Cinq facteurs qui plaident en faveur de Remco Evenepoel, en route vers une possible victoire finale dans la Vuelta
Rarement un coureur, surtout âgé de 22 ans, aura dominé autant la première semaine d’un grand tour que Remco Evenepoel sur ce Tour d’Espagne 2022. Peut-il conserver cette position de leader et son maillot rouge jusqu’à Madrid ? Voici cinq facteurs qui jouent déjà en sa faveur.
1) Son avance conséquente au classement
« J’avais les jambes et je voulais augmenter mon avance au général », a déclaré Remco Evenepoel après le mur de Les Praeres de Nava. Ses plus proches poursuivants au classement, Enric Mas et Primoz Roglic, ont respectivement terminé à 44 et 52 secondes.
C’est une avance assez impressionnante pour une montée aussi raide et relativement courte. A titre de comparaison, lors de la dernière ascensio, en 2018, les 10 premiers coureurs se tenaient en moins de 39 secondes….
Evenepoel serait donc monté… 13 fois plus vite que Simon Yates en 2018. Même si l’on ne peut pas toujours comparer les performances car les conditions diffèrent à chaque, il s’agit d’un joli coup de force pour un coureur dont on disait que les montées raides n’étaient pas son truc.
Sur le Pico, Jano, le citoyen de Schepdaal avait également repoussé l’opposition loin derrière à l’exception de Mas. Après neuf jours de course, Evenepoel compte déjà 1’12 » sur l’Espagnol, 1’53 » sur Roglic, 2’33 » sur Carlos Rodríguez et 2’36 » sur Juan Ayuso. Ces deux derniers, grands espoirs d’un cyclisme espagnol qui va faire ses adieux à Alejandro Valvderde, sont aussi plus jeunes que notre compatriote.
Toujours à titre de comparaison, sur les vingt dernières éditions de la Vuelta, seuls deux coureurs possédait une avance encore plus grande au terme des neuf premiers jours de course. Denis Menchov en 2007 (2’01 ») et Isidro Nozal en 2003 (1’48 »). Dans les deux cas, ils avaient profité d’un contre-la-montre de plus de 40 kilomètres pour creuser une partie de cette avance.
Dans le Giro aussi, une telle domination au cours des neuf premières étapes est aussi exceptionnelle. Au cours des 20 dernières années, seul Ivan Basso possédait plus d’avance sur ses rivaux (1’34 » en 2006). C’est un scénario en revanche plus fréquent sur le Tour de France. Tadej Pogacar comptait déjà 2’01 » d’avance sur son premier poursuivant en 2021, Vincenzo Nibali 2’23 » en 2014 (tous deux avaient pris le pouvoir après une première étape de montagne dans des conditions dantesques pour le premier et une étape pavée disputée sous une pluie battante pour le second), et Bradley Wiggins 1’53 » en 2012 (le Britannique avait mis à profit un long contre-la-montre pour creuser l’écart).
Evenepoel devrait logiquement accroître son avance lors de la dixième étape de mardi, qui proposera un contre-la-montre de 30,9 km à Alicante, sur des routes d’entraînement qui lui sont familières. Si le champion olympique Primoz Roglic devrait terminer dans ses parages, le coureur de la Quick-Step devrait logiquement reléguer les Mas, Rodriguez, Ayuso et consorts à au moins une minute et trente. Il pourrait donc s’élancer lors des onze dernières étapes de cette Vuelta avec une marge d’environ deux minutes sur Roglic, et de plus de trois et plus sur tous les autres.
Evenepoel pourrait dès lors même se permettre une moins bonne journée, et conserver le maillot rouge de leader. Bien sûr, en cas de très mauvaise journée, il pourrait aussi perdre plusieurs minutes, mais jusqu’à présent, le coureur de Schepdaal n’a montré aucun signe de faiblesse.
2) L’effondrement des gros collectifs
Si Remco Evenepoel parvient effectivement à se forger une avance de deux minutes ou plus après le contre-la-montre, un phénomène familier pourrait alors produire chez les concurrents : la bataille pour les places d’honneur. Les principaux rivaux pourraient estimer que le jeune Belge est trop fort et ne plus perdre son maillot rouge, malgré un palmarès vierge de référence sur les courses de trois semaines.
Au départ de cette Vuelta, il y avait quatre équipes avec de gros collectifs. Soit avec plusieurs leaders, soit un leader et des lieutenants de luxe. Aujourd’hui, après seulement une grosse semaine de course, ces blocs se sont déjà partiellement ou complètement effrités : Primoz Roglic a perdu son lieutenant Sepp Kuss pour cause de maladie. L’Américain, diminué par celle-ci, n’avait pas été d’un grand secours pour son leader slovène.
Parmi le trio BORA-hansgrohe Jai Hindley, Sergio Higuita et Wilco Kelderman, seul le vainqueur australien du Giro est encore dans le top 10. Mais il ne pointe qu’à la neuvième place, à plus de cinq minutes d’Evenepoel. L’équipe UAE Emirates a placé Juan Ayuso et João Almeida dans le top sept, mais les deux hommes ne semblent pas pouvoir/vouloir coopérer.
Et chez INEOS Grenadiers, Richard Carapaz, le leader annoncé au départ de cette Vuelta, accuse déjà un retard de 14 minutes de retard. Pavel Sivakov et Tao Geoghegan Hart se trouvent aussi à plus de cinq minutes derrière Evenepoel. Seul le talent espagnol Carlos Rodríguez se trouve pas encore trop loin du Belge, en quatrième position, à 2 minutes 33 secondes. Il a cependant déjà indiqué, et ce n’est pas illogique, qu’il serait déjà plus que satisfait en parvenant à monter sur le podium.
Enric Mas a finalement coincé en essayant de suivre le train infernal de Remco Evenepoel sur Les Praeres de Nava. Après le contre-la-montre, le leader de la Movistar risque de voir le fossé encore un peu plus se creuser.
La probabilité que l’Espagnol tente le tout pour le tout pour décrocher la victoire finale semble également très faible. Mas prétend le contraire, mais la situation de son équipe, toujours pas assurée d’une participation au WorldTour en 2023, pourrait le brider. Avec une deuxième ou troisième place à Madrid, l’équipe espagnole engrangerait 680 ou 575 points qui pourraient s’avérer extrêmement importants. Le manager Eusebio Unzué , dont on connaît le conservatisme, ne jouera jamais le maillot rouge final s’il y a plus de chances qu’il puisse tout perdre.
De plus, Mas n’est pas entouré par des coéquipiers qui pourraient lui permettre de lancer une grande offensive telle celle de Jonas Vingegaard sur le col du Granon. L’Espagnol pourrait même devenir un allié de circonstance d’Evenepoel, si sa deuxième ou troisième place se trouvait en danger. Ce n’est pas un hasard si Evenepoel a déjà mentionné à plusieurs reprises qu’il s’entendait très bien avec Enric Mas, l’un de ses amis dans le peloton.
Malgré la perte de Pieter Serry et les points d’interrogation concernant la capacité de Quick-Step – Alpha Vinyl à défendre le maillot rouge de leader pendant deux semaines, tous ces éléments jouent en faveur d’Evenepoel et de son équipe.
Une équipe qui, il faut le dire, le soutient de manière exemplaire pour l’instant. On accorde d’ailleurs une mention spéciale à Ilan Van Wilder, lui aussi âgé de seulement 22 ans. Son leader le complimente d’ailleurs généreusement après chaque étape.
3) La résistance à la pression
Remco Evenepoel a enfilé le maillot rouge de leader après seulement la sixième étape. C’est une prise de pouvoir assez rapide et celles-ci vont rarement jusqu’à leur terme dans la course espagnole. Au XXIe siècle, seul un coureur a conservé le maillot rouge pendant au moins aussi longtemps : Chris Froome, en 2017. Le Kenyan blanc était devenu leader de la course dès le troisième jour. Il avait pu compter sur une équipe Sky particulièrement solide à ses côtés.
Pour un coureur de moins de 23 ans, ce scénario est encore plus exceptionnel. Sur un grand tour de trois semaines, avec au moins 20 étapes au programme, seuls Romain Maes (leader du début à la fin du Tour de 1935) et Gustaaf Deloor (leader après la deuxième étape de la Vuelta de 1936) ont réussi à remporter l’épreuve en prenant le leadership encore plus tôt qu’Evenepoel en 2022.
Après la Seconde Guerre mondiale ? Personne. Seul Felice Gimondi a remporté le Tour en 1965 après s’être emparé du maillot jaune dès la troisième étape. Il avait cependant entre-temps cédé sa précieuse tunique pendant deux jours à Bernard Vandekerckhove.
Il ne faut pas oublier que le port du maillot rouge pendant plus de deux semaines implique toute une série d’obligations mais aussi une pression supplémentaire. Ces facteurs sont a priori pas toujours faciles à gérer pour un jeune coureur. Mais le Brabançon ne semble pas être perturbé par tout cela. Pour le moment.
On a même l’impression qu’il semble se complaire dans ce rôle de numéro 1 du classement. Il a souligné à plusieurs reprises comment le maillot rouge avait tendance à le calmer et à lui procurer une motivation supplémentaire. « Je pense que ce maillot me permet de rester assez calme », avait déclaré le natif de Schepdaal après l’étape de samedi.
Si calme que lui et son équipe n’ont pas gaspillé d’énergie inutile dans la poursuite des groupes d’échappés lors des étapes qui arrivaient au Colláu Fancuaya et à Praeres de Nava. Une victoire d’étape dans la tunique rouge, aurait évidemment été un plus pour Remco, mais l’objectif principal reste de remporter cette Vuelta. La cerise sur le gâteau peut encore être posée après. Avant cela, Evenepoel devra ne pas craquer sous une pression qui augmentera de jour en jour.
4) Le menu « limité » des étapes de montagne
Aucune des étapes de montagne de cette Vuelta ne dépasse les 4 000 mètres de dénivelé positif. Le dénivelé total reste aussi bien en-dessous de 50 000 mètres D+, contrairement à de précédentes éditions. Néanmoins, neuf arrivées au sommet figuraient au programme de ce Tour d’Espagne. Mais aucune étape de montagne ne comporte deux ou trois cols longs et difficiles en même temps.
Ces profils étaient évidemment à l’avantage d’Evenepoel, avant même qu’il ne démontre de nouvelles aptitudes dans les ascensions. Sur des terrains qui ne devaient pas spécialement lui convenir comme le mini-Angliru, ce samedi avec le Colláu Fancuaya, et le mur court et très raide de dimanche, Remco Evenepoel a pourtant épaté tout le monde en dominant son sujet de la tête et des épaules.
D’ici l’arrivée à Madrid, il restera à gravir les Peñas Blancas (jeudi), la Sierra de la Pandera (samedi), la Sierra Nevada (dimanche), l’Alto del Piornal (le jeudi de la dernière semaine) et le Puerto de Navacerrada (le dernier samedi). Les ascensions les plus difficiles sur le papier pour lui devraient être la Sierra de la Pandera et l’Alto de la Hoya Mora vers la Sierra Nevada.
La première est longue de 8,5 km, avec une moyenne de « seulement » 7,6 %, mais très irrégulière avec plusieurs derniers kilomètres bien au-dessus de 10 %. La seconde proposera 22 kilomètres d’ascension et un sommet qui culmine à plus de 2500 mètres d’altitude. Cette dernière sera le test ultime d’Evenepoel en montagne. Il n’a pour l’heure jamais excellé à une telle altitude, même s’il a déjà affirmé que cette montée régulière pourrait lui convenir car il pourrait rester dans les roues de Roglic, Mas et compagnie et ainsi profiter de l’aspiration. Reste à voir s’il n’éprouvera pas des difficultés au-delà de 1800 mètres, une altitude où il avait admis se sentir moins fort lors du dernier Tour de Suisse.
S’il passe la Sierra Nevada sans trop de dégâts, il n’aura plus que le Puerto de Navacerrada comme dernier piège à éviter. Une équipe forte pourrait élaborer un plan audacieux lors de cette étape pour tenter un putsch. Mais restera-t-il encore une formation en mesure de le faire ? Là est toute la question.
5) La fraîcheur
Remco Evenepoel a répété plusieurs fois avant le départ de cette Vuelta qu’il voulait arriver frais après un Tour de Suisse décevant. Avant ce dernier, il avait enchaîné le Tour de Norvège et la course de Gullegem et n’avait pas été en mesure de suivre les meilleurs en haute montagne sur l’épreuve suisse. C’est pour cela qu’il n’a participé qu’à la Clásica San Sebastián avant de mettre le cap vers Utrecht où se tenait la Grande Salida.
Cette fraîcheur, malgré un entraînement très lourd, lui permet peut-être d’être devant Enric Mas et Primoz Roglic. L’Espagnol a disputé 18 étapes sur le Tour avant de devoir le quitter à cause d’une infection au coronavirus. Il ne pointait aussi qu’à la 11e place de la course à ce moment. Roglic a terminé quatorze étapes du Tour, mais a aussi été contraint à l’abandon en raison d’une blessure au dos. Le Slovène n’a été en mesure de s’entraîner correctement que lors des quinze jours qui précédaient le départ de la Vuelta. Ce manque d’entraînement pourrait expliquer qu’il est un peu plus à la peine que lors de ses trois précédentes participations sur la course espagnole.
Carlos Rodríguez (21 ans) et Juan Ayuso (19 ans), qui occupent actuellement les quatrième et la cinquième places, sont des novices sur une épreuve de trois semaines. Ils ont donc encore moins d’expérience qu’Evenepoel qui a disputé un Giro avant cela. Les numéros six, sept, neuf et dix du classement actuel, Simon Yates, João Almeida, Jai Hindley et Pavel Sivakov, ont déjà disputé le Giro (ou une grande partie de celui-ci) au mois de mai dernier. A aucun moment de la première semaine de la Vuelta, ils n’ont été en mesure de menacer Evenepoel lors des ascensions.
Conclusion : ces cinq facteurs ne garantissent certainement pas un sacre de Remco Evenepoel à Madrid, alors qu’il reste encore deux semaines à courir. Et il reste l’inconnue coronavirus qui peut jouer un vilain tour à tout le monde pendant ce laps de temps. C’est cependant un fait que les chances de victoire finale du Brabançon après le contre-la-montre de demain sont très bonnes.
Enfin, mentionnons cette dernière statistique (prémonitoire ou non) : à quand remonte la dernière fois qu’un coureur belge a porté le maillot de leader d’un grand tour pendant au moins quatre jours avec trois étapes de montagne au programme ? Comme Remco Evenepoel lors de la semaine écoulée.
Il faut se plonger dans l’année 1978. Sur le Giro, Johan De Muynck avait réussi cette prouesse et reste jusqu’à ce jour le dernier coureur du Royaume à avoir accroché un grand tour à son palmarès.
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