nations, qui se courait encore sur une distance de 120 kilomètres à l’époque. Pendant ce fameux contre-la-montre de la Grande Boucle, force est de constater qu’il n’a jamais été informé des écarts. Explications de son directeur sportif François Cools : il ne serait jamais parvenu à se porter à ses côtés.
Finalement, Vanspringel a perdu le Tour pour 38 secondes. Le soir précédant la dernière étape, il avait signé une flopée de contrats pour des critériums. Après, les primes ont été réduites de moitié. Vanspringel a longtemps traîné cette défaite comme un boulet, même si en Belgique, celle-ci a déclenché une vague de sympathie et qu’il a été accueilli comme un vainqueur.
Une victoire aurait pu le libérer de tous ses doutes, et sa carrière aurait peut-être pris une autre dimension. On a dit et écrit beaucoup de choses à propos de cette défaite. On a avancé des théories vraisemblables, mais aussi d’autres qui l’étaient beaucoup moins et on a même avancé la théorie du complot.
Vanspringel les connaît toutes. Il n’a jamais voulu faire toute la clarté. Le Campinois a souvent revu Jan Janssen par la suite, ils sont souvent allés manger et pêcher ensemble, chacun avec leurs propres souvenirs. Un jour, un journaliste néerlandais a même réussi à réunir Vanspringel et Janssen sur le vélodrome de Vincennes, là où le drame s’est joué.
Un endroit qu’il aurait voulu effacer de sa mémoire. Plus tard, il n’a plus jamais reparlé de ce Tour. Herman a son idée, mais ce ne sont que des suppositions, justifie-t-il. Il ne voit dès lors pas pourquoi il devrait encore en parler.
Une gourde remplie de champagne
C’est pourtant durant cette année noire de 1968 que Vanspringel a disputé la meilleure saison de sa carrière : il a gagné Gand-Gand, a terminé deuxième de Paris-Roubaix et du Championnat du monde, et a triomphé au Tour de Lombardie. Il a foncé vers la ligne d’arrivée avec Eddy Merckx et Franco Bitossi.
À quatre kilomètres du finish, Vanspringel a attaqué, en spéculant sur l’effet de surprise. C’était sa spécialité. En outre, l’Anversois possédait un solide démarrage. S’il parvenait à creuser un écart de 20 mètres, on ne le revoyait plus. C’est aussi de cette manière qu’il a remporté Paris-Tours, une course qui, pourtant, ne lui convenait pas. Vanspringel a bien senti le moment où il devait accélérer, dans le final. De la pure intuition.
Pourtant, il ne se montrait pas toujours aussi malin. Pire : Herman était parfois considéré comme un coureur stupide. En cause : une erreur au Tour de France, lorsqu’il a laissé échapper une victoire d’étape en suivant les motos plutôt qu’en bifurquant vers la piste.
Malgré la tragédie du Tour 1968, Vanspringel est resté attiré par cette épreuve. Son directeur sportif François Cools ne le savait que trop bien : il arrivait toujours avec une nouvelle proposition de contrat. Et il faisait comprendre à Vanspringel qu’il ne disputerait pas le Tour s’il ne signait pas.
Ces » menaces » ont produit leur effet, d’autant que Vanspringel savait pertinemment que, sans le Tour de France, il ne signerait pas de juteux contrats pour les critériums. En outre, il se sentait comme un poisson dans l’eau au sein de l’équipe Mann, une bande de joyeux drilles.
Pourtant, Vanspringel a vécu d’autres drames durant le Tour de France. En 1969, il a remporté l’étape qui menait les coureurs à Briançon, alors qu’il n’avançait plus sur les pentes du Galibier. Un Flamand lui a alors présenté une gourde, qui contenait du… champagne. Vanspringel s’est directement senti mieux. Il a démarré et a gagné. À l’entraînement, il lui arrivait de s’arrêter pour ingurgiter deux trappistes. Il filait ensuite à la maison.
En vert jusqu’au bout
Vanspringel occupait la cinquième place de ce Tour 1969 lorsqu’il a lourdement chuté dans la descente d’un col. Il est resté au sol pendant quatre minutes, mais a repris ses esprits et est reparti à l’offensive. Le lendemain, la douleur l’a cloué au lit. Il a pleuré comme un enfant, ses équipiers pleuraient aussi. Cela traduisait l’amitié qui régnait au sein de l’équipe Mann. Ne pas disputer le Tour, c’était le pire qui pouvait lui arriver.
Comme en 1971, lorsque Vanspringel courait pour Molteni, l’équipe d’Eddy Merckx. Ce dernier a fait l’impasse sur le Tour d’Italie et Vanspringel a été intronisé leader au Giro. Avec ce que l’on peut appeler une équipe B, il a terminé deuxième, derrière le Suédois Gösta Pettersson.
Après cela, le Tour de France figurait aussi au programme. Vanspringel était Champion de Belgique et savait que, travailler pour un leader, ce n’était pas fait pour lui. Cela le privait d’une certaine liberté d’action. C’est la raison pour laquelle, durant cette période, il a signé un contrat en faveur de la nouvelle équipe allemande Rokado.
Les dirigeants de Molteni l’ont appris. Vanspringel a pu faire une croix sur le Tour de France. Merckx n’a rien pu y changer. Durant cette période, le Campinois a disputé cinq kermesses. Il les a remportées toutes les cinq, évacuant du même coup sa frustration.
Vanspringel a toujours évoqué le Tour de France avec nostalgie. Le contre-la-montre par équipes au terme duquel il a pris le maillot jaune, en 1968 à Bruxelles, notamment. Ou encore le Tour de 1973, lorsqu’il a de nouveau enfilé le maillot de leader au terme de l’étape qui menait les coureurs à Saint-Nicolas.
Un Tour durant lequel, vu les circonstances, il était aussi en lice pour le maillot vert. Un classement qu’il a d’ailleurs remporté, aussi curieux que cela puisse paraître car il n’osait jamais s’aventurer dans les sprints massifs. Il préférait rester en queue de peloton. Mais, cette année-là, il n’y a eu que trois sprints massifs.
Ce fut sa chance. Monter sur le podium, revêtu du maillot vert, cinq ans après son amère défaite, lui a procuré une sensation spéciale. Une jouissance. Tout comme parcourir la Belgique, revêtu du maillot jaune, lui a procuré une autre jouissance. Il avait l’impression que tout le pays était derrière lui.
Sept succès à Bordeaux-Paris
Herman Vanspringel a disputé 35 courses par étapes durant sa carrière. Il n’a abandonné que deux fois. Cela démontre son professionnalisme. Il était souvent un coureur solitaire, un puncheur invétéré. C’est dans Bordeaux-Paris, la course-marathon qui se disputait sur 600 kilomètres, que ses qualités s’exprimaient le mieux. Le Campinois a inscrit l’épreuve sept fois à son palmarès. Les coureurs, qui s’élançaient à l’aube, se trouvaient dans la peau des forçats de la route.
Bordeaux-Paris était taillé sur mesure pour Vanspringel. Il avait l’endurance nécessaire pour rouler pendant des heures. La course elle-même n’a jamais représenté un problème, au contraire de la préparation, lorsqu’il devait s’astreindre à des séances de 400 à 450 kilomètres. Durant la course, il devait surtout veiller à se constituer des réserves suffisantes pour contrer des attaques. Et à ne faire qu’un avec son entraîneur.
Sur ce plan-là, tout n’a pas toujours été parfait, et Monsieur Bordeaux-Paris a laissé échapper quelques victoires. En 1967, par exemple, lorsque son entraîneur a foncé aveuglément dans la pluie en poursuivant un échappé et a atterri dans une basse-cour. Vanspringel a terminé deuxième. Bordeaux-Paris lui a aussi permis de prolonger sa carrière jusqu’à 38 ans. C’est à cet âge qu’il a remporté l’épreuve pour la septième fois. On doutait pourtant fortement de ses chances.
Lorsque Vanspringel est vexé, son orgueil le pousse à répliquer et à donner le meilleur de lui-même. C’est la raison pour laquelle il considère sa victoire dans le Trophée Baracchi, disputé par équipes de deux coureurs en 1969, comme la plus belle de sa carrière. Herman était associé à l’espoir italien Davide Boifava. Il a pu se préparer deux semaines à cette course aux frais du sponsor de l’Italien.
Mais, deux jours avant la course, Vanspringel a appris qu’Eddy Merckx devait rouler avec Boifava car Roger Swerts, l’équipier du Bruxellois, était tombé malade. Joaquim Agostinho a été rappelé de vacances pour faire équipe avec Vanspringel. Il a été tellement vexé qu’avec le Portugais, il a renvoyé tout le monde à ses chères études.
Gimondi– Adorni et Merckx-Boifava ont terminé à plus de trois minutes. Un Vanspringel blessé dans son orgueil n’en est que plus dangereux. Mais il fallait aller loin pour le toucher au plus profond de lui-même.
Une course cycliste à son nom
Après sa carrière, Herman Vanspringel a disparu du monde du cyclisme. Il a profité de cet anonymat qu’en fait, il avait si longtemps recherché lorsqu’il était dans les pelotons. Il s’est rendu compte que, sur le plan financier, il n’avait pas retiré le maximum de sa carrière. Et qu’il ne pouvait donc pas être rentier. Vanspringel devait chercher du travail et a volontairement opté pour un job éloigné des pelotons.
Il a d’abord été représentant dans l’horeca, puis a travaillé dans la publicité, a fait des annonces pour un bureau d’architecte et a finalement abouti dans le secteur immobilier. Jusquà sa pension, il a dû se battre pour nouer les deux bouts. Malgré 16 années de souffrance.
Entre-temps, une course cycliste porte son nom. La Herman Vanspringels Diamonds est une épreuve pour jeunes coureurs. En avril de cette année, elle a été organisée pour la 27e fois. Un hommage a alors été rendu à Herman Vanspringel. 50 ans après ce Tour de triste mémoire et quelques mois avant qu’il ne fête son 75e anniversaire.
Et, lorsque le Tour a traversé le pays en 2011, il a été fait citoyen d’honneur de Grobbendonk. Un bel hommage, même si Vanspringel n’en demandait pas tant. Sa biographie, publiée 20 ans après sa retraite sportive, ne lui a pas procuré davantage d’émotions. Son titre était éloquent : » Le perdant victorieux «
Un drame familial
Une véritable tragédie a dominé la vie d’ Herman Vanspringel. En 1992, son fils de 18 ans est décédé d’une tumeur au cerveau. Vanspringel l’a trouvé dans le coma. Juste avant, ils s’étaient encore croisés dans l’escalier. Il n’avait jamais connu de problème avant cela.
Vanspringel n’a jamais vraiment digéré ce drame. Aujourd’hui encore, lorsqu’il en parle, il ne peut retenir ses larmes. En comparaison, la défaite au Tour de France 1968 paraît bien dérisoire.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici