Comment Mathieu van der Poel a-t-il battu Wout van Aert aux Mondiaux de cyclo-cross
Mathieu van der Poel avait joué la carte de la surprise s’accordait-on à dire après les championnats du monde à Hoogerheide. Alors qu’on le voyait prendre le dessus sur van Aert à la faveur des planches, c’est le sprint final qui a permis au Néerlandais de s’offrir un cinquième arc-en-ciel. Quiconque connaît le passé et le caractère de MvdP sait pourtant que cette manoeuvre n’était pas le fruit du hasard. Analyse.
Deux jours avant l’Amstel Gold Race de 2019, la chaîne publique néerlandaise NOS était allée rendre visite à Mathieu van der Poel et à son team manager Christoph Roodhooft. Dans ce reportage, ce dernier a fait une comparaison surprenante, mais pertinente, entre Van der Poel et… Les Ramones, le groupe américain des années 1970 et 80, considéré comme le premier de punk rock.
« Les punks sont des gens qui sortent des sentiers battus et qui font des choses contradictoires. Ce fonctionnement convient à Mathieu qui ne court pas selon les lois du cyclisme en vigueur ». Le journaliste de NOS a conclu son reportage par : « Van der Poel fait ce qu’il veut et il aime ce qu’il fait.«
Deux jours plus tard, le champion des Pays-Bas s’adjugeait l’Amstel Gold Race au terme d’une remontée dans le dernier kilomètre qui est désormais entrée dans la légende. Il avait surpris tout le monde tout en gardant un instinct de tueur à gages.
Le faux débat sur les planches
Rendons-nous maintenant sans interruption jusqu’à ce championnat du monde de cyclo-cross. La course est annoncée comme le duel des titans entre Mathieu van der Poel et Wout van Aert. Pour l’une des premières fois dans leurs duels, c’est peut-être le Campinois qui part avec un léger avantage. C’était en tout cas la première fois qu’il dominait aussi souvent son rival de toujours pendant la période de Noël avec toutes ses nombreuses courses.
Avant le départ, il y a eu des petites débats. La hauteur des planches qui avaient été déplacées par le dessinateur du parcours, Adrie van der Poel, le père de qui vous savez. Mais pas de quoi refroidir un van Aert qui avait même l’éloge de l’ancien champion néerlandais. « Un cours de classe, un exemple en termes de sécurité, même avec ces planches », avait affirmé le coureur de Jumbo-Visma ce week-end.
Ces planches n’ont d’ailleurs pas posé problème, même si l’on a vu pendant la course que van der Poel les passait un peu mieux que van Aert. Une chose que ce dernier a reconnu. En ne donnant pas plus d’ampleur à la petite polémique sur ce point du parcours, le Belge ne souhaitait pas donner un avantage à MvdP. Ce qui aurait été le cas s’il s’en était plaint.
Dans les faits, WvA partait cependant avec l’idée que van der Poel tenterait de le mettre en difficulté à la faveur de ce passage des planches. Et certainement dans le dernier tour. Un signe de cela était peut-être à voir dans la longueur de ses interviews qui précédaient le jour J. D’habitude loquace, le Belge se montrait plus bref, là où le Néerlandais semblait plus détendu.
Des moments charnières
Un bon mois plus tôt, à Coxyde et à Zonhoven, le dos et la combativité de Mathieu van der Poel avaient cédé sous les coups de boutoir de van Aert. En guise de riposte, le petit-fils de Raymond Poulidor avait affirmé que seul le championnat du monde compterait. L’époque où il voulait tout gagner était révolue. Il devait tout simplement faire en sorte d’être au maximum de ses possibilités physiques ce 5 février.
Lors d’une des stages d’entraînement de l’équipe Alpecin, l’une des qualités les plus sous-estimées de Van der Poel a refait surface : sa capacité à surmonter une déception et se concentrer totalement sur son prochain objectif.
Christoph Roodhooft, le manager de la formation belge, évoquait d’ailleurs cet aspect de la personnalité de son champion dans notre Guide Cyclisme 2023. Et cela a de nouveau, et cela s’est avéré être le cas une fois de plus pour la Coupe du monde de cyclo-cross.
À l’exception de la conférence de presse de présentation de son équipe, Van der Poel a disparu des radars aussi bien dans les médias que sur Strava. L’année dernière, il avait pourtant mis en ligne toutes ses sessions d’entraînement. Personne ne devait voir cette fois comment il se focalisait sur son grand objectif de la saison. Lors de la manche de Coupe du monde de Besançon, la semaine avant Hoogerheide, le quadruple champion du monde avait rassuré tout le monde, même si son plus grand rival n’était pas de la partie.
Selon ses propres dires, Mathieu Van der Poel est arrivé aux Mondiaux avec « zéro stress » et aucune pression sur ses épaules. Même s’il avait affirmé avant cela que son hiver ne serait réussi qu’avec un maillot arc-en-ciel au bout du compte.
Du côté de Wout van Aert, le paradigme a peut-être légèrement changé. Son hiver était déjà réussi, même s’il avait affirmé que ce championnat du monde était son unique objectif. Mais celui-ci apparaissait aussi comme secondaire par rapport à sa plus grande mission de 2023. Accrocher à son palmarès l’un des deux grands Monuments pavés, le Tour des Flandres et/ou Paris-Roubaix.
van der Poel met directement la pression
La grande concentration et la détermination de Van der Poel se sont immédiatement manifestées lors du premier tour à Hoogerheide. Son compatriote Lars van der Haar n’emmenait le peloton que depuis 3 minutes et 10 secondes quand il a lancé une première grande offensive d’envergure. Van Aert a pu accrocher sa remorque mais n’a brièvement pris le relais qu’après le deuxième tour, dans la partie asphalté menant à la ligne d’arrivée.
Sans en remettre, car Van der Poel avait déjà poussé sa fréquence cardiaque à la limite. Le Néerlandais retentera sa chance aux troisième et septième tours avec plusieurs coups de force dans la seule bosse du parcours. A chaque fois, il accélérait en haut du pont précedant pour plonger avec le maximum de vitesse pour aborder la petite montée
Cependant, il n’a jamais été en mesure d’assommer van Aert qui revenait à chaque fois sur le replat où le Néerlandais ne parvenait pas à maintenir l’intensité de son effort. van Aert n’a certainement pas été en mesure de lui rendre la pareille. « Pendant la première demi-heure, j’ai eu du mal à rester dans sa roue. Par la suite, cela a donné l’impression, à mon sens, que je restais dans sa roue comme un lâche », a-t-il raconté après coup. Il avait certes oublié son accélération sur le Brabantse Wal au cinquième tour, sans doute car elle avait à peine destabilisé son rival de toujours.
Ce dernier a continué à maintenir la pression, y compris avec quelques accélérations sur et après les fameuses planches. Dans les troisième, cinquième, sixième et septième tours, il a dépassé Van Aert de quelques mètres, mais ce dernier est rapidement revenu dans son sillage à chaque fois. van der Poel n’y allait jamais à fond par la suite, par choix ou parce qu’il n’en était pas capable.
Il le fera sans doute dans le dixième et dernier tour s’est alors sans doute dit van Aert, après que MvdP ait passé très lentement ce secteur dans les huitième et neuvième tours. La cadence des deux titans a d’ailleurs brutalement baissé avec ce tour final. Au huitième tour, ils n’ont réalisé que le 21ème temps, et au dernier tour, seulement le 14ème temps.
Le calme avant la tempête
Le calme avant une tempête qui ne s’est finalement jamais abatue sur Hoogerheide, car 1 minute et 20 secondes avant le dernier passage des planches, van der Poel a étonnamment laissé passer son rival. Alors que tout le monde pensait qu’il essaierait de l’aborder en tête.
Van Aert semblait réaliser le parfait coup tactique, même si son rival est revenu directement à sa hauteur grâce à son aisance dans l’exercice. Il n’a pas non plus tenté d’accélérer après cela. Tout le contraire de ce que tout le monde attendait. A l’image de ce que l’on peut attendre du du Joey Ramone de la course.
Mathieu Van der Poel avait déjà réfléchi à cette stratégie lors de ses trois tours de reconnaissance qu’il avait effectué dans l’après-midi. Le roi de l’improvisation a ainsi surpris le plus calculateur van Aert grâce à cette intuition/coup de génie. Le Belge avait imaginé rester dans la roue de son rival avant le sprint et a été destabilisé par ce changement de plan où il se retrouverait en tête au pied de la dernière montée vers la ligne d’arrivée
Il s’est laissé surprendre par van der Poel qui était déjà prêt à bondir alors que van Aert regardait une dernière fois derrière lui. Celle de trop.
Avec ses mains sur les cocottes, le Néerlandais a rapidement pris deux mètres que WvA n’a jamais pu combler. Exactement le même scénario que lors du sprint pour le Tour des Flandres 2020. Certes, après six heures de course et avec une fatigue encore plus grande, mais le sprint durait là aussi entre 12 et 13 secondes.
Pas de plan B pour van Aert
Une fois de plus, Van Aert s’est laissé surprendre parce qu’il n’avait pas imaginé un autre scénario. Il n’a pas appliqué ce que son préparateur mental Rudy Heylen lui a appris au début de sa carrière de cyclo-crossman : rester concentré lorsque le déroulement de la course ne se déroule pas comme on l’avait prévu. Afin de passer immédiatement au plan B, C ou D.
Il ne l’a peut-être pas fait parce qu’il n’était pas aussi frais physiquement qu’il ne l’aurait espéré. Comme l’a souligné le sélectionneur national Sven Vanthourenhout : « Le fait que Wout n’ait pas lancé immédiatement le sprint signifie qu’il n’était pas complètement sûr de son coup. Et peut-être qu’il n’aurait pas gagné s’il était parti depuis la roue de MvdP. »
Van Aert l’a admis après coup, témoignant d’un grand respect pour son adversaire. Même dans son sillage, il ne lui avait rien repris. Et surtout physiquement, van der Poel avait été le meilleur de la course.
C’est sans doute ce qui a fait la différence, autant que son étonnant choix tactique pour lancer le sprint, sur un parcours aussi rapide (avec une moyenne de près de 28 km/h, c’était le cross le plus rapide de la saison).
Pas encore en bon état
Compte tenu de la domination de Van Aert pendant la période de Noël, ce résultat est remarquable. Mais peut-être pas tant que ça. Dans les colonnes d’Het Laatste Nieuws, Marc Lamberts déclarait samedi dernier : « Quand j’entends certaines personnes parler de condition optimale, je suis mort de rire. Avec la forme actuelle de Wout, il ne peut pas gagner une classique et certainement pas briller au Tour. »
En attendant son poulain s’est de nouveau laissé avoir par son éternel rival. Une de plus et encore dans un rendez-vous important.
Ses poings serrés et son cri de joie à l’arrivée, ses nombreux high-five après et les émotions qu’il a laissé apparaître sur le podium un peu plus tard ont montré à quel point ce titre mondial était important pour Mathieu van der Poel. Ce n’est pas un hasard s’il a déclaré que ce succès figurait parmi les trois plus beaux de sa carrière. Alors qu’il compte près de 400 victoires, toutes disciplines confondues.
Un cinquième titre mondial de cyclocross qui stoppe surtout la spirale infernale dans laquelle van der Poel était tombé, après son abandon au Tour, sa garde à vue aux Mondiaux de Wollongong et sa période de Noël où il avait été souvent battu par van Aert.
A Hoogerheide, on a retrouvé le punk qui est capable de sortir des sentiers battus pour prendre tout le monde de court.
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