Comment la Belgique s’est mise à gagner des médailles dans les sports d’hiver
Avec trois titres européens en l’espace de quelques jours, la Belgique de la glisse montre qu’elle est devenue un (petit) pays de sports d’hiver.
Il y a Loena Hendrickx. La première Belge de l’histoire à se parer d’or lors d’un championnat d’Europe de patinage artistique. C’était le 13 janvier dernier, à Kaunas, en Lituanie. Deux marches plus bas sur le podium, la jeune bruxelloise Nina Pinzarrone, 16 ans à peine, complète le triomphe de la Belgique avec une médaille de bronze. Aucune nation, pas même la surpuissante Russie désormais bannie de la compé- tition, n’avait réalisé une telle prouesse depuis l’Allemagne de l’Ouest, en 1989.
Il y a aussi Hanne Desmet. Championne d’Europe l’an dernier sur le 1 000 mètres du short-track, la course de patinage de vitesse sur piste courte. Un titre qu’elle a reconduit mi-janvier sur la patinoire de Gdansk, en Pologne, décrochant, en outre, une médaille de bronze sur 500 mètres. Deux médailles auxquelles on peut ajouter celles, en bronze, de son frère Stijn, sur 500 et 1 000 mètres.
On peut aussi toujours compter sur Bart Swings, le pionnier de la glace belge. Début janvier, à Heerenveen, aux Pays-Bas, le patineur de vitesse a garni un peu plus son palmarès sur la mass-start (une épreuve en départ groupé), devenant champion d’Europe pour la troisième fois. La discipline est littéralement devenue sa chasse gardée, puisqu’il en était déjà le champion olympique (2022) et mondial (2023) en titre.
Pour la première fois de son histoire, notre pays voit donc l’un de ses représentants régner sur le continent dans trois disciplines olympiques hivernales différentes. Des résultats qui confirment une tendance déjà observée depuis les Jeux olympiques de Pékin, en 2022: la Belgique devient un (petit) pays de sports d’hiver. En snowboard avec la talentueuse Evy Poppe, en ski avec l’incroyable Thimistérien Armand Marchant, seul Belge à avoir engrangé des points en Coupe du monde, mais surtout sur la glace, où nos athlètes furent les seuls, avec les Italiens, à ramener des médailles des trois championnats conti- nentaux de l’hiver: le patinage de vitesse, le patinage artistique et le short-track. Même les Pays-Bas n’y sont pas parvenus, par manque d’athlètes de référence dans la discipline artistique. Pourtant, la culture batave du patinage n’est plus à démontrer.
La Belgique cible les sports et les infrastructures
En comparaison avec ses voisins du nord, la Belgique ne compte même pas de patinoire dotée d’une piste de quatre cents mètres, les dimensions olympiques. Loena Hendrickx et Nina Pinzarrone doivent d’ailleurs franchir les frontières pour trouver des portions de glace libres pour leurs heures d’entraînement. Dans ces conditions, comment la Belgique est-elle devenue un pays de sports d’hiver?
La réponse se trouve surtout en Flandre. «Ces dernières années, nous avons investi les fonds consacrés aux sports d’hiver de façon ciblée, principalement dans trois disciplines: le snowboard, le patinage artistique et le short-track», détaille Tom Coeckelberghs, responsable de la division «Topsport» de Sport Vlaanderen et ancien directeur de la Fédération flamande des sports de neige. Des sports pour lesquels la Belgique a une certaine tradition olympique, mais aussi des infrastructures à disposition, avec cinq clubs qui proposent du short-track sur leur patinoire à Hasselt, Louvain, Deurne, Gand et Bruges. Mais aucun club wallon. L’aile francophone de la Fédération est considérée comme dormante, bien qu’il y ait de belles patinoires en Wallonie…
Sport Vlaanderen exploite elle-même trois patinoires de 30 x 60 mètres, à Hasselt, Liedekerke et Herentals, disponibles pour les jeunes talents du short-track ou du patinage artistique, dans des circonstances et à des horaires néanmoins loin d’être idéaux.
Les chantiers sont donc en cours. Dans les tuyaux, on trouve le projet de nouvelles patinoires de 30 x 60 mètres à Herentals et à Hasselt, pour un coût estimé entre vingt et 25 millions d’euros. Les prochaines élections seront capitales pour qu’aboutisse ce dossier qui, même s’il est validé, ne permettra pas aux infrastructures d’être disponibles avant 2028. Quant à l’éventualité d’une piste glacée olympique de quatre cents mètres à Hasselt, sur la table depuis de nombreuses années, sa réalisation semble bien moins probable en ces temps d’économies pour la Belgique.
La Flandre, représentante presque intégrale des espoirs belges pour les sports hivernaux, se targue en outre d’avoir ouvert deux «dryslopes» à Genk, en 2022. Des pistes sèches destinées aux snowboarders, dans un complexe évalué à 4,3 millions d’euros et qui suscite la jalousie de nom- breux pays environnants. «C’était important pour le développe- ment de nos jeunes espoirs du snowboard, comme Evy Poppe, qu’on veut accompagner jusqu’aux sommets mondiaux, souligne Tom Coeckelberghs. Nous avons décidé de nous focaliser avec elle sur les disciplines plus artistiques plutôt que sur les compétitions de vitesse pour lesquelles nous manquons de pistes plus longues et pentues pour offrir des conditions d’entraînement de qualité.»
Et chez les francophones? Nina Pinzarrone s’est «expatriée» en Flandre. Le skieur Armand Marchant a effectué sa préparation pour la nouvelle saison en Finlande, en Suède, en Suisse et en Argentine avec son nouvel entraîneur croate. Et pour détecter ses futurs talents, la Fédération francophone belge de ski organise – jusqu’au 22 mars –ses journées de sélection à la Snow Valley à… Peer, dans le Limbourg.
Soutien financier
«Parmi nos sportifs, nous avons des références mondiales que nous soutenons au maximum de nos possibilités financières en fonction de leurs besoins spécifiques en matière de coaching et d’encadrement», ajoute Tom Coeckelberghs.
Malgré tout, Hanne et Stijn Desmet s’entraînent en permanence de l’autre côté de l’Atlantique, avec des frais de coaching et de location de piste soutenus par Sport Vlaanderen. Exilés au Canada après leur brouille avec le centre d’Heerenveen où s’entraînent les meilleurs short-trackers néerlandais, les Desmet ont récemment été rejoints par les autres membres belges des équipes de relais de la discipline pour une partie de leur préparation. Un avantage qui permet à tous de s’améliorer au contact des locomotives de la famille malinoise.
Ces investissements sont permis par des choix parfois drastiques dans d’autres disciplines. Ainsi, le budget du bobsleigh, qui a pourtant longtemps fourni une partie des maigres délégations olympiques hivernales du pays, a vu son budget fortement amputé. «Quand Sara Aerts et An Vannieuwenhuyse ont décidé d’arrêter après les Jeux olympiques de Pékin, aucun nouveau talent n’a pris la relève, justifie Tom Coeckelberghs. Qui plus est, nous ne possédons pas d’infrastructures pour le bobsleigh et le matériel est assez cher.»
Le soutien reste toutefois possible pour des disciplines plus confidentielles lorsque des talents du niveau du Top 8 mondial émergent, à l’image de Kim Meylemans en skeleton (sport ressemblant à la luge, mais qui se pratique à plat ventre, tête en avant).
Un budget en hausse?
C’est cette faculté à faire éclore des talents capables de viser le Top 8 mondial qui déterminera une éventuelle hausse du budget consacré aux sports d’hiver. Actuellement, environ 6% de l’enveloppe de Sport Vlaanderen sont consacrés aux sports d’hiver, soit 20,4 millions d’euros par an. Du côté francophone, le montant s’élève à 335 000 euros, soit 2,7% du budget total consacré au sport de haut niveau.
«La clé est d’investir avec bon sens, conclut Tom Coeckelbergs. En premier lieu, en consacrant l’argent à des sportifs ambitieux et talentueux, au travers de programmes de développement et de prestation. De préférence dans des disciplines pour lesquelles nous disposons d’une certaine tradition et de bonnes infrastructures. C’est ainsi qu’à terme, on pourra “façonner” des médaillés qui pourront devenir des modèles inspirants pour les jeunes générations. Dans des sports moins médiatisés, c’est capital.»
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