Comment Remco Evenepoel est-il devenu une référence dans le contre-la-montre

Après l’argent et le bronze lors des deux dernières éditions des championnats du monde de contre-la-montre, Remco Evenepoel veut enfin accorcher la médaille d’or autour de son cou ce dimanche à Wollongong. Même s’il ne devait pas enfiler le maillot arc-en-ciel, le jeune homme de 22 ans originaire de Schepdaal peut déjà revendiquer un titre : celui du meilleur jeune dans le cyclisme moderne sur les épreuves chronométrées. Voici comment.

6 avril 2017. Quatre jours après avoir participé à sa toute première course sur route, Remco Evenepoel, 17 ans, prend le départ des championnats provinciaux juniors de contre-la-montre à Stok-Kortenaken.

Bien qu’il ait connu un problème avec sa chaîne lors du départ et qu’il ait complètement raté ses deux premiers virages, il a finalement réalisé le dixième temps en terminant quarante secondes derrière, Arne Marit (qui rejoindra Intermarché-Wanty-Gobert en 2023). Le débutant Evenepoel a disputé ce contre-la-montre sur un vélo de route ordinaire, avec un guidon réglable, que son père Patrick venait d’acheter.

Trois mois plus tard, Evenepoel s’illustre encore lors de son deuxième contre-la-montre, au Tour du Pays Basque, qu’il termine à la troisième position, derrière les Britanniques Ben Healy et Ben Turner (que l’on a pu découvrir cette année chez INEOS-Grenadiers).

L’un des recruteurs de Quick-Step à l’époque, l’actuel directeur sportif de la formation UAE Joxean Matxín Fernández, remarque le jeune Belge sur place et appelle directement Patrick Lefevere. Il vient de découvrir un diamant brut. Dès le lundi suivant ce tour, Lefevere s’assoit pour la première fois autour de la table avec les parents du jeune Remco Evenepoel. Le début d’une longue relation.

Dominant sur les épreuves chronométrées en 2018

Peu de temps après, Evenepoel prend encore la deuxième place lors Memorial Igor Decraene, un contre-la-montre disputé à Waregem. Il termine huit secondes derrière Loran Cassaert sur une distance de 20,8 km. Ce résultat est le signe avant-coureur d’une saison (2018) où le junior brabançon va surclasser tout le monde, en particulier dans les contre-la-montre.

Il va devenir champion provincial, belge, européen et mondial de l’effort en solitaire. Lors des trois premiers championnats, il a devancé son actuel coéquipier chez Quick-Step, Ilan Van Wilder. Aux Championnats du monde, il termine devant l’Australien Luke Plapp (aujourd’hui chez INEOS et présent sur la Vuelta gagnée par le Belge), qui accusera 1 minute et 24 secondes de retard en seulement 27,7 km.

Son pourcentage de victoires dans les chronos auxquels il a pris part cette saison-là : 75 % , soit un 9 sur 12. Dans les trois contre-la-montre qu’il perd (l’Etoile du Limbourg du Sud, le Trophée du Morbihan-Centre et le Giro della Lunigiana), Evenepoel prend à chaque fois la deuxième position, toujours à moins… d’une seconde des vainqueurs respectifs du jour : à savoir Joseph Laverick, Soren Waerenskjold et Karel Vacek.

Il brille dans les contre-la-montre dès ses débuts professionnels

Pour sa première année chez les professionnels, le jeune homme de 19 ans seulement, a tout de suite démontré ses qualités phénoménales dans l’exercice en solitaire. Il prend ainsi la troisième du contre-la-montre de 12 km au Tour de San Juan. Il termine derrière Julian Alaphilippe et Valerio Conti.

Pour son premier chrono chez les professionnels, au Tour de San Juan en janvier 2019, le jeune Evenepoel va prendre la 3e place. (Photo by Tim de Waele/Getty Images) © AFP

Après San Juan, il doit se contenter d’une 57ème place lors du prologue du Tour de Romandie disputé en mai. Cela reste son plus mauvais résultat dans un contre-la-montre (et cela risque probablement de le rester longtemps).

Lors des trois championnats de contre-la-montre de l’été, Evenepoel rpouve qu’il a connu un jour sans en Suisse puisqu’il termine troisième des championnats de Belgique, prend la deuxième place de ceux du monde et est couronné sur les championnats d’Europe, à Alkmaar.

Il devient ainsi le plus jeune médaillé de l’histoire du championnat national, le plus jeune à figurer sur le podium d’un Mondial (il est âgé d’un an de moins que Jan Ullrich, qui avait terminé troisième en 1994 à 20 ans) et il devient logiquement le plus jeune champion d’Europe du contre-la-montre.


Le plus jeune champion du monde de tous les temps ?

Evenepoel poursuit sur cette lancée au début de la saison 2020. Lors des Tours de San Juan et d’Algarve, il est à chaque fois le plus rapide dans l’étape chronométrée. Il ne devance pas les premiers venus… En Argentine, il s’offre Filippo Ganna et au Portugal, il devance le champion du monde en titre Rohan Dennis.

La suite, on la connaît. Le coureur de Quick-Step chute lourdement lors du Tour de Lombardie. Il faut donc attendre le Giro 2021 pour le voir recourir un chrono. Dans un contexte particulier, puisque c’est tout simplement sa première course, après une longue rééducation. Lors de cette étape inaugurale du Tour d’Italie, à Turin, il prend une encourageante septième place, à 19 secondes du surpuissant Ganna.

Le Brabançon garde encore des séquelles de sa culbute lombarde. Les mois suivants, il doit (logiquement) se contenter de places d’honneur, malgré des victoires sur les chronos des Tours de Belgique et du Danemark. Il prend la deuxième place du championnat de Belgique, battu par son coéquipier Yves Lampaert déchaîné sur ses terres. Il ne prend que la neuvième place lors du contre-la-montre des Jeux olympiques et termine avec une très belle troisième place aux championnats du monde disputés en Belgique (à Bruges), derrière Ganna et Wout van Aert.

Sa breloque de bronze lors de ces derniers fait de lui le troisième plus jeune médaillé d’un championnat du monde de contre-la-montre. Après… lui-même, et toujours Jan Ullrich.

Remco Evenepoel avait terminé troisième du contre-la-montre des Mondiaux de 2021 derrière Filippo Ganna et Wout van Aert (son rival belge ne sera pas présent dimanche). (Photo by Luc Claessen/Getty Images)

En 2022, Evenepoel augmente encore son niveau dans l’effort en solitaire. Il s’offre quatre victoires (sur les Tours d’Algarve, de Suisse et d’Espagne, ainsi que sur le championnat de Belgique) et deux secondes places (sur Tirreno-Adriatico et au Tour du Pays Basque, où il termine respectivement derrière Ganna et Primoz Roglic).

Pourra-t-il s’offrir ce dimanche un premier titre mondial à Wollongong, de l’autre côté du monde ? Il faudra voir si la fatigue accumulée après sa Vuelta victorieuse et le jetlag ne lui joueront pas des tours. En cas de succès, Remco Evenepoel deviendrait ainsi le plus jeune champion du monde de contre-la-montre de tous les temps, à l’âge de 22 ans et 237 jours. Il aurait un an de moins que l’Australien Michael Rogers lors de son titre en 2003. Ce dernier était âgé de 23 ans et 293 jours).


Comparé à Cancellara

Sans devoir prendre le maillot arc-en-ciel ce dimanche, Evenepoel peut déjà se targuer d’être le meilleur jeune coureur (il pourrait encore s’aligner dans la catégorie U23) de contre-la-montre dans l’histoire du cyclisme moderne. Aucun coureur de son âge n’a déjà remporté quatre médailles lors des championnats d’Europe et du monde, ni même deux dans ces derniers.

Aucun coureur qui avait l’âge actuel du coureur Belge n’a réussi à remporter neuf contre-la-montre de ce niveau (sur 23 auxquels il a pris part). Son pourcentage actuel de victoires dans l’exercice est donc de 39 % chez les professionnels. Si l’on prend aussi en considération son année chez les juniors, on arrive même 47 % (18 victoires sur 38 courses chronométrées).

A titre de comparaison, Fabian Cancellara, souvent considéré comme le meilleur spécialiste de l’effort en solitaire du XXIe siècle, a aussi remporté neuf chronos avant son 23e anniversaire. En revanche, « seulement » deux étaient classés en catégorie WorldTour (les prologues des Tours de Romandie et de Suisse). Les sept autres succès du colosse de Berne ont eu lieu sur des courses de moindre envergure. Lors des trois championnats du monde qu’il avait disputés à l’époque, le triple vainqueur du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix figurait très loin du podium. Il est ensuite monté sur la plus haute marche à quatre reprises par la suite.

L’autre référence de ce siècle, Tony Martin, qui a aussi été quadruple champion du monde de la spécialité, n’avait remporté aucune victoire dans l’exercice avant de fêter ses 23 ans. Il ne s’était cependant aligné qu’une seule fois sur un chrono et avait pris la deuxième place de celui-ci lors du Critérium International.

Quant aux doubles champions du monde Filippo Ganna (2020 et 2021) et Rohan Dennis (2018 et 2019), ils se trouvaient bien loin du niveau d’Evenepoel à leur 23e anniversaire. L’Italien avait remporté deux victoires sur des chronos et l’Australien aucune. Ils n’avaient pas non plus décroché de médaille sur les championnat internationaux. Notons cependant que Filippo Ganna était plus souvent aligné sur la piste que sur la route. Et sur cette première, il a remporté trois médailles d’or lors des Mondiaux de poursuite individuelle avant de souffler 23 bougies.

Remco Evenepoel lors de sa victoire sur le contre-la-montre du Tour d’Espagne, à Alicante. (Photo by Tim de Waele/Getty Images)

Et plus loin dans le passé ?

D’autres spécialistes du chrono, d’un passé plus lointain, n’avaient pas non plus réalisé les mêmes prouesses qu’Evenepoel. Chris Boardman ne comptait qu’une victoire à son actif. Le roi Miguel Indurain, à peine trois sur des petits tours en Espagne. Bernard Hinault avait remporté quatre contre-la-montre (le chrono des Nations et trois dans les petites courses à étapes françaises). Et même le plus grand de tous, Eddy Merckx, n’avait décroché qu’un seul bouquet dans l’effort en solitaire, lors de la Semaine catalane. Il s’était cependant aussi adjugé à deux reprises le célèbre Trofeo Baracchi, qui se dispute par paire.

Seul Beppe Saronni peut rivaliser avec Evenepoel. Avant ses 23 ans, l’Italien avait décroché dix victoires individuelles en contre-la-montre, dont trois sur le Giro et une sur Tirreno-Adriatico et les Tours de Romandie et de Catalogne.

En revanche, il n’a pas été en mesure de s’offrir une médaille lors des championnats internationaux, mais il a une excuse pour cela puisque le contre-la-montre n’est au programme des Mondiaux que depuis 1994 et des championnats d’Europe depuis 2016. D’autre part, le haut niveau mondial, y compris dans les épreuves chronométrées, n’était pas aussi élevé qu’aujourd’hui.

En conclusion, il est évident que Remco Evenepoel devra encore remporter de nombreux championnats et contre-la-montre pour égaler, voire dépasser, le palmarès des spécialistes cités ci-dessus. Mais son palmarès dans la discipline, compte tenu de son jeune âge, reste tout à fait unique.

Ce dimanche, à Wollongong, il pourrait déjà connaître un premier point d’orgue mondial. Si ses jambes le lui permettent.

Huis-clos partiel accordé à Victor Hissel

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