
Cyclisme: comment RTL a chahuté le règne de la RTBF sur les droits télé
RTL Belgium sort d’un printemps cycliste chargé, après avoir diffusé pour la première fois des courses jusque-là chasse gardée de la RTBF. Coulisses d’une bataille de droits télé qui ne fait que commencer.
Pas de Rodrigo Beenkens pour accompagner Mathieu van der Poel vers son triomphe à Harelbeke, ou Tadej Pogacar sur la route d’un deuxième sacre sur la «reine des Flandres». Pour la première fois, la quinzaine de courses cyclistes regroupées sous le label «Flanders Classics» a été diffusée par RTL Belgium.
Du jamais-vu pour la chaîne francophone privée du pays, qui doit cette entrée fracassante dans le monde du cyclisme à un partenariat conclu voici deux ans avec Infront Sports. Si l’accord avec ce géant de la distribution de droits télé a fait couler beaucoup d’encre, RTL semble aujourd’hui passer le grand braquet du paysage audiovisuel du vélo.
L’épopée cycliste de la chaîne a commencé en 2023 avec la diffusion de six étapes du Giro, rendue possible par un partenariat avec le groupe américain Warner Bros. Discovery (WBD). A l’époque, le service Sports du média privé avait déjà donné le ton puisque la même année –en décembre– il annonçait l’acquisition des droits de diffusion des Flanders Classics. Un package qui comprend une quinzaine de courses, notamment Gand-Wevelgem, le Tour des Flandres et l’Amstel Gold Race. Ce bouquet avait jusqu’alors toujours été couvert par le service public. «C’était un sacré défi, d’une autre ampleur et d’un autre prestige vu les courses qui composent le package», déclare Vincenzo Ciuro, directeur de RTL sports, qui a vu son service s’accroître considérablement avec des arrivées notoires. «On avait déjà une base avec Mathieu Istace, Maxime Monfort et Kévin Van Melsen, mais il fallait franchir un palier. Avec Philippe Gilbert et Frédéric Amorison comme recrues, on ne pouvait pas espérer mieux.»
RTL a sorti la grosse artillerie. Les téléspectateurs ont pu s’en rendre compte dès le Circuit Nieuwsblad, première classique belge de la saison, avec le retour des plateaux d’avant et d’après-course. Ce bonus qui se faisait de plus en plus rare sur la chaîne concurrente a été combiné avec l’arrivée à l’antenne de l’émission Dans le peloton, présentée par Gordon De Winter. «A partir du moment où on décide de se positionner sur ce genre de contenu, on doit proposer un traitement de très haute qualité, avance Vincenzo Ciuro. Pour cela, il faut avoir la meilleure équipe possible et être irréprochable éditorialement. On se différencie par le commentaire à trois et les plateaux. De mémoire de téléspectateur et d’amateur de vélo, il faut remonter au siècle dernier pour voir cela sur les courses flandriennes.»
«La RTBF nous reproche d’utiliser une procédure qu’elle a elle-même utilisée non-stop par le passé.»
La RTBF piégée par inattention
Cette acquisition des droits télé en cyclisme n’est pas du goût du service public. Jusqu’ici en solitaire, la RTBF doit maintenant partager l’échappée avec la chaîne concurrente dans sa roue. Une procédure judiciaire contestant la légalité de la vente sans appel d’offres avait d’ailleurs été lancée à l’encontre d’Infront Sports, en charge de la vente des droits télé des classiques flandriennes. Le service des sports de la RTBF se plaignait de n’avoir pu proposer une offre convenable. La justice a tranché en décembre dernier en faveur de RTL Belgium…
Dans le domaine des droits sportifs, la vente de gré à gré est monnaie courante. Tous les droits ne passent pas systématiquement par des appels d’offres: certains sont vendus directement (vente de gré à gré), d’autres par l’Union européenne de radio-télévision (UER), marché exclusivement réservé aux chaînes publiques, comme les JO ou le Tour de France. A nos sollicitations, Benoit Delhauteur, directeur des sports à la RTBF, répond: «On se concentre sur nos courses, nous avons une belle offre et comme à chaque saison, nous amenons des nouveautés.» Le renforcement du suivi des courses féminines, l’arrivée de Cameron Vandenbroucke (fille de Frank) dans l’équipe éditoriale ou l’acquisition d’étapes de courses comme le Tour de Catalogne sont certes à signaler, mais ne remplacent pas un monument de l’ampleur du Tour des Flandres. Au sein même de la rédaction des sports de la RTBF, certains s’étonnent que le service public ait perdu l’un de ses piliers éditoriaux, qui plus est avec des courses disputées essentiellement sur le sol belge, en s’étant positionné en parallèle sur des contenus comme la diffusion de matchs de la NBA.
Pour une source proche de la RTBF, la perte de ce monopole sur le cyclisme viendrait d’une forme d’excès de confiance. Qui allait contester le maillot jaune de celle qui, ancrée depuis toujours dans le monde du cyclisme, connaissait parfaitement la procédure à suivre, les prix, et reproduisait un schéma qui fonctionnait depuis des années? «La RTBF nous reproche d’utiliser une procédure qu’elle a elle-même utilisée non-stop par le passé, s’étonne Vincenzo Ciuro. Quand on a beaucoup de droits à gérer, parfois on perd un peu la notion du temps ou on d’autres dossiers sur le feu. Et puis, on se fait doubler. C’est le jeu et il faut l’accepter. RTL a aussi perdu des droits par le passé, comme le MotoGP.»
Le Tour chez RTL?
Au terme de «sa» saison des classiques, conclue par l’Amstel Gold Race, on s’interroge déjà sur les ambitions futures de la chaîne privée. Le contrat avec Flanders Classics est désormais dans la poche jusqu’en 2028. Qu’en est-il d’Amaury Sport Organisation (ASO), organisatrice entre autres du Tour de France, Liège-Bastogne-Liège et Paris-Roubaix? Pourrait-on voir un jour l’événement sportif annuel le plus suivi de la planète sur les antennes de RTL?
«Si demain, on peut diffuser d’autres courses, on étudiera la chose et, potentiellement, on se positionnera. Il y a des contraintes comme le budget à respecter, mais on reste ambitieux», note le directeur des sports de RTL. Il faudra cependant attendre pour éventuellement voir la «Grande Boucle» changer de diffuseur. Arrivé à échéance cette année, le contrat de partenariat entre ASO et l’UER a été renouvelé jusqu’en 2030. «Ce n’est pas demain qu’on verra le Tour de France sur RTL, tempère donc Vincenzo Ciuro. Mais peut-être qu’un jour…»
Le nouvel acteur majeur du cyclisme à la télévision se montre cependant ambitieux: «Je suis partisan d’un rééquilibrage des contenus et des retransmissions en direct, ajoute le directeur des sports. Notre ambition est d’arriver à du 70-30. Mais pas à du 50-50. Il faut rester réaliste. On ne reçoit pas une dotation de plus de 400 millions d’euros par an…»
RTL sports est peut-être encore un novice des pelotons, mais son leader maîtrise déjà l’art de l’attaque qui brûle les jambes adverses.
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