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« Chère UCI, n’attendez pas qu’il y ait un décès pour appliquer vos règles de manière beaucoup plus stricte »

Beaucoup d’agitation sur les réseaux sociaux après les grosses chutes sur les Tours de Burgos et de Pologne ce mercredi. Leur raison : non pas les règles de sécurité elles-mêmes, mais les organisateurs qui ne les respectent pas. Et une Union cycliste internationale qui n’intervient pas de manière proactive et réactive. Jusqu’à ce qu’il y ait de nouveau un décès ?

Demain, le 5 août, cela fera exactement trois ans que Bjorg Lambrecht est décédé dans un tragique accident à l’occasion du Tour de Pologne. Après avoir heurté un réflecteur en bordure de route, il a perdu le contrôle de son vélo et a atterri sur un ponceau en béton.

Le coureur de l’équipe Lotto s’est rompu le foie, ce qui a provoqué une grave hémorragie interne, entraînant un arrêt cardiaque. Ce grand espoir du cyclisme belge était à peine âgé de 22 ans.

C’était la faute au destin et à la pure malchance, car la route était parfaitement droite et ne présentait pas un danger majeur. On ne pouvait pas imputer une situation dangereuse ou une erreur de l’organisation .

Exactement un an plus tard, le 5 août 2020, ce fut le cas avec la chute de Fabio Jakobsen et Dylan Groenewegen sur le même Tour de Pologne. Elle fut causée en partie par la manoeuvre de Groenewegen pour empêcher son compatriote de passer, mais elle a été rendue encore plus dangereuse par l’arrivée en légère descente à Katowice ainsi que les barrières nadars inadaptées. C’est un miracle que Jakobsen ait survécu à cet accident et soit redevenu l’un des meilleurs sprinteurs du peloton, comme par le passé.

La sécurité remise en cause

Néanmoins, une tempête de protestations a éclaté à la suite de la chute de Jakobsen. L’Union cycliste internationale est intervenue (trop tard) en proposant de nouvelles mesures de sécurité pour la saison suivante.Dans un document de 20 pages, comprenant des annexes séparées pour toutes les parties prenantes, l’UCI a annoncé la standardisation des barrières de séparation avec la foule ainsi que la nomination d’un responsable officiel de la sécurité au début de 2021.

Le Suisse Richard Chassot est désormais chargé de superviser la sécurité sur toutes les courses de l’instance du cyclisme international. Il est en contact étroit avec les responsables de la sécurité que chaque organisateur d’épreuve était également tenu de nommer. Ces derniers devaient s’assurer que leurs propres responsables de la sécurité possédaient les connaissances requises pour la fonction, grâce à une formation dispensée par l’UCI.

Désormais, ils devront également utiliser un nouveau logiciel pour partager les informations sur les points critiques de leur parcours avec les équipes et l’UCI bien à l’avance.De plus l’UCI collecterait et conserverait toutes les données relatives aux incidents survenus pendant les courses, en collaboration avec l’Université de Gand. De cette façon, ils espèrent éviter les chutes importantes à l’avenir. (Vous avez pu lire le résultat de cette recherche dans notre dernier guide du Tour de France)

Des mesures déjà entrées en vigueur

En mars 2021, les organisateurs du Tour de Pologne ont également annoncé qu’ils ne jugeraient plus d’arrivée en descente à Katowice. Ces « arrivées effectuées à grande vitesse » sont désormais interdites par l’UCI, qui, par l’intermédiaire du directeur des routes Matthew Knight, n’autorisera plus non plus les virages dans les 200 derniers mètres avant une arrivée.

Ce sont des mesures louables qui ont amélioré la sécurité dans (certaines) courses au cours de l’année et demie suivante. Par exemple, Flanders Classics et Golazo ont utilisé les Race Bumpers (des coussins placés autour des arbres et des poteaux), les Race Totems (de grands panneaux de signalisation) et les Race Barriers (des barrières en plastique) de Boplan.

Même le Tour de Pologne a fait appel à la société de Flandre-Occidentale pour son édition 2021, afin d’éviter de nouveaux drames comme celui qui aurait pu coûter la vie à Fabio Jakobsen.

Deux nouvelles chutes massives

Revenons à ce mercredi 3 août 2022. Dans la troisième étape du Tour de Pologne, de nombreux coureurs chutent dans les premiers rangs du peloton.

Pas étonnant, car à l’arche d’arrivée du dernier kilomètre, la route se rétrécit soudainement, passant de quatre à deux bandes de circulation. Puis, à peine cent mètres plus loin se trouve un virage étroit et serré à droite. C’était déjà le cas lors des étapes précédentes avec des kilomètres finaux dangereux et sinueux, mais fort heureusement aucun incident n’avait eu lieu.

Peu de temps après, lors de la deuxième étape du Tour de Burgos, c’est une chute encore plus massive qui a marqué la course. Après une descente, le coureur de Jumbo-Visma David Dekker a perdu le contrôle de son vélo à 500 mètres de l’arrivée en traversant un passage piéton surélevé (un dispositif courant en Espagne).

Il est tombé au sol, entraînant plusieurs coureurs derrière lui dans sa chute. Certains ont même percuté des barrières métalliques disposés le long de la chaussée. Par miracle, les dommages physiques ne sont pas trop graves : plusieurs coureurs souffrent de lourdes écorchures, cinq ont été contraint de renoncer à la suite de l’épreuve avec respectivement un doigt cassé, une clavicule cassée, une commotion cérébrale, une luxation du coude et une fracture du du scaphoïde.

Beaucoup de coureurs s’estimaient chanceux d’avoir échappé à cette chute et remerciaient ironiquement les organisateurs du Tour de Burgos pour l’obstacle dangereux placé dans le dernier kilomètre. Même Edoardo Affini, qui a pu, grâce à la chute, facilement emmener son coéquipier Timo Roosen de Jumbo-Visma vers la victoire d’étape, s’est adressé à l’UCI. Tout comme l’organisation indépendante de coureurs Riders Union.

A juste titre, car malgré tous les responsables de la sécurité, les règles de sécurité étaient tout simplement bafouées. Pas seulement à Burgos, mais aussi en Pologne. Dans l’annexe du Guide de la sécurité rédigé par l’UCI et spécifiquement adressée aux organisateurs, la règle 4.4 précise même l’interdiction d’obstacles dans le dernier kilomètre. Sont cités les rétrécissements de la route, les îlots directionnels et les ralentisseurs et dos d’âne.

La règle 8.3 stipule également clairement que les organisateurs « ne devraient pas hésiter » à faire signaler un obstacle dangereux par deux personnes : l’une se tenant à 50 ou 100 mètres devant l’obstacle, l’autre au même niveau. Tous deux seraient équipés d’un drapeau jaune et d’un sifflet pour avertir les coureurs du danger.

Précaución paso elevado

Pour dédouaner les organisateurs du Tour de Burgos, ces deux personnes se trouvaient également au passage à niveau, l’une avec un drapeau (à gauche), l’autre avec une pancarte (à droite). Malheureusement, les deux étaient placées à la hauteur de l’obstacle. C’était trop tard pour prévenir les coureurs à temps. Et certainement après une descente de quelques centaines de mètres effectuée à une vitesse de plus de 60 km par heure.

Même si ce ralentisseur n’aurait jamais dû se trouver là, à un demi-kilomètre à peine de l’arrivée comme c’est demandé clairement dans le règlement de l’UCI.

Ironiquement, le road book du Tour de Burgos mentionne ce passage surélevé, avec l’avertissement « Precaución paso elevado ». Les coureurs, qui sont parfois à blâmer eux-mêmes, auraient pu/auraient dû le savoir. Mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils prennent en compte un tel obstacle dans la préparation d’un sprint du peloton.

Le responsable de la sécurité de l’organisateur, Rodrigo Contreras Elvira, aurait dû le faire au préalable. Car comme le stipule également la règle 2.2.017 du Guide de la sécurité de l’UCI : il doit faire l’objet d’une  » attention particulière «  pour le final de la course et notamment pour les dernières centaines de mètres. « Particulièrement important » pour les courses qui se terminent par un sprint massif du peloton…Ce n’est donc pas ce qui s’est passé. Tout comme les responsables de l’UCI auraient dû indiquer lors de l’évaluation du parcours, qui devrait normalement être effectuée avant la course, qu’un tel ralentisseur placé dans le dernier kilomètre n’était pas acceptable. Il en va de même pour le dangereux rétrécissement de la route sur le Tour de Pologne.

Des situations dangereuses qui, malgré toutes les consignes de sécurité, se produisent encore dans de nombreuses courses, sur la route ou dans le dernier kilomètre. Et qui, malheureusement, sont toujours autorisés.

Le fait que les responsables de la sécurité des organisateurs ne soient pas indépendants peut expliquer qu’ils soient plus susceptibles de fermer les yeux. Ce n’est probablement pas une surprise.

Experts indépendants

Alors, l’UCI ne doit pas se contenter d’imposer des règles strictes, mais aussi de les faire appliquer sur le terrain, avec fermeté. Elle ne doit pas hésiter à intervenir lorsque le tracé proposé va à l’encontre de ses règles. Après une enquête approfondie menée elle-même ou par des responsables/experts indépendants en matière de sécurité, éventuellement des anciens cyclistes.

Cette dernière est déjà mentionnée comme une « possibilité » dans le guide des consignes de sécurité de l’UCI. A partir de maintenant, l’UCI doit en faire une obligation, pour chaque course. Cela permettra d’éviter des évaluations subjectives de responsables de la sécurité désignés par les organisateurs.

Cependant, prendre les choses en main signifie aussi plus de risques de voir la responsabilité juridique de l’instance du cyclisme internationale être engagée en cas d’accident grave. Et c’est là le noeud du problème…

La sécurité doit rester la priorité numéro un

Doit-on attendre un nouveau décès pour changer les choses. Ou bien attendre que davantage de parents déconseillent à leur fils ou à leur fille la pratique du vélo, par peur des risques mortels liés à ce sport. Il y en a déjà plus qu’assez lors des entraînements quotidiens réalisés au coeur de la circulation routière habituelle.

Les accidents tragiques, comme celui de Bjorg Lambrecht, sont malheureusement inhérents au métier de cycliste professionnel. Mais des accidents comme ceux de Burgos et de Pologne peuvent être évités. Avec des panneaux et des éléments de sécurité encore meilleurs, comme ceux proposés par Boplan. Et surtout avec des règles strictes et efficacement appliquées.

Pour éliminer les infractions avant même le début de la course course. Pour ne pas devoir punir les organisateurs par la suite.

Sur des routes comportant de plus en plus d’obstacles, a priorité numéro un d’une association comme l’UCI doit être la sécurité de ses propres acteurs. De sorte qu’un décès comme celui de Bjorg Lambrecht ne reste qu’une exception tragique et regrettable.

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