Comment la nouvelle Ligue des Champions va renforcer les excès du foot
Elle se joue désormais à 36, en un seul grand groupe. Plus de participants, plus de matchs. Analyse des raisons de cette surenchère.
Le Club Bruges est le seul représentant belge à goûter dès cette saison à une nouvelle formule de la Ligue des Champions qui fait déjà parler d’elle. Survol des débats en six questions.
Comment fonctionne le nouvelle formule de la Ligue des Champions?
La Champions League a été complètement remaniée. Il s’agit désormais d’un véritable championnat, et non plus d’un tournoi comme auparavant. Fini, les équipes réparties en poules de quatre avec une qualification des deux premiers. La formule a été remplacée par une grande compétition à laquelle participent 36 clubs.
Chaque équipe disputera huit matchs contre huit adversaires différents, quatre à domicile et quatre à l’extérieur. Un classement sera établi à partir de ces rencontres, une longue liste de 36 équipes. Les huit premiers se qualifient directement pour la phase à élimination directe. Les numéros 9 à 24 s’affronteront dans des matchs de barrage, en aller-retour. Les vainqueurs affronteront les huit premiers du classement en huitièmes de finale. Pour les équipes entre la 25e et la 36e place, la saison européenne sera terminée.
Pourquoi ce changement de Ligue des Champions?
Pour résumer, les grands clubs souhaitent plus de matchs de haut niveau. Leur nombre, en Ligue des champions, augmente donc fortement, passant de 125 à 189. Et les recettes suivent… Les clubs participants perçoivent une prime de 18,6 millions d’euros au démarrage. C’est trois millions de plus que lors de l’édition précédente. La prime par victoire, elle, diminue légèrement, à 2,1 millions par succès. Mais il y a plus de matchs, donc plus de chances d’empocher le jackpot. Le classement final est lui aussi assorti d’une prime: 275.000 euros pour le dernier, et 275.000 euros supplémentaires pour chaque place gagnée. L’argent supplémentaire provient de deux nouveaux sponsors que l’UEFA a attirés: une plateforme d’échange de cryptomonnaies et une société de jeux d’argent.
Les droits télévisés constituent toutefois la plus grosse part du gâteau financier: un montant versé par les diffuseurs et distribué en fonction de l’intérêt des médias. Le montant total de ce market pool s’élève à 853 millions d’euros. Le Club Bruges, issu d’une petite nation de football et qui a peu de supporters étrangers, en retirera une belle somme, mais ce ne sera qu’une fraction de ce que percevront les clubs anglais et espagnols. Même si le Club atteint la finale, il gagnera moins d’argent de sa saison de Ligue des champions que les équipes de renom.
Que reflètera vraiment le classement d’une compétition contre 35 autres équipes, toutes confrontées à des adversaires différents?
Quels sont les avantages?
Le format permet de satisfaire de nombreuses parties aux intérêts opposés. Les géants du football européen obtiennent plus de matchs et sont heureux de se rencontrer en début de saison. Ce sont des rencontres que les amateurs de sport attendent avec impatience –le Real Madrid contre Liverpool, le Bayern Munich contre le FC Barcelone. En outre, une défaite n’y est certainement pas une catastrophe. Les ordinateurs de l’UEFA ont calculé qu’un club a besoin de quatorze ou quinze points pour figurer dans les huit premiers, et de 7,6 points pour se qualifier pour la phase à élimination directe. Il serait inattendu que les grandes équipes n’y parviennent pas en huit matchs.
Pour les plus petites, la nouvelle Ligue des champions est tout aussi intéressante. Elles jouent des matchs de haut niveau, mais rencontrent aussi des adversaires de niveau équivalent. La barre des 7,6 points devient donc un objectif réaliste pour presque tous les participants. Deux victoires et deux nuls, et elles y sont. Après cela, un mégaclub européen les attendra et l’aventure pourrait s’arrêter.
Quid des inconvénients?
L’UEFA manie l’ironie. L’Association européenne de football a diffusé une vidéo embarrassante dans laquelle d’anciennes stars du football, notamment le gardien italien Gianluigi Buffon, déclarent ne rien comprendre au nouveau format. C’est douloureusement mal joué, mais le constat reste le même: le dispositif est compliqué, alors que les compétitions sportives gagnent à être simples. Une question plus fondamentale est de savoir si la Ligue des champions remaniée a un sens. Que reflétera vraiment le classement d’une compétition contre 35 autres équipes, toutes confrontées à des adversaires différents?
Les équipes de pointe sont servies avec de nombreux matchs, mais beaucoup d’entre eux ne seront que des formalités. Parmi les meilleures équipes, le Paris Saint-Germain a obtenu le tirage le plus difficile, avec Manchester City, le Bayern Munich, l’Atlético Madrid, Arsenal, le PSV, Salzbourg, Gérone et Stuttgart. Toutefois, même avec cinq défaites et trois victoires, le PSG passera presque certainement au tour suivant. Le nouvelle formule pourrait s’effondrer en raison d’un manque de suspense, bien que l’ancienne Ligue des champions ait également souffert de ce problème. La question qui se pose est la suivante: PSG-Manchester City aura-t-il l’air d’un grand moment de football ou d’un simple match d’entraînement?
Les économistes du sport s’inquiètent du fait que l’argent de la Ligue des champions cimente définitivement la hiérarchie au sein des petites nations de football. La Belgique n’échappe pas à cette règle. Avec le Club Bruges qui récolte à nouveau tous ces millions, la compétition sera-t-elle encore en mesure de combler ce fossé? Plus le pays est petit, plus l’impact est important. Rien qu’avec l’argent de la prime de démarrage de la Ligue des champions, le Slovan Bratislava pourrait acheter la moitié de son championnat!
Bientôt l’overdose de foot à la télé?
Tout le monde se plaint du trop-plein de football à la télévision. Les chiffres d’audience montrent néanmoins que les supporters répondent toujours présent. Les droits de retransmission sont malgré tout en baisse presque partout dans le monde, à cause d’une guerre des enchères malsaine dans les années 2020-2022, lorsque regarder la télévision était à peu près le seul passe-temps autorisé lors de la crise du Covid. Les plateformes de diffusion en continu n’investissent pas encore massivement dans le sport en direct, mais on s’attend à ce qu’elles le fassent à un moment ou à un autre. Les sommes qui circulent aujourd’hui pourraient donc bientôt se transformer en petite monnaie. C’est du moins ce qu’espèrent les dirigeants de l’industrie du football.
Dans le foot, organiser plus signifie gagner plus. Et qui veut plus? Les clubs. Giorgio Marchetti, directeur du football de l’UEFA, a confirmé que «le souhait de jouer des matchs européens plus fréquemment vient des clubs, pas de l’UEFA». Le nouveau format sera maintenu jusqu’à la saison 2027-2028, il fera ensuite l’objet d’une évaluation. On entend déjà dire qu’il n’est qu’une étape intermédiaire vers une réforme encore plus importante.
Quand les joueurs diront-ils stop?
Il faut beaucoup chercher pour trouver un footballeur de haut niveau enthousiaste à la réforme de la Ligue des champions. Les joueurs s’inquiètent de la charge supplémentaire de matchs. La Fifpro, l’association mondiale des footballeurs professionnels, a diffusé un rapport qui établit un lien entre l’augmentation de la charge de travail et celle du nombre de blessures, même s’il n’y a pas de consensus scientifique sur ce point. En tout état de cause, les meilleurs joueurs d’aujourd’hui se blessent beaucoup moins souvent que ceux des générations précédentes, mais la surveillance médicale s’est fortement accrue et améliorée et les arbitres autorisent beaucoup moins de choses.
La Fifpro a intenté une action en justice contre la Fifa pour dénoncer le calendrier surchargé du football. Cette action a été motivée par la nouvelle Coupe du monde des clubs, qui se déroulera pour la première fois aux Etats-Unis en juillet 2025. Trente-deux équipes, dont douze européennes, s’affronteront dans une compétition qui durera environ un mois. La Fifpro est restée silencieuse sur la Ligue des champions remaniée. C’est que les clubs, c’est-à-dire les employeurs des joueurs, la soutiennent sans réserve, voire estiment qu’elle ne va pas encore assez loin. Ils sont moins enthousiastes à l’égard de la Coupe du monde des clubs. Les matchs contre des clubs d’Arabie saoudite ou des Etats-Unis sont toujours populaires auprès des grands clubs européens, mais seules trois équipes de ces pays ont réussi à se qualifier. Une Coupe du monde contre des adversaires mexicains, tunisiens ou australiens semble moins intéressante d’un point de vue commercial.
Les footballeurs qui se plaignent oublient que l’argent frais de la Ligue des champions paie leurs salaires de plus en plus élevés. Or, les coûts salariaux pèsent de plus en plus lourd dans le budget des équipes, ce qui accroît la nécessité d’augmenter les recettes. Le serpent se mord la queue.
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