En stage avec l’équipe Lotto-Dstny: «La relégation du World Tour a été un choc positif, une bonne prise de conscience»
Un nouveau co-sponsor, un nouveau CEO, un nouveau département performances, neuf nouveaux coureurs et un nouveau programme après avoir dû quitter le WorldTour: l’équipe Lotto Dstny affiche un visage complètement différent. On a vécu deux jours avec ses champions et ses patrons lors d’un stage sur la Costa Blanca. Et une soirée sur fond de Macarena.
Pas une âme sur le parcours de golf. Une piscine encore vide sous les palmiers. Et quelques voix éparses dans la salle du petit-déjeuner. Il n’est pas encore huit heures du matin et ça ne vit pas vraiment à l’hôtel Mariott, un cinq étoiles proche de la cité balnéaire de Dénia.
Dans une des salles de conférence, un homme réveille sa musculature. C’est FlorianVermeersch. Il porte un maillot de la Juventus, au nom de Paulo Dybala. «Dommage qu’il ait changé de club.» Il s’échauffe en attendant le début d’une séance de stabilisation du torse avec le kiné, Geert Beirnaert. Qui nous explique: «Souvent, c’est Victor Campenaerts qui est le plus assidu. Mais aujourd’hui, la séance est facultative et il préfère travailler à la salle de muscu.»
L’ambiance est meilleure parce que certaines personnes que je ne citerai pas sont parties.» THOMAS DE GENDT, COUREUR
Sept autres des 24 pros de l’équipe se pointent au compte-gouttes et déroulent leur tapis de sol. «Les exercices de stabilisation du torse se pratiquent dans le milieu cycliste depuis une dizaine d’années», ajoute le kiné entre deux consignes aux coureurs. «On prévoit une séance tous les deux jours. Pour prévenir des blessures et aussi pour activer leurs muscles avant leur départ à l’entraînement. Un torse plus costaud permet de tirer une plus grande puissance du dos, par exemple dans les ascensions.»
Après une demi-heure d’exercices, les courageux de la première heure rejoignent leurs coéquipiers dans la salle du petit-déjeuner. Un entraînement longue durée est au programme, il est donc indispensable de stocker des calories. «Aujourd’hui, on va faire quatre groupes», détaille le coach, Jeroen Dingemans. «On a réparti les coureurs en fonction de leur wattage et de leurs tests aérobie. Dès le deuxième jour du stage, ils ont tout passé un test de 25 minutes. Si on mettait dans le même groupe un bon grimpeur comme Andreas Kron et un gars comme Florian Vermeersch, qui pèse vingt kilos de plus, il serait en permanence au-dessus de sa zone idéale dans les montées.»
Dingemans s’installe dans la voiture qui va suivre le deuxième groupe, comprenant notamment Vermeersch et Campenaerts. C’est le groupe des grosses cylindrées, des costauds, des hommes qui devront jouer un rôle en vue dans les classiques flamandes. Nikolas Maes prend le volant. Il sera le directeur sportif de l’équipe qui participera aux courses du printemps, ce n’est évidemment pas un hasard.
Dingemans poursuit ses explications: «Dans le passé, l’équipe organisait deux stages en hiver. Mais avec le team-building en novembre, un stage en décembre et un autre en janvier, la saison ne durait plus neuf mois, mais douze. Le département performances aurait voulu annuler le stage prévu en décembre 2021, mais John Lelangue n’avait pas voulu en entendre parler. Cette fois, on l’a supprimé. Finalement, 80% des coureurs ont fait leur propre préparation en décembre, en famille ou avec des amis. Le programme était plus léger et c’était une bonne chose. Ce changement leur a permis, et aussi aux personnes du staff, d’avoir un mois avec moins de pression. Et de recommencer l’année dans un meilleur état de fraîcheur.»
Bon, ça ne vaut pas le Borinage, mais c’est beau quand même.» SÉBASTIEN GRIGNARD, COUREUR
«Caleb Ewan est chaud»
L’itinéraire et la position des autres groupes s’affichent sur un écran dans la voiture, grâce à l’application VeloViewer. C’est Loïc Segaert qui a imaginé le trajet du jour: 134 bornes et trois grosses ascensions. Le frère aîné d’Alec, un des quatre coureurs du noyau U23 qui participent à ce stage, fait partie du nouveau trio de coaches de l’équipe, avec Dingemans et Sander Cordeel, ancien pro de Lotto. Leur arrivée a signifié la fin d’une collaboration structurelle de treize ans avec Energy Lab.
«En engageant des entraîneurs attitrés, on peut prendre des décisions beaucoup plus rapidement et être pro-actifs», lâche Maes qui combine les rôles de directeur sportif et de performancemanager. «Je suis ici depuis deux ans et c’est incroyable à quel point l’équipe a évolué. Si on parvient à garder la tête hors de l’eau et à prendre les points nécessaires au cours des trois prochaines années, je suis sûr qu’on a un bel avenir dans le WorldTour.»
Pendant qu’il nous explique ça, il reçoit une vidéo envoyée d’Australie. Caleb Ewan vient de remporter un critérium organisé avant le départ du Tour Down Under. Au sommet de la première ascension, les coureurs apprennent la nouvelle. Et ils ont tous la même question: «Cette course rapporte des points?» Réponse de Maes: «Non, mais ça confirme en tout cas que Caleb est chaud.»
Au même moment, l’autre fusée de l’équipe, Arnaud De Lie, contemple les paysages espagnols. Il est clairement sous le charme: «C’est beau hein ici…» Son coéquipier montois Sébastien Grignard fait dans l’ironie: «Bon, ça ne vaut pas le Borinage, mais c’est beau quand même.»
La jeunesse, l’enthousiasme, le caractère jouette d’Arnaud De Lie, vingt ans, font mouche dans l’équipe. «Avec ses boucles, son sourire espiègle et son néerlandais teinté d’accent français, il a tout pour plaire», continue Maes. «On voit aussi qu’il est fait pour être leader. Il est très poli, mais il ne va plus accepter aveuglément tout ce qu’on lui dit. Et c’est une très bonne chose.»
Prises d’urine et fioles envoyées à Gand
Sur la deuxième ascension du jour, on a une nouvelle preuve que la Costa Blanca est bien l’épicentre du cyclisme en ce mois de janvier. On y croise des coureurs des équipes Trek – Segafredo, Alpecin-Deceuninck, Intermarché – Circus – Wanty et Uno-X.
Les gars de Lotto Dstny travaillent les intervalles, comme sur la première ascension: trente secondes à bloc, puis le même temps de récupération, plusieurs fois d’affilée. Au sommet, Cédric Beullens assurance l’ambiance: «Tutti pazzi per Pirazzi.» L’équipe ne participera pas au Tour d’Italie, mais ça ne l’empêche pas de rappeler ce cri de guerre qui s’adressait autrefois à Stefano Pirazzi, lauréat du classement de la montagne il y a une dizaine d’années.
Vermeersch profite de la courte pause pour remplir un bidon d’urine. Tous les coureurs y passent et leur urine est conservée pour être analysée en laboratoire. Lotto collabore depuis peu avec l’université de Gand.
«On analyse l’urine, mais aussi la transpiration des coureurs», dit Dingemans. «Pour ça, on utilise des patches qui sont collés sur la peau. Le but est de corriger l’apport en sel pour chacun. Des premières analyses ont par exemple montré que Vermeersch et Campenaerts buvaient trop d’eau pendant leurs entraînements. Si vous buvez trop d’eau, la teneur en sel dans votre corps diminue, et votre corps essaie de compenser en vous faisant transpirer. Vous devrez beaucoup uriner, mais c’est mieux de perdre de l’eau via la transpiration parce que ça permet de faire baisser la température corporelle. Alors que l’urine est un liquide sans utilité. L’idéal est d’absorber la bonne quantité d’eau, avec la bonne proportion d’électrolytes, pour maintenir un bon niveau de transpiration et de teneur en sel. Ça permet aussi d’uriner moins.»
Je n’ai pas le droit de débarquer ici à la manière d’un bulldozer, c’est à moi à m’adapter à l’équipe.» STÉPHANE HEULOT, EX-PORTEUR DU MAILLOT JAUNE AU TOUR DE FRANCE ET NOUVEAU MANAGER GÉNÉRAL
L’équipe est en quête des fameux gains marginaux. On s’en rend à nouveau compte lors du ravitaillement organisé au sommet de la troisième ascension de la journée. Maes rassemble les emballages de gel vides des coureurs. «Depuis cette saison, on collabore avec un nouveau sponsor en nutrition, Precision Fuel & Hydratation. On part du principe que les coureurs ingurgitent trente grammes d’hydrates de carbone par gel, mais il en reste toujours un peu dans l’emballage. On va analyser les quantités restantes et ça nous permettra d’optimaliser les consignes en matière d’alimentation.»
De retour dans la voiture, Dingemans se félicite du niveau d’Arnaud De Lie et Florian Vemeersch. Dans la dernière ascension, le jeune phénomène wallon et le deuxième de Paris – Roubaix 2021 ont fait le show. «Et pourtant, cette montée n’était pas faite pour eux, pour leurs caractéristiques physiques.»
La journée est bien avancée quand les coureurs rentrent à l’hôtel. Ils prennent le lunch selon les horaires des Espagnols et ils ont pas mal grimpé. Ils passent ensuite au massage. Sept soigneurs sont sur place. Après cela, De Lie, Vermeersch, Campenaerts et une dizaine d’autres doivent encore participer à un shooting photos pour la Loterie Nationale. Sébastien Grignard, Frederik Frison et Pascal Eenkhoorn se relaient dans la chambre 205 pour un entretien avec le Français Stéphane Heulot, nouveau manager général de l’équipe.
L’ombre de John Lelangue… ou pas
Le lendemain, le successeur de John Lelangue s’exprime au cours d’un point presse qui a attiré une quinzaine de journalistes. Il explique qu’il passe du temps à discuter avec tous les coureurs et les membres du staff pour apprendre à les découvrir. «Je n’ai pas le droit de débarquer ici à la manière d’un bulldozer, c’est à moi à m’adapter à l’équipe. C’est pour ça que j’interroge tout le monde à propos de ses expériences et ses aspirations.»
Stéphane Heulot, ancien porteur du maillot jaune au Tour de France, est marié à une Flamande et vit en Belgique depuis une dizaine d’années. Il parle sur un ton posé. Son ambition est de positionner Lotto Dstny dans les deux meilleures équipes ProTeams au cours des trois prochaines saisons, puis de la ramener dans le giron du WorldTour. «Cette équipe a assez de qualités pour figurer autour de la douzième place au classement des meilleures formations du monde.»
Le nouveau patron reconnaît que la rétrogradation a provoqué un choc. «Mais un choc positif, une bonne prise de conscience de toutes les parties. J’ai été agréablement surpris par ce que j’ai trouvé. Et on a déjà beaucoup travaillé entre les deux saisons, notamment en matière de performances et de gains marginaux.»
Confronté pour la première fois à la presse, il est incapable d’énumérer des décisions concrètes qu’il aurait déjà prises lui-même: «Je ne suis officiellement en fonction que depuis le 2 janvier. De plus, le groupe de coureurs avait déjà été composé et le programme de courses avait été fait. Et au niveau budgétaire, la marge de manœuvre est limitée.» Ses explications laissent les journalistes présents sur leur faim. La première conclusion serait celle-ci: «Son discours est aussi creux que ceux de son prédécesseur.»
Dans l’équipe, par contre, les premières réactions sont plus optimistes. Face micro et off the record. Heulot est décrit comme un homme sensible et un people manager, «le profil dont l’équipe avait besoin.» On comprend aussi que l’ancien CEO ne manque à personne, ou presque. «John Lelangue nous écoutait, mais il ne nous entendait pas.» On lui reproche surtout d’avoir attendu la fin de l’année 2021 pour donner des explications sur le classement UCI. «S’il avait tiré la sonnette d’alarme plus tôt, on n’en serait jamais arrivés là.»
John Lelangue nous écoutait, mais il ne nous entendait pas.» UN TÉMOIN ANONYME
«On dit souvent qu’on a fait une mauvaise saison en 2022, parce qu’on a finalement été rétrogradés, mais ça a en fait été une de nos meilleures années», explique Thomas De Gendt. «On n’a pas fait grand-chose d’exceptionnel en WorldTour, mais c’était dû au fait que l’équipe se concentrait sur les plus petites courses, vu qu’il fallait prendre un maximum de points. On a gagné 25 courses et terminé à la quinzième place au ranking des équipes. Ce sont les années 2020 et 2021 qui nous ont coûté cher.»
De Gendt, qui en est à sa neuvième campagne chez Lotto, voit qu’un vent nouveau s’est levé. «En fait, ça a déjà commencé l’année passée. L’ambiance est meilleure. Il y a deux ans, c’était froid. Ce n’était pas toujours très agréable, même si ça dépendait des personnes avec lesquelles on était. Je parle aussi du staff. Je ne vais pas citer des noms, mais les personnes concernées ne sont plus là entre-temps.»
Caleb Ewan a aussi des longs états de service. Il entame sa cinquième année dans l’équipe. Depuis l’Australie, il discute par visio avec la presse présente en Espagne. Comment vit-il l’évolution au sein de cette formation? «Les départs de Herman Frison et Marc Sergeant il y a un an ont été un grand choc, mais pour le reste, je n’ai pas connu énormément de changements pendant ces quatre ans. C’est cette année que ça devrait changer avec un nouveau CEO et une approche plus professionnelle. Je pense qu’on va plus se soucier de détails scientifiques, le genre de choses qu’il faut absolument tenir à l’œil pour jouer un rôle en vue.»
De son côté, Florian Vermeersch pense que «tout le monde dans l’équipe se réjouit de la nouvelle collaboration avec l’université de Gand. Pour moi, c’est la preuve que l’équipe veut faire un pas en avant, au niveau purement scientifique. Les dernières années ont prouvé, dans d’autres équipes, qu’on n’avait plus aucune chance de briller si on ne faisait pas ça. Les gens de l’université qui travaillent maintenant avec nous ont déjà abordé plusieurs aspects: l’altitude, l’hydratation, la chaleur et d’autres choses. Ils sont en mesure de donner un feed-back très utile à nos coaches, nos nutritionnistes et nos médecins.»
Il confirme qu’un vent nouveau souffle sur l’équipe Lotto. «Vu la rétrogradation en fin de saison dernière, tout le monde a encore plus envie de se mettre en évidence, de faire ses preuves. On va montrer qu’on a notre place au plus haut niveau. Vu comme ça, notre perte du statut WorldTour est peut-être quelque chose de positif.»
Spectacle d’imitation avec Sagan, Museeuw, Lefevere et Lelangue…
Après les interviews des coureurs, des membres du staff, des invités et des sponsors, tout le monde se déplace vers une autre salle de l’hôtel pour la présentation officielle de l’équipe. On a droit à un show d’une quarantaine de minutes, parfaitement orchestré et retransmis en direct sur le web. Les 120 personnes présentes sont ensuite dirigées vers une dizaine de tables pour un menu quatre services qui aide à commencer la nouvelle saison sur les meilleures bases!
Et après ce festin, Frederik Frison accepte de dévoiler une fois encore ses dons d’imitateur. Il singe Peter Sagan, Johan Museeuw, Patrick Lefevere («Soudal est venu chez nous, mais l’équipe Lotto Dstny a fière allure») et pour finir, à la demande générale, John Lelangue («I am very happy with the new CEO.»)
Les convives n’ont pas encore terminé leur fondue au chocolat qu’un groupe musical lâche ses premiers accords et chauffe la salle. Sur les sons de la Macarena, les kiné Geert Beirnaert et le coureur néerlandais Pascal Eenkhoorn, champion de son pays sur route, sont les premiers à investir la piste de danse. «Eenkhoorn s’est très vite intégré à l’équipe», constate le manager sportif Kurt Van de Wouwer. «Déjà pendant le team-building, on avait l’impression qu’il était chez nous depuis des années.»
«C’est un ambianceur», confirme Nikolas Maes. «Il a le caractère et le tempérament qu’on recherchait. Dans notre équipe, les grimpeurs sont plutôt des gars introvertis. En l’engageant, on espère qu’il va un peu mettre le feu dès que la route s’élèvera.» De retour à sa table, Geert Beirnaert passe la dernière couche: «Je sais qu’on dit dans toutes les équipes que l’ambiance est bonne, mais chez nous, c’est plus qu’incontestable. Après une période compliquée, les bonnes vibrations sont de retour. Vous savez quoi? Demain matin, on commence la séance de stabilisation du torse sur l’air de la Macarena.»
«Il n’y a que le Tour d’Italie qui va me manquer»
Après la rétrogradation en deuxième division, les patrons de Lotto Dstny ont décidé de ne pas faire usage de leur droit automatique au départ de cinq courses du WorldTour, dont le Giro. Caleb Ewan, qui y a remporté cinq étapes, ne semble pas dépité. «Le fait de ne plus faire partie d’une équipe WorldTour ne change rien pour moi. S’il y avait eu plus d’opportunités pour les sprinteurs, ça m’ennuierait de ne pas aller au Tour d’Italie. Mais le parcours de cette année est trop dur à combiner avec le Tour de France. Ne pas aller en Italie, c’était déjà dans un coin de ma tête.»
Par contre, pour Thomas De Gendt, c’est un coup dur parce que cette course était l’un de ses objectifs prioritaires. «Je sais que je n’irai pas, j’ai tourné le bouton entre-temps et je vais essayer de gagner ma place dans le groupe qui ira au Tour de France.»
À 36 balais, le doyen de l’équipe comprend les choix du staff et de la direction qui ont décidé de ne pas se rendre au Tour Down Under, à la Cadel Evans Great Ocean Road Race, à Tirreno – Adriatico, au Tour du Pays basque et au Tour d’Italie. «Vous voulez savoir si c’est toujours l’équipe que j’avais en tête quand j’ai signé? Bien sûr. Ce n’est pas comme si on avait supprimé la moitié de notre programme WorldTour. Des cinq courses qui ont été rayées, le Giro est la seule qui va me manquer, mais je comprends la décision. Ce ne sont pas seulement trois semaines de course. Il y a un mois de préparation avant le départ, puis trois semaines de récupération après la dernière étape. Vous perdez donc huit coureurs pendant six ou sept semaines. C’est trop pour une équipe de 26 gars avec beaucoup de jeunes. Il vaut mieux rouler deux grands tours à fond que trois à moitié.»
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