Cyclisme: Remco Evenepoel et Dylan van Baarle : les vilains petits canards parmi les favoris au titre mondial
Beaucoup d’entraînement et peu de jours de compétition. Voici le fil conducteur de la préparation des principaux prétendants au titre mondial masculin, dimanche à Wollongong. Remco Evenepoel et Dylan van Baarle ont eux choisi d’autres voies pour tenter de décrocher l’arc-en-ciel.
Wout van Aert effectuera son 48e jour de course ce dimanche à Wollongong. Après son maillot vert au Tour de France, il n’a même pris part qu’à quatre courses d’un jour. Son total de kilomètres en compétition cette saison n’est « que » de 8088. Le coureur, qui vient de prolonger jusqu’en 2026 chez Jumbo-Visma, n’arrive qu’à la 512e place du classement du kilométrage établi par Procyclingstats.com.
En-dessous de van Aert, à la 584e place, avec 7623 kilomètres de compétition en 2022, l’on retrouve Mathieu van der Poel. Le Néerlandais ne compte cependant que 46 jours de compétition à son actif. Après son abandon au Tour de France, MvdP n’a disputé que quatre courses, dont deux kermesses.
Un peu plus haut dans ce classement au-dessus du grand favori belge, à 482e place, avec 8295 kilomètres de course roulés en 2022 : Tadej Pogacar. Le Slovène a réparti ses bornes en compétition sur 50 jours, dont cinq seulement après sa deuxième place sur le Tour.
Biniam Girmay a roulé 8919 kilomètres en compétition cette année. Cela représente 53 jours de course et une 387e place au classement. Il a épinglé plus de dossards que les trois coureurs cités précédemment, à savoir 11.
Avec 55 jours de course et 9372 kilomètres de compétition dans les jambes, Michael Matthews, le favori australien à domicile à Wollongong, occupe la 310e place du classement de Procyclingstats.com. Bling n’a connu que 5 jours de compétition depuis le Tour de France lors duquel il avait remporté un bouquet d’étape.
Le point commun entre les saisons de ces cinq favoris pour le championnat du monde en ligne de ce dimanche ? Aucun ne dépasse la barre des 55 jours de course. En comparaison, au cours des 25 dernières années, à peine deux champions du monde ont compté moins de jours de course avant de revêtir le maillot arc-en-ciel : Mario Cipollini à Zolder, en 2002 avec 53. Et surtout, l’inimitable Oscar Freire avec 34 et… 13 ( !) jours de course, lors de ses sacres de 2001 et de 1999.
Cette autre statistique en dit long sur la frugalité du menu de compétition que de nombreux coureurs du top ont mis dans leur assiette ces jours-ci. En se concentrant davantage sur l’entraînement spécifique et l’entraînement en altitude, ils tentent d’être plus frais pour les plus grands rendez-vous de la saison comme les Monuments, les grands tours et les championnats du monde. Même si ces grands objectifs sont répartis sur l’ensemble d’une saison.
Combinaison Vuelta/Mondiaux
Les préparations mentionnées ci-dessus contrastent avec celle d’un autre des favoris de la course sur route : Remco Evenepoel. Cependant, la Vuelta était son objectif principal de la saison avant ces Mondiaux. Le Brabançon avait terminé six autres courses par étapes au cours du premier semestre 2022 et il se présente en Australie avec 10581 kilomètres dans les jambes, répartis sur 66 jours de course.
Le coureur de Quick-Step n’a pas mis la fraîcheur à l’ordre du jour, alors que c’était son mot de code en vue de la Vuelta. Il ne sera pas aussi frais que les autres favoris mentionnés plus haut.
Disputer trois semaines de course pour décrocher un bon classement dans la Vuelta n’est pas non (plus) considéré comme la préparation idéale en vue de Mondiaux, qui sont désormais disputés à peine deux ou trois semaines plus tôt. Les rares présences à Wollongong d’autres coureurs ayant terminé dans les 25 premiers de la Vuelta en est d’ailleurs une belle preuve. Ils ne sont en effet que cinq en dehors d’Evenepoel : João Almeida (cinquième à Madrid), Ben O’Connor (huitième), Jai Hindley (dixième), Jan Polanc (onzième) et Sergio Higuita (vingt-troisième). Notons dans cette liste, la présence de deux Australiens qui vont donc avoir l’occasion de courir devant leur public. Auraient-ils fait de même si le championnat du monde s’était disputé ailleurs sur un parcours similaire ?
En effet, si peu de spécialistes de courses à étapes ont combiné la Vuelta et le championnat du monde, c’est en grande partie à cause du terrain proposé à Wollongong. Après tout, ce dernier convient davantage aux coureurs de classiques qu’aux grimpeurs, malgré ses 4000 mètres de dénivelé positif. Il ne faut pas non plus oublier l’impact de la lutte pour éviter la relégation en WorldTour : Alejandro Valverde (12ème du Tour d’Espagne) a été contraint de rester à la maison pour sauver l’avenir de son équipe Movistar qui compte sur ses derniers coupsde pédale à l’automne afin d’amasser le plus de points possibles.
Et que dire de ceux qui sortent d’une Vuelta anonyme
Si Van Aert et la grande majorité de ses rivaux ont limité leurs jours et leurs kilomètres de compétition, il y a aussi des coureurs tout-terrain ne visant pas spécialement un bon classement général qui se sont alignés sur le grand tour espagnol. Ceux qui sont aussi présents en Australie peuvent aussi être comptés sur deux mains : Ethan Hayter, Ben Turner, Bob Jungels, Dylan van Baarle, Fred Wright, Nelson Oliveira, Marc Soler et le champion du monde en titre Julian Alaphilippe. Ce dernier avait besoin d’accumuler les kilomètres de compétition après sa très lourde chute à Liège-Bastogne-Liège.
Ce n’était pas un facteur le plus important pour les Jungels, Van Baarle, Wright, Oliveira et Soler qu’ils sortaient déjà du Tour de France, qu’ils n’avaient pas tous terminé. Leur façon de courir sur ce Tour d’Espagne fut aussi très différent. Alors que Wright et Soler se sont affrontés à plusieurs reprises pour une victoire d’étape (avec succès pour l’Espagnol), Jungels (déjà vainqueur d’une étape du Tour) et Van Baarle ont roulé dans l’anonymat pendant trois semaines. Le Luxembourgeois s’est immiscé qu’une seule fois dans l’échappée, alors que la meilleure place du Néerlandais lors d’une étape était la 10ème (à la 19e qui était une de transition remportée Mads Pedersen).
(Ancienne) recette testée et éprouvée
La préparation de tous ces hommes est donc diamétralement opposée à celle des grands favoris, mais au cours de la première décennie de ce siècle, elle avait invariablement constitué la recette gagnante d’un titre mondial. En effet, de 2001 à 2010, le champion du monde sortait à chaque fois du Tour d’Espagne, même si de nombreux coureurs planifiaient leur abandon avant la dernière semaine . Neuf fois sur dix, le champion du monde de cette époque n’avait pas rallié l’arrivée à Madrid, afin de prendre un peu de repos avant l’échéance mondiale.
La seule exception à cette règle a été Cadel Evans. En 2009, l’unique vainqueur australien du Tour de France était monté sur le podium de la Vuelta (3e), avant de revêtir la tunique irisée à Mendrisio. Le parcours suisse était cependant particulièrement exigeant avec de nombreuses belles montées et un dénivelé positif total de 4600 mètres.
Au cours des 10 années suivantes (à l’exception de l’atypique saison 2020, où la Vuelta a été programmée après les Mondiaux), le Tour d’Espagne n’a plus été le chemin assuré vers la médaille d’or et le maillot arc-en-ciel.
Seuls trois lauréats sont passés par la péninsule avant de monter sur la plus haute marche du podium : Philippe Gilbert en 2012 (qui avait remporté ses deux premières victoires de la saison en Espagne), Peter Sagan en 2015 (il avait abandonné après huit étapes suite à une collision avec une moto) et Alejandro Valverde en 2018 (bon pour deux victoires d’étape et une cinquième place au classement général).
Dans le cas de ce dernier, il faut aussi rappeler que l’édition de son championnat du monde victorieux se tenait à Innsbruck, dans le Tyrol autrichien. C’est le parcours qui proposait le plus de dénivelé positif depuis longtemps avec 4700 mètres au programme. Les nombreuses ascensions distillées au cours des trois semaines de Vuelta avaient donc leur utilité comme ce fut le cas lors du sacre d’Evans à Mendrisio qu’on évoquait un peu plus haut.
La théorie de la fraîcheur
Mais à Wollongong, il y a une réelle chance que la fraîcheur avec laquelle arriveront au départ les Pogacar, Van der Poel et Van Aert leur confère un avantage décisif dans la dernière ligne droite sur Mount Pleasant, au terme d’une bataille longue de six heures.
Mais peut-être aussi à Dylan van Baarle ou Bob Jungels si l’on tient compte du fait qu’ils ont plus couru le Tour d’Espagne comme un entraînement intensif.
Le Luxembourgeois, lauréat de Liège-Bastogne-Liège en 2018 et le baroudeur néerlandais, qui a gagné le pavé de Paris-Roubaix cette année, rêvent déjà à voix haute d’un sacre en Australie. L’an dernier, van Baarle avait même accroché l’argent autour de son cou après avoir terminé derrière Alaphilippe à Louvain. Il était d’ailleurs le seul membre du top 5 de cette édition à être passé par l’Espagne pour peaufiner sa condition.
Notons quand même que le futur coéquipier de Wout van Aert chez Jumbo avait quitté la Vuelta après 18 étapes, suite à une chute sur la hanche. Le délai entre la fin du grand tour espagnol et la course en ligne du championnat du monde était aussi plus long puisqu’il était de trois semaines, soit une de plus que cette année. Enfin, la Belgique était aussi plus proche, là où il faut encaisser de nombreuses heures d’avion et un gros décalage horaire pour se rendre à Wollongong.
Un doublé unique
Pour Remco Evenepoel, l’équation s’est encore compliquée avec sa participation au contre-la-montre dimanche dernier. Le Brabançon ne s’y est pas ménagé, décrochant d’ailleurs la médaille de bronze. Selon ses dires, il a réalisé ses meilleures valeurs sur ce type de parcours.
Cet effort supplémentaire sera-t-il pénalisant ce dimanche ou pourra-t-il encore secouer le cocotier et jouer la gagne lors de la course en ligne ? Si d’aventure, Evenepoel venait à lever les bras sur la dernière ligne droite à Mount Pleasant, les théories de la fraîcheur nécessaire pour décrocher l’or voleraient totalement en éclat.
On le rappelle, dans ce cas, le natif de Schepdaal réaliserait un doublé unique, en devenant le premier vainqueur de la Vuelta (depuis le déplacement de la course d’août à septembre en 1995) à remporter également le titre mondial sur route. Il serait même le premier vainqueur d’un grand tour et médaillé d’or aux Mondiaux depuis 1989, année où Greg LeMond avait endossé le maillot jaune pour 8 secondes avant de revêtir le maillot arc-en-ciel quelques semaines plus tard. Petit clin d’oeil à l’histoire ou non, l’Américain était le dernier coureur à s’être imposé sur une épreuve de trois semaines au sein d’une équipe belge avant Remco Evenepoel cette année en Espagne.
Ce dernier ne serait aussi que le quatrième coureur de l’histoire à cumuler ce doublé avec une victoire dans un Monument. Les trois précédents ? Bernard Hinault en 1980 (Liège-Bastogne-Liège, Giro, CM), évidemment Eddy Merckx en 1971 (Milan-Sanremo, Liège-Bastogne-Liège, Tour de Lombardie, Tour et CM) et Ercole Baldini en 1927 (Tour de Lombardie, Giro et CM).
L’exploit serait d’autant plus grand qu’Evenepoel risque de manquer d’explosivité sur un parcours particulièrement taillé pour les « puncheurs » explosifs. Le vainqueur de la Vuelta a aussi expliqué qu’il pesait trois kilos de moins (de muscules) que lors de son coup de force au sommmet de la Redoute qui lui avait permis de s’offrir Liège-Bastogne-Liège.
Il manque surtout clairement de fraîcheur par rapport à Tadej Pogacar, Wout van Aert et co. La tendance récente à la diminution du nombre de kilomètres de compétition qui mène à une victoire sur grand objectif a tendance à se confirmer. Il suffit de repenser au succès de van Aert sur le circuit Het Nieuwsblad, alors qu’il n’avait pas un jour de course dans les jambes.
Mais voilà, le jeune homme de 22 ans, originaire de Schepdaal, a montré à plusieurs reprises que la logique cycliste ne s’appliquait pas forcément à lui.
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