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Greg Van Avermaet: « Remco Evenepoel a le désavantage d’être né en Belgique »

Greg Van Avermaet, jeune retraité, vivra le printemps des classiques en spectateur. L’occasion d’évoquer sa nouvelle vie, et surtout la mutation d’un peloton de plus en plus maniaque.

Non, Greg Van Avermaet n’a pas sombré dans la déprime au lendemain de son ultime course chez les professionnels, en octobre dernier. Il a participé à l’organisation de sa fête d’adieu à Termonde, s’est envolé vers le Pérou pour un séjour à vélo qui l’a emmené jusqu’à quatre mille mètres d’altitude («Une aventure, même si nous avons surtout dormi à l’hôtel»), est parti en vacances en Crète, a skié deux fois avec sa femme et ses deux enfants («Je n’avais pas le droit de le faire en tant que coureur»), a accepté de multiples invitations à des interviews, des soirées cyclistes, des foires, a participé et gagné un triathlon tout-terrain en Espagne et a continué à faire du vélo. Souvent. «Je ne me suis pas ennuyé un seul jour ces derniers mois. Au contraire, j’ai été plus occupé que lorsque j’étais cycliste», s’amuse-t-il.

Etre un bouche-trou du peloton pour une saison de plus n’aurait rien changé à ma carrière.

Avez-vous eu peur d’arrêter?

Van Avermaet : Oui. Je fais du sport depuis l’âge de 6 ans, et intensivement depuis l’âge de 12 ans (NDLR: il fut d’abord gardien de but au SK Beveren et n’a commencé le vélo que plus tard). Tout arrêter du jour au lendemain n’est donc pas bon pour le corps. Et puis, j’aime toujours le sport. Certains cyclistes ne veulent plus se fatiguer lorsqu’ils arrêtent leur carrière, ce n’est pas du tout mon cas. Si j’ai couru ou pédalé le matin, je me sens différent pour le reste de la journée.

D’ailleurs, vous vous êtes déjà fixé des objectifs sur le circuit gravel, ces parcours longue distance qui mêlent route et chemins en pleine nature: les championnats du monde et de Belgique, un certain nombre de courses dans les UCI Gravel World Series et les Gravel Earth Series…

Van Avermaet : Je ne vais pas y aller en tant que touriste, je veux y être performant. D’ici à l’année prochaine, je veux même constituer une équipe de deux ou trois spécialistes du gravel autour de moi. Reste à savoir si j’obtiendrai un budget, les discussions avec d’éventuels sponsors sont en cours. Je vois aussi cela comme une expérience d’apprentissage pour le cas où je me lancerais plus tard dans le management sportif.

Ce qui est remarquable, c’est qu’après une si longue carrière, vous voulez continuer à nourrir la bête de compétition qui sommeille en vous..

Van Avermaet : Je ne m’entraîne plus et je ne vis plus comme un athlète de haut niveau, sinon je serais resté coureur professionnel. Mais me connaissant, je redeviendrai tout aussi fanatique, voire plus, dans les semaines qui précéderont ces objectifs. L’esprit de compétition est en moi depuis l’enfance et ne disparaîtra jamais, je pense. Même lors de nos premières vacances à la neige cet hiver, j’étais sur les skis du matin au soir jusqu’à ce que je maîtrise. Ellen, ma femme, a dû me traîner hors des pistes pour prendre un café. (rires) La seule différence, c’est que la pression de la performance et de l’entraînement a disparu. Et par 5 °C et sous la pluie, je ne fais plus cinq heures de vélo. Le plaisir et l’aventure passent avant tout. Même si, dans une course de gravel, j’essaierai d’être le meilleur. Je garderai toujours ça. Lors de ma toute dernière course, Paris-Tours, je pensais que je pouvais encore gagner.

Qu’est-ce qui vous a décidé à arrêter?

Van Avermaet : C’était un choix de raison: être un «bouche-trou du peloton» pour une saison supplémentaire n’aurait rien ajouté à ma carrière. Si vous n’avez jamais été habitué à concourir avec les meilleurs coureurs, peut-être est-ce différent. Mais si vous ne pouvez plus être présent dans les grandes courses en tant que sportif de haut niveau, c’est frustrant. Le sentiment de pouvoir faire plus que les autres avait complètement disparu.

Quelle était la différence? L’âge, tout simplement?

Van Avermaet : J’ai toujours pensé que le fait d’être moins performant était principalement un problème mental, parce qu’à l’approche de la trentaine, on ne peut plus se résoudre à s’entraîner avec la même intensité. Je m’étais persuadé que ça ne m’arriverait pas. Ce qu’Alejandro Valverde pouvait faire, je pouvais le faire aussi (NDLR: l’Espagnol est devenu champion du monde en 2019 à 39 ans et s’est encore classé parmi les dix premiers dans les grandes courses à 42 ans). Malheureusement, la réalité a été différente: après ma vaccination contre le Covid en 2021, je n’ai plus jamais retrouvé mon meilleur niveau. Etait-ce la raison? Ou l’âge avancé? Une combinaison des deux? Je n’en sais rien.

Qu’est-ce qui vous a permis de dresser ce constat?

Van Avermaet : Dans mes meilleures années, ma grande force était de pouvoir attaquer dix fois en atteignant un seuil de puissance très élevé. Ces deux ou trois dernières années, j’y parvenais encore, mais seulement deux ou trois fois, car je ne récupérais plus aussi vite. Alors que j’avais l’habitude d’attaquer moi-même, je devais apprendre à subir la course et j’étais souvent trop loin dans les moments cruciaux. Ce qui est étrange, c’est que pour essayer de suivre le rythme, j’ai physiquement plus souffert ces deux dernières années que pendant toutes celles où j’ai roulé à l’avant. Je ne pouvais même plus déterminer le scénario de ma course. Lorsque je n’ai pas pu recommencer au printemps dernier, en partie à cause d’une grippe, j’ai fait le point avec ma femme pendant des vacances et j’ai pris ma décision: je pouvais être très fier de mon palmarès, j’avais gagné plus que ce dont j’aurais osé rêver en tant que jeune professionnel, c’était assez. Il était temps d’accorder plus d’attention à ma famille. Même lorsque, un mois plus tard, j’ai remporté ma première petite course en trois ans et demi (NDLR: les Boucles de l’Aulne, en France), je n’ai pas douté.

Le plaisir et l’aventure passent désormais avant tout pour le champion belge.
Le plaisir et l’aventure passent désormais avant tout pour le champion belge. © diego franssen

On parle souvent aujourd’hui du style de course offensif des meilleurs coureurs, mais vous avez également attaqué souvent et tôt. Parfois trop, selon certains.

Van Avermaet : J’ai toujours aimé les duels contre les meilleurs. C’est pourquoi, dès le début, j’essayais d’épuiser tout le monde et de forcer l’attaque décisive. Par rapport à la hiérarchie établie à l’époque, c’était aussi une manière de montrer que j’étais là. Malheureusement, de nombreux coureurs de haut niveau ne bougeaient pas, car ils couraient de manière beaucoup plus rationnelle qu’aujourd’hui. Je n’ai donc eu avec moi que des coureurs de seconde zone, j’ai roulé jusqu’à l’épuisement et j’ai échoué de peu dans la grande finale. Les gens m’ont alors parfois accusé d’être un coureur stupide. Après cela, j’ai attendu davantage et j’ai gagné plus, mais je remarque que Tadej Pogacar et Mathieu van der Poel attaquent très tôt. J’aurais aimé me mesurer à eux. Malheureusement, mon déclin a commencé trop tôt.

Le niveau des classiques est plus élevé que jamais, plus que lors de votre période de gloire.

Van Avermaet : Le cyclisme a énormément évolué, dans tous ses aspects. Aérodynamique, nutrition, entraînement, beaucoup plus d’entraînements en altitude: chaque détail est étudié et amélioré. Dans ce domaine, de nombreuses équipes doivent encore rattraper leur retard. Comme les coureurs aujourd’hui, j’ai toujours beaucoup mangé lors d’une classique, par exemple. Aujourd’hui, il est scientifiquement prouvé par toutes sortes d’applications qu’il faut consommer jusqu’à plus d’une centaine d’hydrates de carbone par heure. Pour moi, il n’y avait aucune connaissance derrière cela, c’était purement une question de feeling. Je n’ai jamais converti un effort en watts par kilo. Aujourd’hui, ils ne font pratiquement plus rien d’autre. Une autre raison importante de ce niveau plus élevé est que, depuis la pandémie de Covid, de nombreux jeunes d’une vingtaine d’années, voire de 19 ans, ont également percé. Bien plus que les coureurs de ma génération, ces jeunes s’entraînent déjà de manière très scientifique et obsessionnelle. Aujourd’hui, ils peuvent même apprendre des choses aux vétérans en matière d’entraînement ou de nutrition, et non l’inverse.

Ne tombent-ils pas parfois dans l’excès?

Van Avermaet : Chacun doit décider lui-même jusqu’où il veut aller. Certains trouvent aussi une certaine tranquillité d’esprit dans le fait de vivre de manière maniaque pour leur profession. Si tout va bien, c’est plus facile à supporter. Mais si l’année est moins bonne, le burnout guette. Si vous pesez sans cesse vos aliments au gramme près, vous risquez de vous demander «qu’est-ce que je fais?». Il faut rester professionnel, mais est-ce que ces gars pourront encore faire une carrière de 17 ans comme moi? Je m’entraînais aussi beaucoup, parfois à l’extrême, mais dans d’autres domaines, j’étais plus souple, notamment l’alimentation. Je préférais m’entraîner une heure de plus que de m’affamer. Surtout hors des périodes importantes de compétition, je ne laissais jamais le chocolat dans le placard. C’est de cette façon que j’ai pu maintenir, pendant dix-sept ans, l’équilibre et le plaisir.

Mathieu van der Poel a pris exemple sur vous à cet égard, a-t-il avoué dans un podcast.

Van Avermaet : Heureux de l’entendre (rires). Mathieu, mais aussi Tadej Pogacar, sont des exemples qui démontrent qu’on peut atteindre le sommet mondial de cette manière.

D’un autre côté, ils ont tellement de talent qu’ils peuvent se permettre d’être parfois un peu plus laxistes que des coureurs moins doués.

Van Avermaet : C’est vrai, mais j’ai aussi vu de nombreux coureurs dont j’étais convaincu qu’ils seraient plus performants s’ils se laissaient aller à un peu plus de décontraction. Il faut faire correctement les choses les plus importantes, mais en même temps ne pas se perdre dans trop d’analyses et de détails mentalement éprouvants. C’est une tâche capitale pour les entraîneurs.

Remco Evenepoel a avoué l’an dernier qu’il «ne tiendrait pas trois ans de plus à un rythme aussi infernal». Ce n’est pas une coïncidence s’il a récemment fait l’éloge d’une pause d’après-saison de cinq semaines «très agréable» au cours de laquelle il n’a pas eu peur de manger des hamburgers et des frites trois soirs d’affilée.

Van Avermaet : C’est exactement ce que je veux dire. Remco en a vraiment besoin, notamment parce qu’il se met beaucoup de pression sur les épaules. Il veut être le meilleur coureur du monde, gagner un jour le Tour de France. Il croit fermement que c’est possible, et c’est aussi sa force, mais il ne doit jamais perdre de vue la joie de pédaler, la raison pour laquelle tous les coureurs ont commencé. Remco a le désavantage d’être né dans le pays du cyclisme, la Belgique, et de devoir supporter la pression constante des médias et du public. Tadej Pogacar, en tant que Slovène, y échappe davantage, même si lui aussi est sous les feux de la rampe.

Wout van Aert n’échappe pas non plus au déluge d’opinions et de critiques. Vous avez eu votre part à l’époque, après une série de périodes moins fastes. D’après votre expérience, comment lui et Evenepoel doivent-ils gérer cette situation?

Van Avermaet : Le problème des meilleurs coureurs est qu’ils sont extrêmement exigeants envers eux-mêmes. Lorsque je suis arrivé deuxième ou troisième d’une course, j’étais le premier à me dire: «J’aurais dû faire ceci ou cela.» Vous pouvez accepter cette critique de vous-même, mais si une personne extérieure la formule trop durement et sans subtilité, elle est plus difficile à avaler. L’astuce consiste à distinguer les critiques fondées de celles qui sont exagérées et à en tirer une motivation. Quand certains ont écrit que je n’étais pas assez bon ou assez intelligent pour battre les meilleurs, j’ai toujours pensé que je leur prouverais le contraire. J’ai continué à travailler très dur jusqu’à ce que je réussisse, au Tour de Rodez (2015) et, surtout, à la course olympique sur route de Rio (2016). La satisfaction était d’autant plus grande que je l’avais fait principalement pour moi, pas pour les autres. Cela devrait toujours être votre principale motivation. Wout devrait aussi penser ainsi. Lorsqu’il gagnera enfin le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, il sera libéré de la pression oppressante et les grandes victoires suivront plus facilement. Je parle en connaissance de cause, je sais qu’on ne devient pas soudainement un meilleur coureur physiquement, on finit par entrer dans un flow qui permet de prendre la bonne décision à chaque fois pendant les courses. Van Aert ne doit pas céder à la panique et, surtout, il doit être fier de ce qu’il a déjà accompli. Deuxième du Tour des Flandres ou des Championnats du monde, ce sont des places pour lesquelles 95% des coureurs du peloton signeraient des deux mains. N’oubliez pas non plus ce qu’il a déjà montré et gagné au Tour de France. C’est presque trop fou pour être vrai. Ça vaut au moins autant qu’une victoire dans une classique.

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