Cyclo-cross: une nuit de boue au cœur de Diegem (reportage)
Condensé sportif et festif de la culture flamande, la discipline peine à conquérir un public moins régional. Prise de température à Diegem, au milieu de vingt mille spectateurs.
La succession des ronds-points pourrait en désorienter plus d’un. Pourtant, à quelques coups de volant du ring de Bruxelles, tout le monde semble précisément savoir où il va. A l’ombre des buildings du quartier d’affaires de Diegem, les rues se remplissent étrangement à une heure où les bureaux ont plutôt l’habitude d’être quittés. Il y a les voitures du coffre desquelles on extrait bonnets et bottes, puis les dizaines de cars d’où sort un public déjà réchauffé par l’ambiance et le houblon. Guidée par les bras des stewards, cette foule qui gonfle à chaque rue se faufile sans discrétion dans les rues résidentielles de l’est de la capitale, jusqu’à rejoindre la gare où les wagons déversent les derniers membres d’un public évalué à vingt mille personnes.
Même sur un parcours sec, les bottes permettent de se faufiler jusqu’aux meilleures places du parcours.
Disputée en nocturne, avec un feu vert lâché face aux grands fauves de la course masculine sur le coup de 20 h 45, la course de Diegem est l’un des événements les plus atypiques de la saison de cyclo-cross. Sportivement, elle n’est pourtant qu’une des huit manches du Superprestige, concours de régularité qui s’étale d’octobre à février et se dispute intégralement en Belgique. Une compétition relevée, mais pas aussi prisée que la Coupe du monde et ses quatorze manches bien plus internationales qu’accueillent les Etats-Unis, Benidorm ou encore l’Italie et l’Irlande. Toutefois, Diegem parvient à attirer deux des trois noms les plus convoités des organisateurs sur sa ligne de départ: chouchou du public belge et vainqueur l’an dernier, Wout van Aert passe son tour mais le Britannique Tom Pidcock et le champion du monde Mathieu van der Poel suffisent à susciter un engouement majuscule.
Le cyclo-cross, une ambiance à part
La hauteur des bâtiments diminue, la température augmente. Dans la rue perpendiculaire à l’entrée principale du site de la course, dessinée autour des installations du club de football de Diegem Sport, la playlist n’a rien à envier à l’ambiance typique des stades flamands, entre Links, Rechts et You’ll Never Walk Alone pour faire grimper l’ambiance. La course des juniors, débutée à 17 heures, semble moins intéressante que les basses qui sortent des baffles du Café Arbiter, où la large tonnelle déployée sur la devanture témoigne de l’ampleur prise par un événement qui remplira abondamment les caisses.
Prévues pour lutter contre un vent qui refroidit l’atmosphère dès que la foule s’éparpille, les vestes floquées de logos des clubs de Butsel ou Bierbeek finissent de compléter le tableau: football provincial et cyclo-cross n’ont pas que les terrains boueux d’hiver en commun, ils partagent également une bonne partie de leur public, complété le temps d’une heure dans les labourés par les passionnés de la discipline, startlist sur le smartphone et appareil photo autour du cou.
Considéré comme le sport de Flandre par excellence, le cyclo-cross attire de plus en plus de suiveurs
«Vous cherchez le chapiteau?»
Pour d’autres, la course ne semble être qu’un prétexte. «Vous cherchez le chapiteau? Il faut monter tout en haut», indique un spectateur, bonnet arc-en-ciel et sourire de champion du monde. C’est le coup d’envoi d’un slalom de sardines, longeant les trois kilomètres de ce parcours en serpentin tout en attendant à l’occasion le feu vert des signaleurs pour pouvoir traverser et poursuivre l’ascension. Dès que le drapeau jaune s’abaisse, les stewards devenus portiers libèrent une foule qui traverse à toute allure, entre deux concurrents d’une course espoirs où le peloton s’est largement étiré au fil des tours.
Entre les nombreuses variantes de flamand qui se font entendre autour du circuit, quelques francophones donnent à l’événement des sonorités moins néerlandophones. Considéré comme le sport de Flandre par excellence, le cyclo-cross attire de plus en plus de suiveurs venus du sud du pays, alléchés tant par la présence de grands noms du peloton que par la réputation d’une ambiance digne des kermesses estivales de Wallonie. «Ma compagne est en Espagne, donc on est venus tester l’ambiance avec des amis», sourit Pierre-Yves, prévoyant jusqu’aux bottes et lancé comme beaucoup dans la quête de ce fameux chapiteau.
La récompense est au bout d’un dernier passage sous le circuit, qui s’élève sur une structure artificielle pour rendre la course plus dure et la circulation du public plus douce. Sur les hauteurs du site, en bordure d’un terrain synthétique dont les abords ne tarderont pas à se changer en urinoir géant, les hamburgers coûtent sept euros, les bières presque quatre et un système de «Recycle Point» où le retour de chaque gobelet vaut cinquante centimes évite au sol de se joncher de déchets. Pas de doute, le véritable centre névralgique de l’événement est là.
Cyclo-cross, YouTube et placement
Comme s’il fallait permettre à certains de se donner bonne conscience, un écran géant installé au fond de l’immense chapiteau permet de suivre le départ de la course féminine, donné à 19 heures. Pas question d’entendre, toutefois, les présentations scandées par le speaker et relayées par les haut-parleurs disséminés le long du parcours. Ici, le son est entre les platines de DJ Benny, qui alterne avec une facilité déconcertante entre classiques de la chanson flamande et sons plus récents pour inciter la foule à lever les mains et les gobelets.
«On ne regardera pas la course d’ici, mais on va encore attendre un peu pour redescendre, ici c’est le meilleur endroit pour l’ambiance et on est surtout venus pour ça. Et pour voir Mathieu van der Poel, quand même», se marre Florian, bouteille d’eau plate à la main contrairement au reste de son groupe de Namurois car une nuit de travail à la surveillance du portique d’entrée d’un site sécurisé de la capitale l’attend dans la foulée de la course.
L’avant-dernier passage sur la ligne d’arrivée de la Néerlandaise Puck Pieterse, championne des Pays-Bas et intouchable meneuse de la course, est le signal d’un redescente massive vers le circuit. Certes, le départ de l’épreuve masculine n’est que dans une heure, mais ce sont deux autres courses qui démarrent: celle au meilleur spot pour suivre l’apothéose de la soirée et le Turbo Cross organisé par le Youtubeur Average Rob.
« Average Rob est un Youtubeur très connu »
La seconde nécessite quelques explications pour ceux qui n’ont pas travaillé en profondeur leur immersion dans la boue et la culture flamande. Bière à la main et chaussures blanches aux pieds, Gauthier est visiblement mieux préparé en théorie qu’en pratique, et rembobine le fil des événements: «Average Rob est un Youtubeur très connu, principalement en Flandre où il est devenu ce qu’on appelle un «BV» (NDLR: Bekende Vlaming, soit Flamand connu). Il avait à cœur de mettre le cyclo-cross en lumière et s’est arrangé avec les organisateurs du cross de Diegem pour mettre sur pied une course entre non- professionnels.»
Au départ, on trouve le sélectionneur belge de cyclisme et ancien crossman Sven Vanthourenhout, qui donne évidemment la leçon aux rois des réseaux sociaux que sont Average Rob, Acid ou Arno The Kid, mais aussi à l’ancien Diable Rouge Jelle Van Damme. Le créneau libre entre 20 heures et 20 h 45, qui permet à la VRT de diffuser son incontournable série Thuis sans rien perdre de la course masculine, permet l’organisation de ce cross parallèle officialisé par Average Rob à la mi-décembre. Le spectacle est au rendez-vous, avec bières affonnées et chutes hilarantes, et le public se régale derrière les barrières ou les écrans, faisant même sauter le streaming diffusé par la VRT sur son site Internet.
La course amateurs organisée par le Youtubeur Average Rob? Une tentative de médiatiser la discipline au-delà du sérail flamand.
Le champion et le Costaricain
Au départ de la dernière course de la soirée, le public semble avoir terminé la sienne. La ruée vers les meilleures places offre enfin à ceux qui ont opté pour les bottes de tirer leur épingle du jeu sur un parcours sec en grande partie. Il ne faut effectivement pas avoir peur de s’embourber pour se faufiler jusqu’au pied des escaliers qui mènent du parc à la route et font office de dernier obstacle avant la ligne d’arrivée. L’amas des photographes et la présence d’un cameraman confirment la pertinence du choix.
Lampe frontale intégrée au bonnet et foulée de joggeur pour grimper du pied des escaliers au portique final, Augustin valide l’endroit, en habitué des lieux: «Le seul inconvénient, c’est qu’on ne voit pas l’un des écrans géants qui permettent de suivre la course, mais si vous comprenez le flamand, le speaker est très complet. Et puis, une fois que Mathieu van der Poel aura accéléré, il y en aura partout et on verra passer des coureurs sans arrêt.»
Cyclo-cross: à la fin, c’est (toujours) Mathieu qui gagne
L’attaque annoncée de l’invincible Batave se produit à la mi-parcours, et chacun de ses passages suscite une clameur inégalée, même quand Eli Iserbyt et Tom Pidcock jouent des coudes pour la deuxième place. Seul l’étonnant Costaricain Felipe Nystrom parvient à rivaliser aux décibels, après les péripéties de l’avant-veille sur le cross de Gavere où il a gêné Mathieu van der Poel en prenant une photo avec les spectateurs, lui qui a visiblement bien compris le concept de l’ambiance inhérente au cyclo-cross. D’abord honteux et proche de quitter le circuit hivernal pour retourner au pays, le coureur des Amériques a été convaincu de rester en Europe par Van der Poel en personne, et régale une nouvelle fois un public flamand qui raffole de ces héros qui deviennent presque des bêtes de foire.
En surclassement et sans la moindre surprise, Mathieu van der Poel s’impose. Pour lui, la suite sera déjà le lendemain à Loenhout, pour un autre cyclo-cross. Pour tous ceux qui s’étaient massés de l’autre côté des barrières pour saluer son triomphe, le programme impose plutôt de remonter jusqu’à un chapiteau désormais plein à craquer. Même à 22 h 30, quand les bars cessent de servir des bières. C’est l’heure du dernier choix: rester et se remplir les tympans, ou quitter le site pour se combler le gosier. Pour ceux qui optent pour la deuxième solution, le Café Arbiter n’a pas encore terminé sa soirée. Les baffles envoient désormais Zaragoza et Valencia, comme si penser aux vacances du prochain été sur la Costa del Sol permettait de mieux combattre un vent toujours plus piquant. Une playlist qui n’atteint même pas les dix titres, une sono qui tourne en rond: quoi de mieux pour se préparer à quitter la parenthèse diegemoise pour retourner dans les ronds-points?
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