Comment le point d’interrogation derrière Remco Evenepoel devient de plus en plus un point d’exclamation (mais le calme doit rester de mise)
Que penser après le premier maillot rouge porté par Remco Evenepoel sur la Vuelta ? Le rêve d’une victoire finale peut-il déjà se transformer d’espoir à une réalité ? Ou est-ce encore (beaucoup) trop tôt pour tirer des plans sur la comète ? Analyse.
Le compte Twitter Cycling Memes a posté un GIF après l’étape qui se terminait au sommet du Pico Jano. Inspiré d’une scène de la série américaine « The Office », on y voit le personnage joué par Steve Carell sortir en trombe de son bureau et crier à ses collègues : « Oh mon Dieu, c’est en train d’arriver ! Tout le monde reste calme ! Restez calmes, bordel ! » – alors que lui-même reste tout, sauf calme.
Une image symbolique qui traduisait sûrement le sentiment de nombreux fans de cyclisme belges après la prise de pouvoir de Remco Evenepoel sur le Pico Jano. Même José De Cauwer, habituellement sobre dans ses analyses, s’est enthousiasmé en voyant comment le résident de Schepdaal avait effacé le point d’interrogation qui subsistait autour de ses qualités de grimpeur.
Pour mettre un point d’exclamation derrière !
Mais ce n’était pas un coup d’éclat après que Evenepoel ait fait accélérer son équipe dans la dernière montée. Il y avait donc quelque chose à venir sur les flancs pluvieux et brumeux du Pico Jano. Il s’agissait d’une nouvelle montée que le coureur de Quick-Step ne connaissait pas, mais qui convenait parfaitement à ses qualités de rouleur : régulière et pas trop raide.
Malgré les exploits antérieurs d’Evenepoel à Liège-Bastogne-Liège, à la Clásica San Sebastián et sur une longue montée finale du Tour de Norvège, le sentiment « Oh my God » a flotté en tête de liste des amateurs de cyclisme en Belgique. Quand, à 8,6 km de l’arrivée, dans la partie la plus raide de la montée, le Flamand-Brabandais s’est dressé sur ses pédales, s’est remis en selle et a alors étouffé tout le monde avec un rythme meurtrier, à l’exception d’Enric Mas, qui s’accrochait à lui, et de Jay Vine, qui s’était échappé plus tôt et a ensuite remporté l’étape.
Le bilan après les 8,6 km de cette première vraie arrivée au sommet ? Seul Enric Mas, qui a terminé à une seconde, avait pu suivre le TGV du Brabant Flamand. Le grand espoir du cyclisme espagnol, Juan Ayuso, âgé de 19 ans, pointait à 40 secondes. Les autres favoris à la victoire finale, Primoz Roglic et compagnie, coupaient la ligne avec 1 minute et 22 secondes de retard sur Evenepoel. C’est une différence déjà énorme sur un tel col. Entre la 5e place de Roglic et la 25e de Richard Carapaz, l’écart était quasiment aussi grand que celui entre le Slovène et le petit cannibale belge.
Rédemption
Evenepoel a lui-même affirmé que c’était l’une de ses meilleures performances sur un vélo. Peut-être la plus grande étape de sa carrière jusqu’à présent. Surtout parce que cette étape transforme son rêve de gagner un jour un tour majeur – de préférence les trois, comme il l’a déclaré lors de ses deux années de junior – en réel espoir.
Les fans de cyclisme néerlandais attendent la victoire d’un de leurs compatriotes dans un grand tour depuis 44 ans. C’est pour les mêmes raisons que l’engouement autour de Remco Evenepoel est si grand depuis ses trois dernières années. Non pas parce qu’il a déjà remporté des victoires impressionnantes alors qu’il n’avait que dix-neuf ans (la Klasika San Sebastian par exemple), mais en raison de son statut annoncé de futur « sauveur » du pays sur les grands tours.
Ce jeudi, pour la première fois dans un grand tour, le jeune Brabançon s’est clairement montré le meilleur en montée. A l’exception d’Enric Mas, il a réussi à renvoyer tous ses concurrents à plus d’une minute.
La grande spécialité de Remco doit encore arriver. Mardi prochain, à Alicante, juste après la journée de repos, c’est un contre-la-montre plat de 30,9 km qui pourrait lui permettre de distancer encore plus tous ses adversaires. Seul le champion olympique Primoz Roglic devrait être capable de limiter les dégâts, mais il pourrait aussi récupérer quelques secondes.
Avant cet effort en solitaire et après celui-ci, Evenepoel devra simplement se contenter de suivre les meilleurs coureurs de cette Vuelta sur des étapes de montagne, dont aucune ne dépassera les 4 000 mètres de dénivelé positif. Dans un peu plus de deux semaines, il pourrait être couronné grand vainqueur de ce Tour d’Espagne 2022. Il pourrait alors parader tout de rouge vêtu sur la Plaza de Cibeles, à Madrid.
Mais bien sûr, ce scénario est encore loin d’être acquis dans la réalité. Car malgré son coup d’éclat de jeudi, on peut aussi dire que le natif de Schepdaal a profité mieux que quiconque du passage brutal de la chaleur à la pluie et au froid.
Cette montée finale de la première étape de montagne semblait dessinée pour ses capacités. D’autres ascensions plus raides, plus hautes et plus longues sont encore à venir. Par exemple, ce samedi, il pourra se frotter au Colláu Fancuaya, un mini-Angliru. Ce dimanche, la montée aux Praeres de Nava sera un triple Mur de Huy. Et sept jours plus tard, ce sera une arrivée à une altitude de 2500 mètres dans la Sierra Nevada qui attendra le nouveau maillot rouge.
Son équipe est-elle assez forte pour l’épauler ?
Si Evenepoel réussit ces deux premiers tests le week-end prochain, les espoirs d’une victoire finale risquent encore de monter en flèche. Surtout s’il augmente ensuite son avance dans le contre-la-montre de mardi. Mais si ce scénario se produisait, une dernière question demeurera : sera-t-il de tenir trois semaines sans connaître un seul mauvais jour et sans perdre toute l’avance qu’il a accumulée jusqu’à présent ?
Une difficulté supplémentaire s’est peut-être ajoutée dans sa mission. Il faudra assumer la responsabilité de ce maillot rouge pendant plus de deux semaines. Patrick Lefevere ne l’a pas qualifié de cadeau potentiellement empoisonné. Mais ce ne sera pas du tout facile de contrôler la course tout ce temps avec cette équipe Quick-Step.
Malgré l’absence exceptionnelle d’un sprinteur dans la sélection de la formation belge. Malgré le travail louable de Louis Vervaeke et surtout du champion du monde Julian Alaphilippe sur le début du Pico Jano. Malgré le phénomène selon lequel les coéquipiers se surpassent lorsqu’ils peuvent travailler pour un leader, les doutes sur les capacités de Quick.Step demeurent.
Pour n’importe quelle équipe, cependant, défendre un maillot de leader pendant quinze étapes est un sacré défi. Au cours de ce siècle, un seul coureur a été en mesure de conserver le maillot rouge pendant aussi longtemps (et même plus) : Chris Froome, en 2017. A l’époque, le Britannique avait pris le pouvoir dès le troisième jour. Mais l’équipe Sky qui l’entourait cette année-là était d’un autre niveau avec des coureurs de la trempe de Mikel Nieve, Gianni Moscon ou Wout Poels.
Evenepoel et son équipe Quick-Step auront donc tout intérêt à se débarrasser du maillot de leader à un coureur « inoffensif » dans les prochains jours. Mais ce n’est pas toujours un jeu facile. Surtout que les écarts sont déjà conséquents. Par exemple, Wout Poels, qui occupe la 30e place, accuse déjà cinq minutes et demi de retard sur le jeune coureur belge.
Les hommes de Patrick Lefevere peuvent aussi compter sur des alliances de circonstance. Movistar défendra probablement bec et ongles le classement général d’Enric Mas, car les points qu’il peut engranger peuvent être cruciaux dans la bataille pour le maintien de l’équipe espagnole en WorldTour.
Rester calme
Conclusion : peut-être que dans vingt ans, on se souviendra de ce 25 août 2022, comme du jour où Remco Evenepoel, dans la pluie et le brouillard de Cantabrie, a posé les bases de sa première victoire dans un grand tour. Tout comme Eddy Merckx l’avait fait en 1968, également à l’âge de 22 ans, sur les flancs enneigés des Tre Cime di Laveredo, pour enfiler son premier maillot rose. Une journée qui posa aussi les fondations de sa première victoire dans le Giro.
Mais entre le rêve et la réalité, il reste encore 14 étapes (sans compter le contre-la-montre) dans lesquelles la pression va augmenter sur les épaules de Remco Evenepoel, sur tous les fronts.
Et donc, comme l’a crié Steve Carell dans son bureau, le message principal est le suivant : « Tout le monde doit rester calme ». Le fait que Evenepoel ait prêché le même message après l’arrivée témoigne aussi des progrès qu’a réalisé le jeune homme dans sa gestion des événements et surtout dans la manière de formuler ses ambitions devant tout le monde
S’il ne remporte pas la victoire finale, ou ne termine pas sur le podium, il aura déjà appris beaucoup et saura tirer des leçons importantes pour l’avenir.
En plus de certainement gagner le respect de ceux qui ne sont pas totalement convaincus de ses qualités sur les épreuves de trois semaines.
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