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Comment Simone Biles s’est reconstruite après le fiasco des JO de Tokyo (pour briller à Paris)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’essentiel

• Simone Biles, la meilleure gymnaste de l’histoire, est de retour sur la scène olympique à Paris après avoir affronté ses démons aux Jeux de Tokyo.
• Simone Biles a subi un choc post-traumatique après les Jeux olympiques de 2021 et a dû se remettre en question pour retrouver le haut niveau.
• Elle a repris l’entraînement avec Laurent Landi, son entraîneur français, et a fixé une nouvelle routine, passant à la vitesse supérieure et se sentant bien à Anvers.
• Simone Biles se prépare mentalement pour supporter l’effervescence et les attentes, avec la conscience que la peur peut regagner du terrain à tout moment, mais elle se dit déterminée, pour ne pas se retrouver dans dix ans à regarder en arrière et à se dire qu’elle aurait voulu essayer.

Trois ans après avoir affronté ses démons aux Jeux de Tokyo, Simone Biles est de retour sur la scène olympique. La meilleure gymnaste de l’histoire n’est pas guérie pour autant. A Paris, elle doit dompter ses peurs, et peut-être marquer un peu plus son sport.

Même la pluie de ce début d’automne qui fait vibrer les pavés anversois n’a pas d’impact sur les sourires. En ce vendredi après-midi, deux jours avant leur entrée en scène sur la piste du Sportpaleis de la Métropole, les gymnastes américaines s’offrent un moment de déconnexion en allant remplir leurs yeux et leur caddie au Chocolate Nation, que la ville aime présenter comme «le plus grand musée du chocolat belge au monde». Sur son compte TikTok, Joscelyn Robertson immortalise l’instant, en compagnie de ses compatriotes Skye Blakely, Shilese Jones, Leanne Wong et Kayla DiCello. Elles ne sont donc que cinq sur les six membres d’un Team USA prêt à se lancer dans la quête de l’or du concours par équipes. En commentaire, Heather pose la question à laquelle tout le monde attend une réponse: «Where is Simoneeee

Simone Biles n’est pas là. Pourtant, elle est la cause indirecte de cet après-midi libre improvisé. Quelques heures plus tôt, en entrant sur le podium du Sportpaleis, la gymnaste la plus médaillée de l’histoire subit ce que sa mère appellera un choc post-traumatique. L’immense salle presque vide fait résonner ses pas rapides et ses sanglots à peine contenus. Au menu de son après-midi, il n’y aura pas de visite, mais un FaceTime avec sa thérapeute, qu’elle a pris l’habitude de voir tous les jeudis depuis son retour des Jeux olympiques de 2021. Elle recevra aussi Nellie, la femme de son grand-père (NDLR: qui l’a élevée, adoptée et qu’elle considère comme sa mère), qui passera une bonne demi-heure dans sa chambre d’hôtel chaque jour pour lui tresser les cheveux, rituel rassurant pour apaiser un esprit encore tourmenté.


Le stress d’une compétition par équipes – sa première depuis les Jeux olympiques de Tokyo où son retrait avait tant fait parler – manque de faire s’effondrer les nouvelles fondations construites depuis deux ans pour retrouver le haut niveau.

«Maman, je suis perdue»

La forteresse Biles s’était écroulée au Japon, peu après le début de Jeux reportés d’un an, puis disputés dans un angoissant huis clos. Parmi les stars mondiales qui se partagent le haut de l’affiche, la gymnaste américaine occupe alors une place de choix. Quadruple championne olympique cinq ans plus tôt à Rio et 19 fois médaillée d’or sur les championnats du monde en huit ans, celle qui possède également la nationalité bélizienne porte sur ses épaules les attentes d’un monde du sport qui l’imagine faire encore mieux qu’au Brésil lors de l’olympiade précédente. Là, ses prestations hors normes en avaient pourtant fait la porte-drapeau de la bannière étoilée lors de la cérémonie de clôture des Jeux, un honneur qui n’avait encore jamais été réservé à une gymnaste américaine.

Dans son vol vers Tokyo, pourtant, Simone Biles sent que tout ne se passe pas comme prévu. Bien sûr, elle n’en parle pas. Au sein de l’équipe américaine, dans une discipline où le turnover est important car la date de péremption des gymnastes arrive très tôt, elle est la seule à avoir déjà une expérience olympique dans les valises. Elle doit donner l’exemple.

«Elle ne pouvait pas expliquer ce qui lui arrivait, et les médecins qu’elle a consultés n’en étaient probablement pas capables non plus.»

Laurent Landi


Pourtant, dès les premiers mouvements du concours par équipes, tout s’effondre. Simone Biles racontera qu’elle avait alors la même sensation qu’une personne qui se lèverait le matin et serait soudain incapable de conduire. «Tu n’as plus aucun contrôle de ton corps, c’est terrifiant», raconte la gymnaste dans la presse américaine. Les vrilles, pourtant si basiques pour une sportive de son talent, se mettent à l’effrayer comme jamais. Même en voir à la télévision lors des épreuves de gymnastique suivantes, pour lesquelles elle déclarera forfait, crée chez elle des situations d’angoisse. Laurent Landi, son entraîneur français, résume pour Associated Press: «Elle ne pouvait pas expliquer ce qui lui arrivait, et les médecins qu’elle a consultés n’en étaient probablement pas capables non plus. Elle ne pouvait tout simplement plus fonctionner. Elle ne pouvait plus être une gymnaste.»

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Dans la foulée de son abandon au concours général par équipes, Simone appelle Nellie, restée de l’autre côté du Pacifique pour ces JO fermés au public. Elle fond en larmes: «Maman, je suis perdue.»


Sur la poutre, là où vriller ne fait pas partie du programme, Simone Biles se retrouve, du moins un peu. Elle parvient à décrocher une médaille. De bronze, certes, mais «l’une des plus belles» de sa carrière, quand elle regarde dans le rétroviseur. Partout, dans le monde du sport, elle est félicitée ou ovationnée. Elle quitte toutefois rapidement son cauchemar japonais, et retrouve peu à peu ses sensations une fois rentrée à la maison. Dès le début des thérapies qu’elle entame sur la voie de la guérison, elle commence à mettre des mots sur ce qu’elle a ressenti. La peur de décevoir, les images des critiques sur Twitter lui venant à l’esprit dès que l’un de ses mouvements s’éloignait de la perfection. Tout ce que les gens allaient pouvoir penser d’elle, qui incarnait tant d’attentes, la paralysait.

Une nouvelle routine

La phrase jaillit entre deux bouchées. Simone Biles est à table avec Laurent et Cécile Landi, ses entraîneurs, et leur annonce sa volonté d’être à Paris pour les Jeux olympiques en 2024. La réponse est un refus. Le couple français craint une rechute, et propose donc d’abord à Simone de reprendre progressivement l’entraînement pour tenter de retrouver le plaisir de la gymnastique sans les attentes qu’elle implique. Au mois de septembre 2022, un peu plus d’un an après le traumatisme japonais, la meilleure gymnaste de l’histoire enfile donc à nouveau sa combinaison.

La passion revient avec la vigueur d’un appui sur un tremplin. Dès le début de l’année 2023, Simone Biles passe à la vitesse supérieure et se fixe une nouvelle routine. Un réveil aux aurores (6h20), une première session d’entraînement de 7 à 10h00, puis un retour à la maison pour promener ses trois bulldogs et faire une sieste. De 14 à 17h00, c’est le deuxième entraînement de la journée qui est au programme. Elle dévore ce copieux menu les lundis, mardis, mercredis et vendredis. Les jeudis et samedis ne sont que des demi-journées, l’après-midi du jeudi étant consacré à sa visite hebdomadaire chez la thérapeute, alors que le dimanche est une journée de repos. Une fois le mois de mai passé, et son mariage acté avec la star du football américain Jonathan Owens, Simone passe encore à la vitesse supérieure, avec un retour à la compétition véritablement dans le viseur. Il est officiellement annoncé fin juin, avec l’US Classics du mois d’août comme première étape. Victorieuse, évidemment, en ressortant ce Yurchenko double carpé présenté avant les Jeux de 2021 et qu’elle est la première gymnaste au monde à maîtriser.


Championne des Etats-Unis pour la huitième fois au concours général dans la foulée, Simone Biles est également sacrée au sol et à la poutre, se contentant du bronze aux barres asymétriques. Son pays est toutefois prévenu: elle est de retour. Evidemment aux premières loges, Laurent Landi a le sourire parce qu’il voit celui de sa gymnaste. Il comprend qu’elle est là pour le plaisir, même si cet équilibre reste fragile: «Simone sait que ce qu’il s’est passé à Tokyo peut encore arriver, puisque c’est déjà arrivé.»

De retour à Anvers

Anvers est une étape encore supérieure dans le processus, puisqu’il s’agit désormais de briller devant les yeux du monde entier. Il y a la fuite de l’entraînement, les dialogues plus fréquents avec la thérapeute à l’approche des compétitions, les cheveux tressés par Nellie, mais aussi la peur. «J’étais vraiment pétrifiée», admet Simone Biles en se remémorant l’épisode anversois. «Finalement, j’ai compris que rien que prendre le risque de m’autoriser à être vulnérable devant une tribune remplie lors d’une compétition était déjà une victoire.»

Des victoires, il y en aura d’autres. Il faut dire que dans le Sportpaleis anversois, l’Américaine se sent bien. «C’est un endroit spécial pour elle. Cela restera toujours une ville qui lui procurera de super souvenirs», explique Cécile Landi à la DH avant l’entrée en scène de la championne. En 2013, alors qu’elle n’a que 16 ans, c’est en effet à Anvers qu’elle remporte les premières médailles de son impressionnante moisson mondiale en devenant championne du monde du concours général individuel et des agrès au sol, deux titres auxquels elle ajoute une médaille d’argent au saut et une de bronze à la poutre.


Une décennie plus tard, Simone Biles fait encore mieux: quatre médailles d’or, dont celles du concours général individuel et surtout du concours par équipes, bien plus difficile à appréhender mentalement face au regard que pourraient porter ses compatriotes sur une contre-performance. Même le couple Landi est admiratif. Laurent le concède: «On ne savait pas si elle avait envie de refaire tout ça. Nous, on est juste là pour l’accompagner.»

Libérer la parole

Pour que l’histoire prenne la tournure d’un conte de fées, il serait facile d’écrire que Simone Biles est guérie. Dans son entourage comme dans ses interviews, on comprend pourtant rapidement que c’est loin d’être le cas. La rechute guette à tout moment, et tous se préparent à amortir ce choc éventuel.

Mentalement, Simone Biles se prépare au mieux pour supporter l’effervescence et les attentes, avec la conscience que la peur peut regagnerdu terrain à tout moment.

L’énergie semble néanmoins avoir changé. Au retour des Jeux de Tokyo, c’est en participant au «Gold Over America Tour» qu’un premier déclic était survenu. La gymnaste avait alors constaté que malgré une olympiade qui avait tourné au fiasco, l’amour que lui portait le public lors de cette tournée de shows de gymnastique était encore plus fort qu’auparavant. Dans le milieu du sport aussi, beaucoup ont salué son geste qui a permis de libérer la parole de nombreux athlètes sur leur santé mentale. Alors qu’une retraite semblait être la seule issue, Simone Biles, aujourd’hui âgée de 27 printemps, s’est finalement mise à envisager ce fameux retour qu’elle réussira à l’échelle mondiale deux ans plus tard. Avec un raisonnement qui paraît implacable: «Je ne veux pas me retrouver dans dix ans à regarder en arrière, et à me dire que j’aurais voulu essayer.»


Même si l’exigence sportive est la même, la concurrence identique, son retour sur le devant de la scène olympique à Paris n’a rien à voir avec les Mondiaux d’Anvers en termes d’exposition médiatique et de pression nationale. Simone Biles le sait, évidemment. Physiquement, elle est au meilleur de sa forme.


Mentalement, elle se prépare au mieux pour supporter l’effervescence et les attentes, avec la conscience que la peur peut regagner du terrain à tout moment. Si cela devait arriver, elle connaît désormais sa routine, avec sa thérapeute affichée sur son téléphone et les tresses de Nellie qui se forment dans ses cheveux. Pour le reste de l’équipe, pas d’inquiétude: Paris compte bien assez de musées.

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