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Entretien avec Mauri Vansevenant: « Notre ferme est l’endroit idéal »

Mauri Vansevenant n’a que 21 ans, mais tout ce que raconte ce fils de fermier de Torhout est teinté de bon sens et témoigne d’une grande maturité. Il se montre ambitieux tout en restant humble. Avant son départ pour le Tour du Pays Basque, nous avons confronté le jeune pro de Deceuninck – Quick-Step à cinq déclarations qui le concernent.

Son père Wim, Radio Bahamontes, février 2021: « Il ne peut pas se passer de notre ferme. Et c’est bien. Nous devons veiller à ce qu’il ne tombe pas dans le même piège que Tom Dumoulin. Mauri doit avoir une vie à côté du vélo. »

MAURI VANSEVENANT : « Mon père a toujours insisté sur ce point, et je suis entièrement d’accord avec lui. Je trouve très important de pouvoir penser à autre chose qu’au cyclisme. Lorsque tout va bien, comme c’est le cas actuellement, s’entraîner et souffrir ne représentent pas de grands sacrifices pour moi. Mais, dans des périodes plus compliquées, il faut pouvoir prendre du temps pour soi. Se changer les idées pour retrouver la motivation pour rouler à vélo.

Notre ferme est l’endroit idéal. J’apprécie énormément le silence, la nature qui s’éveille au printemps, les animaux dans les pâturages… Même lorsque je suis à vélo, je garde automatiquement un oeil sur la route et un autre sur les champs, je regarde comment travaillent les paysans. C’est un réflexe. Et le soir, au lieu de regarder la télévision, de jouer à la PlayStation ou de me connecter aux réseaux sociaux, je préfère passer mon temps dans mon potager, à m’occuper des légumes. Je surveille aussi les moutons. Même lorsque je suis à l’étranger, pour un entraînement ou une course, je contrôle sur mon téléphone si tout est en ordre grâce aux caméras installées dans l’étable. Je téléphone aussi tous les jours à mes parents, et la plupart du temps, nous parlons de la ferme. C’est toujours bien de pouvoir parler d’autre chose que de cyclisme.

Ne n’en déduisez pas que le cyclisme ne m’intéresse pas, mais sur le long terme, cet équilibre mental me sera utile pour ma carrière. Pour la même raison, je suis heureux d’avoir une petite amie, désormais. Surtout en ces temps de coronavirus, où l’on ne peut pas organiser de fêtes de famille, où l’on ne peut pas voir ses copains, où l’on doit rester dans sa bulle. Il faut trouver d’autres moyens de se détendre.

Le neurochirurgien de la clinique Sint-Jan de Bruges, au téléphone avec le père Wim Vansevenant, après la lourde chute de Mauri dans la classique des Alpes en 2017, chez les Juniors: « Si ces vertèbres bougent d’un seul millimètre, les poumons cessent de fonctionner, l’alimentation du cerveau en oxygène s’arrête et c’en est terminé. »

VANSEVENANT: Cette chute aurait pu être fatale… C’était la première fois que je courais en haute montagne, et j’avais très peu d’expérience dans les descentes. Je roulais seul en tête, mais j’ai mal évalué un virage et j’ai heurté de plein fouet la façade d’une maison. Résultat: poignet cassé, et deux vertèbres cervicales cassées (C1 et C2). Ça donne des frissons, lorsqu’on entend le diagnostic. Je suis resté deux semaines à l’hôpital et j’ai dû porter une minerve pendant dix semaines. Je suis heureux de pouvoir encore raconter tout ça…

À 18 ans, ça ne m’a pas trop perturbé, mais c’était quand même la première fois que j’ai pris conscience qu’il fallait profiter de tous les petits plaisirs de la vie. Et que le plus important c’était ma santé, et celle de mes proches. Tout le reste, même le cyclisme, est accessoire. J’en suis aujourd’hui totalement conscient.

Je me souviendrai toute ma vie de cette chute, mais ça ne m’empêche pas de me donner à fond. C’est aussi une question de chance. Je pourrais tout aussi bien tomber dans l’escalier. Après ma chute dans la Flèche Wallonne ( lorsque Vansevenant a également couru seul en tête dans le final l’an passé, ndlr), je n’ai pas non plus eu spécialement peur dans les descentes. Je n’ai pas resongé à mon accident dans la classique des Alpes. Ce sont les risques du métier et il faut l’accepter. On sait que tôt ou tard, on s’affalera un jour sur l’asphalte. Mais des images reviennent, évidemment. J’ai assisté en direct à la chute de mon équipier Fabio Jakobsen, au Tour de Pologne. J’ai immédiatement éteint mon poste de télévision, car je ne voulais pas revoir les ralentis. Après, j’ai suivi de près l’évolution de son état de santé, mais j’ai aussi essayé de détourner mes pensées en songeant aux beaux côtés du cyclisme.

Youri Bultynck, directeur sportif des Juniors, Krant van West-Vlaanderen, mars 2021: « Après sa chute dans la classique des Alpes, Mauri s’est entraîné sur un vélo pour dames. Quelqu’un devait le précéder sur la route et l’avertir du danger, car il ne pouvait pas encore regarder à gauche ou à droite. Mauri voulait absolument être prêt pour la Route des Géants. Il n’y est pas parvenu, mais il a follement encouragé ses équipiers tout au long de la course, dans la voiture suiveuse. C’est du Mauri tout craché. »

VANSEVENANT: J’ai hérité du caractère de mon père: il mord sur sa chique, ne baisse jamais les bras. Je donne le maximum dans tout ce que je fais. On n’a rien sans rien. Pour le reste, je suis un peu sur la réserve, légèrement introverti. Avec les journalistes, je suis relativement à l’aise, mais je ne me livre pas facilement à des inconnus. Et dans un nouveau groupe, j’attends d’abord que la glace se brise.

Lorsque j’ai appris à connaître les gens, cette timidité disparaît, et je n’hésite pas à faire entendre ma voix. C’est l’une des raisons pour lesquelles, après mon passage chez les Espoirs, je voulais devenir professionnel chez Deceuninck-Quick-Step. Je savais qu’il y régnait une ambiance familiale, avec beaucoup de Flandriens dans l’équipe et dans l’entourage. Je savais que ça me conviendrait mieux qu’une équipe étrangère où la langue véhiculaire est l’anglais ou le français. Pourtant, je m’entends bien avec les étrangers. Lors de la dernière Settimana Coppi e Bartali, j’étais même le seul Belge de l’équipe, à côté d’ Archbold, Honoré, Garrison et… Cavendish. Il n’y a eu aucun problème, mais il est vrai que je les connaissais depuis longtemps.

Lors des derniers stages de l’équipe, j’étais le plus souvent avec des Flamands: Yves Lampaert, Bert Van Lerberghe, Tim Declercq, Pieter Serry… J’ai même joué aux cartes avec Pieter et des membres du staff. Lors de mon premier camp d’entraînement, l’an passé, j’avais même amené un jeu. Et après quelques jours, il y avait même deux tables où l’on jouait aux cartes. C’est quand même plus agréable que lorsque tout le monde reste seul dans sa chambre, non?

Sven Vanthourenhout, Krant van West-Vlaanderen, mars 2021: « Mauri est l’exemple de ce qu’il faut faire: lorsqu’on passe pro, on a encore des étapes à franchir. Beaucoup les brûlent. »

VANSEVENANT: Mon père a beaucoup insisté là-dessus également: lorsqu’on est jeune, il ne faut pas trop s’entraîner. Chez les débutants et les Juniors, je n’ai jamais suivi de programme d’entraînement, et je n’ai jamais roulé avec un appareil qui mesure les wattages. Selon mon père, je devais d’abord écouter mon corps, sentir où se situaient mes limites. Et ça s’apprend au fil du temps. Chez les Juniors, je savais à quel moment je m’approchais de mon pic de forme: lorsque je pouvais rapidement retrouver le bon coup de pédale après un virage. Je ne me suis pourtant pas beaucoup entraîné ces années-là: je faisais un peu d’endurance le mercredi après-midi et je participais à des compétitions le week-end. 15 heures en tout au maximum.

Mauri Vansevenant s'impose le 7 mars au GP Industria & Artigianato, à Larciano (Italie). Il a devancé au sprint Bauke Mollema, Mikel Landa et Nairo Quintana.
Mauri Vansevenant s’impose le 7 mars au GP Industria & Artigianato, à Larciano (Italie). Il a devancé au sprint Bauke Mollema, Mikel Landa et Nairo Quintana.© GETTY

Je n’ai commencé à m’entraîner de manière structurée qu’à partir de ma première année chez les Espoirs ( 2018, ndlr), avec le coach Erwin Borgonjon de Belgian Cycling. À partir du moment où j’ai fait des tests dans les côtes ardennaises, les gens de la fédération, en particulier Carlo Bomans, m’ont très bien conseillé. Sans brûler les étapes, de sorte que ma marge de progression est encore conséquente. Je n’ai jamais fait très attention à mon alimentation, et je ne pèse pas tous mes repas, comme beaucoup de coureurs le font aujourd’hui. Mentalement, je ne supporterais pas de monter trois fois par jour sur la balance. Le principal, c’est de se sentir bien dans sa peau. Je n’ai pas besoin de beaucoup maigrir, je pèse actuellement 61 kilos, avec 7% de graisse. Durant l’été, je pourrais descendre à soixante kilos, mais pas plus bas. 59 ou 58 kilos, comme dans ma jeunesse, est à déconseiller. Je perdrais ma puissance. Ici aussi, le principal, c’est de garder un bon équilibre, comme dans la vie de tous les jours.

Si l’on se base sur le poids, je suis un pur grimpeur, très à l’aise dans les longues ascensions. J’ai beaucoup progressé dans ce domaine. En comparaison avec 2019, lorsque j’avais remporté le Giro della Valle d’Aosta ( une célèbre course à étapes en Italie, ndlr), je développe aujourd’hui vingt watts de plus sur vingt minutes. En moyenne 380 watts, comme lors du dernier Tour de Provence sur le Mont Ventoux ( où Vansevenant est passé en tête devant Julian Alaphilippe et a terminé huitième, ndlr). 6,2 watts par kilo, donc. Ce n’est pas rien ( Il rit).

Je ne deviendrai jamais un puncheur, capable de sprinter dans les côtes comme Julian Alaphilippe ou Primoz Roglic. Oui, dans le GP Industria & Artigianato, j’ai battu Bauke Mollema, Mikel Landa et Nairo Quintana au sprint, mais ceux-là sont de purs grimpeurs. Ce jour-là, j’ai gagné parce que j’étais le plus frais et que j’ai produit mon effort au bon moment. Mieux qu’au GP Laigueglia, lorsque j’ai été battu par Egan Bernal. Mais je ne vais pas pouvoir célébrer chaque année dix victoires de cette manière. Les premières années, viser un classement final dans un grand tour ne fera pas partie de mes objectifs non plus. Je ne suis pas encore assez fort dans le contre-la-montre et je dois aussi améliorer mon positionnement, surtout sur le plat. Même s’il est déjà bien meilleur qu’avant. En fin de saison dernière, j’ai pu me mettre en évidence dans une course propice aux coups de bordure comme Bruges-La Panne. J’ai appris à utiliser mes coudes. Et ma carrosserie est devenue plus solide, je ne tombe plus au moindre souffle ( Il rit).

Je n’ai pas encore les capacités physiques suffisantes pour briguer un rôle de leader. N’oubliez pas que je roule pour l’une des meilleures équipes du monde. Attention: je suis ambitieux, et j’ai très envie de me montrer, mais les premières années, je roulerai surtout au service de leaders comme Alaphilippe et Evenepoel, sans pression. De temps en temps, je pourrai tenter ma chance, dans une étape de montagne ou dans une « petite » course d’un jour, comme au GP Industria & Artigianato. Là, j’étais leader, oui. Dries Devenyns et James Knox m’ont protégé du vent au début de la course. Mais l’idée que je devais à tout prix gagner ne m’a jamais traversé l’esprit. Idem lorsque j’ai endossé le maillot de leader au Giro della Valle d’Aosta, chez les Espoirs. Les prochaines années, ce sera pareil: je ne me jaugerai pas sur base des victoires, mais surtout sur ma progression sur le plan physique. C’est de cette manière que j’ai tiré le meilleur de moi-même jusqu’ici.

Son père Wim, Het Laatste Nieuws, août 2019: « Mauri aura peut-être la chance de pouvoir réaliser une longue carrière, mais il y a aussi une vie après le cyclisme. Dès lors: laissons-le d’abord obtenir son diplôme en électromécanique, et après il pourra peut-être encore poursuivre ses études. »

VANSEVENANT: J’ai aujourd’hui terminé mes études, j’ai obtenu mon diplôme l’été dernier. J’ai consacré mon mémoire à un projet chez Ardo ( le plus grand producteur de légumes surgelés du monde, ndlr), où j’ai développé un système qui permet d’économiser et de réutiliser l’eau, qui deviendra de plus en plus chère. À cause du coronavirus, mon projet écrit n’a hélas pas encore pu être mis en pratique.

J’envisage toujours de poursuivre mes études plus tard, d’obtenir un Master d’ingénieur industriel. Mais ce sera pour après ma carrière cycliste. Avec le Covid, on peut uniquement suivre des cours en ligne et je ne suis pas du genre à passer des heures devant mon ordinateur. Ces dernières années, combiner les études et le cyclisme a été très éprouvant. Certains jours, je devais m’entraîner à 20 heures, après les cours. En hiver, lorsqu’il fait mauvais, ce n’est pas particulièrement agréable. Il m’arrivait de brosser certains cours et des amis me passaient leurs notes. Et j’ai réussi tous les examens.

J’ai mon diplôme en poche et j’en suis très heureux. Devenir cycliste professionnel est très difficile, mais le rester longtemps l’est encore plus. Il faut avoir quelque chose sous la main, pour le jour où ça s’arrête. Aujourd’hui, même si j’ai terminé mes études, j’ai encore envie d’apprendre. Je lis beaucoup sur les nouveaux matériaux utilisés en course, car lorsqu’on est pro, il faut pouvoir évoluer avec son temps. C’est tout un art. Si l’on n’évolue pas, on recule. Et moi, je veux progresser, même si je prends le temps qu’il faut pour ça. »

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