Comment Wout van Aert a géré la malédiction du maillot tricolore (mais cette malédiction s’est aussi retournée contre lui)
Aucun coureur dans l’ère moderne n’a autant brillé sous la tunique de champion de Belgique que Wout van Aert. Malheureusement pour lui, la malédiction du maillot tricolore s’est parfois retournée contre lui. Retour sur la riche année noire-jaune-rouge d’un WVA qui rendra son bien, dimanche, à Middelkerke.
Pendant deux jours, Wout Van Aert n’a pas posté de sorties d’entraînement sur Strava, un réseau social dont il est adepte depuis de nombreuses années. Ses fans se sont inquiétés. Est-ce que quelque chose clochait avec le champion de Belgique ?
Leurs craintes se sont avérées fondées puisque le lendemain, son équipe Jumbo-Visma annonçait qu’il ferait l’impasse sur le championnat de Belgique de Middelkerke, dimanche, pour se reposer après un accident survenu lors du stage à Tignes, dans les Alpes françaises. Le genou de WVA aurait tapé le guidon et pour ne pas mettre en péril san participation au Tour de France, il a préféré faire l’impasse sur une épreuve dont il est le tenant du titre.
Un forfait que le Campinois semblait regretter, lui qui avait pour objectif de prolonger son titre de champion de Belgique et devenir le premier coureur à le faire depuis Tom Steels (en 1997 et 98). Il pouvait aussi prolonger sa fameuse « North Sea Series », à savoir des victoires obtenues sur la côte belge. Lors des cinq championnats nationaux disputés dans la région, Van Aert a levé les bras à chaque reprise. Il en a remporté trois dans les labourés (ou plutôt les dunes) à Ostende (2017), Coxyde (2018) et Middelkerke, au début de cette année. Il a aussi été champion de Belgique du contre-la-montre à deux reprises: Middelkerke en 2019 et Coxyde en 2020.
Cette « blessure » au genou (certains évoquent qu’il aurait surtout peur d’une contamination au coronavirus à quelques jours du départ du Tour de France, alors qu’il a déjà loupé le Tour des Flandres pour la même raison) va donc faire de lui le deuxième coureur à ne pas pouvoir défendre son titre national au XXIe siècle.
L’autre coureur qui avait connu pareille situation est Tom Boonen. Il avait manqué cette course, mais aussi le Tour de France et les Championnats du monde en 2010, après de lourdes chutes dans les Tours de Californie et de Suisse.
Van Aert n’a pas été épargné par la poisse malgré une année assez riche en victoire puisqu’il avait dû renoncer à son grand objectif du printemps, le Tour des Flandres, à cause d’une infection au coronavirus.
La malédiction du maillot noir-jaune-rouge
C’est ainsi que l’homme d’Herentals a dû faire face à la fameuse malédiction du maillot tricolore. La même que celle qui frappe souvent les porteurs de l’arc-en-ciel. Nombreux sont les champions du monde qui ont connu une combinaison de maladies, d’accidents, de défaillances physiques, de problèmes mécaniques, de pression accrue ou de perte de condition après un hiver où ils ont dû enchaîner les célébrations.
Il en va de même pour le tricolore national, avec des cas souvent dramatiques. Sept anciens champions de Belgique sont décédés prématurément de manière tragique. Souvent des coureurs pour qui le titre national était le point d’orgue de leur carrière. L’exemple le plus connu est celui de Paul Haghedooren, le champion de Belgique de 1985. Il va mourir douze ans plus tard, à seulement 38 ans, d’une crise cardiaque pendant son jogging dans les dunes.
La chute de Wilfried Nelissen à Gand-Wevelgem
D’autres ont été impliquéz dans des affaires de dopage l’année où ils ont enfilé la tunique noire-jaune-rouge. Souvenez-vous de l’affaire « de la poire » urinaire de Michel Pollentier et de l’affaire du Synachtène retrouvé dans les analyses de Ludo Dierckxsens lors du Tour 1999. Ils ont certes gagné une ou plusieurs étapes (trois pour le premier et à Saint-Etienne pour le second) sur le Tour, mais pour de nombreux anciens champions de Belgique, la grand messe de juillet a souvent tourné au calvaire.
Il y a eu les chutes, la plus emblématique, étant celle de Wilfried Nelissen, à Gand-Wevelgem en 1995. Il avait heurté un poteau en bois et sa rotule avait été fracturée. Il souffrait aussi d’une double fracture ouverte du mollet et de la cuisse. Cela a marqué la fin de carrière du Limbourgeois, alors qu’il était à peine âgé de 28 ans.
Des succès marquants en noir-jaune-rouge pour Van Aert
Les couleurs nationales ont cependant aussi porté chance à Wout van Aert qui a remporté quelques beaux succès dans son maillot distinctif: trois victoires d’étapes historiques sur trois terrains différents lors du dernier Tour, quatre étapes et une victoire finale sur le Tour de Grande-Bretagne, et ces derniers mois, il s’est offert des bouquets sur les contre-la-montre de Paris-Nice et du Criterium du Dauphiné, après être aussi monté sur la plus haute marche du podium au Circuit Het Nieuwsblad et au GP de l’E3, à Harelbeke. Les places d’honneur ont aussi été nombreuses à l’image de ses podiums dans les Monuments d’avril que sont Paris-Roubaix (deuxième) et Liège-Bastogne-Liège (troisième).
Après sa médaille d’argent à Tokyo sur la course en ligne remportée par Richard Caparaz, Van Aert a également décroché, sur ses terres, la médaille d’argent aux Championnats du monde de contre-la-montre, même s’il était déçu sur le moment et qu’il n’a pas pu enfiler le maillot arc-en-ciel le dimanche suivant.
On peut dès alors affirmer sans trop risquer de se tromper qu’aucun champion de Belgique en titre au 21e siècle n’a obtenu autant de beaux résultats en brillant tant en automne qu’au printemps. Et encore, on ne mentionne même pas ses neuf victoires en cyclo-cross, elles aussi obtenues en tant que champion national en titre. Et qu’il portera encore ce maillot pour la prochaine campagne hivernale dans les labourés.
Gilbert, Devolder, Steels ont fait briller les couleurs nationales
Parmi les autres porteurs du maillot tricolore qui ont marqué les esprits ces 22 dernières années, l’on pense inévitablement à Philippe Gilbert, vainqueur sur le circuit des Lac de l’Eau d’Heure. Après ce titre, il s’était imposé, pendant le printemps 2019, lors des Trois jours de La Panne, du Tour des Flandres et de l’Amstel Gold Race. Ses premières semaines dans la tunique noire-jaune-rouge, lors de l’automne 2018, avaient plus anodines avec seulement quelques places d’honneur.
En 2011, c’était en revanche tout le contraire. Sous le maillot tricolore, le Wallon remporte directement une victoire d’étape et enfile le tricot jaune du Tour au sommet du Mont des Alouettes. Après cela, il s’offre la Clásica San Sebastián, le GP Québec, le GP de Wallonie, une étape à l’EnecoTour et le titre national dans le contre-la-montre. Phil’ est d’ailleurs le dernier à avoir réaliser ce doublé course en ligne et chrono dans l’histoire du championnat de Belgique.
Après un transfert chez BMC, le Remoucastrien connaît un printemps pourri où il apparaît comme l’ombre de lui-même: pas une seule victoire. La malédiction du maillot tricolore semblait l’avoir rattrapé.
Entre 2007 et 2008, Stijn Devolder aurait quasiment pu vivre une année aussi riche que Van Aert. Après son titre, il s’impose sur le Tour d’Autriche et porte pendant une journée le maillot de leader de la Vuelta. Lors du printemps suivant, il gagne au Tour d’Algarve, puis sur le Tour des Flandres pour conclure avec un succès sur le Tour de Belgique.
Tom Steels a remporté quatre étapes pendant le Tour de France de 1998 et lors du printemps 1999, il a remporté plusieurs étapes dans des petits tours et a surtout levé les bras en vainqueur sur Gand-Wevelgem.
Johan Museeuw est même devenu champion du monde à Lugano en 1996, quelques mois après son titre belge. Mais le printemps 1997 n’a pas été aussi brillant, malgré ses victoires sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne, les Trois Jours de La Panne et les Quatre Jours de Dunkerque. Le citoyen de Gistel a accumulé les déboires sur les Monuments d’avril, combinant les malédictions de deux maillots distinctifs en même temps. En 1993, Museeuw avait par contre gagné « A travers la Belgique » et le Tour des Flandres, paré de son beau maillot noir-jaune-rouge. Il avait aussi décroché quelques places d’honneur sur le précédent Tour de France. Dans les deux cas, il n’a en tout cas pas été en mesure de livrer une année aussi complète que le Van Aert version 2021-22.
Il faut remonter à Vanderaerden pour trouver trace d’une année complète riche de succès
Le dernier coureur à avoir obtenu d’excellents résultats sur une année entière est Eric Vanderaerden lors de la campagne en tricolore de 1984 à 85. Il avait combiné qualité et quantité puisqu’il s’était adjugé deux étapes du Tour et Paris-Bruxelles avant d’enchaîner avec un printemps qui le verra triompher au Tour de la Méditerranée et aux Trois Jours de La Panne. Il s’offrira aussi des bouquets d’étape à Tirreno-Adriatico et au Tour de Suisse. Enfin, sur les classiques, il s’offrira le Tour du Limbourg, Gand-Wevelgem et sans doute l’une des éditions les plus épiques du Tour des Flandres, disputée dans des conditions météorologiques épouvantables.
Sans une infection à la Covid et une « blessure » au genou, peut-être que Wout Van Aert aurait encore pu étoffer son palmarès dans le maillot tricolore. Preuve que même quand elle n’est pas totale, la malédiction du noir-jaune-rouge peut parfois jouer quelques tours pendables.
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