Comment 777 a changé le Standard
Un an après le rachat par 777 Partners, le Rouche n’a pas changé de peau mais affiche un visage revigoré. Esquisses du Standard de demain.
Une photo et un cliché. C’est la première image du nouveau Standard, saisie le 3 avril 2022 dans la tribune d’honneur d’un Sclessin ensoleillé pour la réception de l’Union Saint-Gilloise. Bien plantée au sommet du crâne de Josh Wander, la casquette est l’accessoire indispensable de la panoplie américaine. Presque un symbole national pour poser le décor d’un Liège version US. C’est à se demander si, sans la méfiance de son président Vladimir Poutine envers toute velléité d’investissement européen, le puissant Russe Sergey Lomakin aurait débarqué en bord de Meuse coiffé d’une chapka. Finalement, face au recul russe, c’est à 777 Partners que Bruno Venanzi a revendu son bébé, lui l’ardent supporter à qui l’enfer de Sclessin avait fini par brûler les doigts. Dans la soirée du 11 mars 2022, le communiqué publié par le club mettait un terme à sept années de règne de l’entrepreneur wallon, et confiait les Rouches à des mains étrangères.
Beaucoup de personnes sont restées en place mais la manière de travailler a changé.
Douze mois plus tard, c’est pourtant une silhouette familière qui débarque dans le bureau de Fergal Harkin, l’Irlandais passé par Nike et le City Football Group – constellation de clubs dirigée par les propriétaires de Manchester City – avant d’atterrir dans le siège de directeur sportif du Standard. Passé par les costumes de team manager, conseiller juridique ou directeur de l’académie lors de la dernière décennie, Pierre Locht accepte un chargeur pour alimenter sa batterie et une eau plate pour rafraîchir ses idées. Depuis cet été, il est le CEO d’un club dont les visages ont moins changé qu’attendu. «C’est un raisonnement qu’on peut à la fois appliquer sur et hors du terrain, acquiesce le Fagnard. On a eu des changements, mais pas énormément. Beaucoup de personnes sont restées en place mais ont vécu un nouveau départ. La manière de travailler a changé, avec un actionnariat qui n’est pas présent au quotidien.»
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Si la maison mère de 777 Partners a ses quartiers à Miami, c’est à Londres que la société a établi son Football Group, essentiellement dirigé par des cadres piochés dans les clubs de la puissante Premier League. A sa tête, on retrouve, par exemple, Don Dransfield, ancien directeur de la stratégie du City Football Group. C’est à Leicester, dans les bureaux d’un autre club de l’élite anglaise, que 777 a débauché Mladen Sormaz, devenu Director of Football Analytics. L’expertise du championnat le plus riche de la planète au service d’un hydre du ballon rond, déjà propriétaire des clubs de Regatas Vasco da Gama (Brésil), du Genoa (Italie), du Red Star (France), de Melbourne Victory (Australie) et donc du Standard, en plus d’être actionnaire minoritaire au FC Séville (Espagne) et de bientôt mettre la main sur le Hertha Berlin (Allemagne). Le tout supervisé à distance, depuis l’autre côté de la Manche, comme s’il fallait une terre neutre pour montrer l’absence de hiérarchie entre les différentes têtes de la créature. «Il ne peut pas y avoir de hiérarchie, insistait Josh Wander, patron de 777 Partners, dans la DH au lendemain de sa découverte de la principauté. Chaque club doit simplement essayer d’avoir autant de succès que possible en fonction de son budget.»
Le report des keynotes
Les finances, c’est le dossier majeur auquel sont confrontés les nouveaux patrons de Sclessin. C’est en voyant sa licence refusée, son club privé du sésame indispensable pour disputer des rencontres de première division, que Bruno Venanzi commence à chercher des partenaires au printemps 2020, avant de se résoudre à vendre l’entièreté de son club deux ans plus tard. Les nouvelles têtes se succèdent, comme autant de bouées de sauvetage qui finissent par prendre l’eau dans la tempête permanente des bords de Meuse. En définitive, quand Fergal Harkin peut enfin établir ses quartiers dans la Cité ardente, il range vite les keynotes préparées en marge de ses trois mois de préavis à Manchester City pour se concentrer sur une mission majeure: la stabilité. «Sur le terrain comme à l’extérieur, il y avait beaucoup de personnes compétentes dans ce club, mais qui avaient avant tout besoin d’être rassurées. La clé, c’était de mettre les gens en confiance, de créer un environnement où chacun pourrait se sentir plus important», souligne l’Irlandais deux jours avant la visite de Westerlo, démonstration rouche à domicile qui illustrera à merveille ce discours très «start-up» sur le bien-être au travail.
Probablement parce que le directeur sportif est anglophone, sans doute parce que le football le devient à mesure qu’il s’abreuve aux influences anglo-saxonnes, les mots qui définissent le nouveau Standard sortent dans la langue de Sir Alex Ferguson: «Workrate, energy, good people.» Une triade incarnée à merveille par Ronny Deila, nouveau visage majeur d’un Standard dont une grande partie du noyau foulait déjà les pelouses liégeoises avant le rachat du club. Connaissance de longue date de Fergal Harkin, l’entraîneur norvégien est le nom glissé par l’Irlandais lors de sa rencontre, à Londres, avec les têtes pensantes sportives du projet 777. L’idée déclenche un éclat de rire, quand les équipes du Football Group dévoilent à Harkin leurs dossiers qui placent Deila en pole position. «Il est le coach parfait pour ce club», confirme a posteriori le directeur sportif, conforté par les résultats inattendus obtenus par le Scandinave avec un groupe noyé à une anonyme quatorzième place la saison dernière. «C’est l’exemple de l’ADN du Standard, abonde Pierre Locht. Il est très structuré lors de la semaine, mais il parvient à amener la folie, disons plutôt l’énergie, qui fait la particularité de ce club lors des matches du week-end pour la transmettre aux supporters.»
Ronny Deila amène de la structure la semaine et de l’énergie le week-end: c’est l’ADN du Standard.
Là où ses prédécesseurs étaient parfois contredits par les autres membres de la cellule sportive lors de chacune de leurs décisions, le Norvégien peut compter sur le soutien quotidien de Fergal Harkin pour installer une nouvelle culture de club sur les hauteurs du Sart-Tilman, là où se niche le centre d’entraînement du Standard. Avec le nouvel état d’esprit positif qui contamine les couloirs de l’académie rouche, certains joueurs se sont métamorphosés. Eblouissant chez les jeunes mais toujours considéré trop léger pour les pelouses professionnelles, William Balikwisha est l’incarnation de ce nouvel élan. Elu meilleur joueur du tournoi de Ploufragan, réservé aux moins de 21 ans, le dribbleur écœure la concurrence, survole la compétition à tel point que les jeunes des autres équipes squattent les tribunes pour le regarder jouer, mais n’explose ni au Standard ni ailleurs, le club français du Mans – principal courtisan – se retirant de la liste de ses prétendants après s’être étonné de la voir trop peu peuplée. Il devait y avoir un problème, se dit-on alors dans la Sarthe. Deux ans plus tard, les ennuis sont surtout constatés sur les reins adverses, martyrisés par les crochets courts et les appuis puissants d’un joueur libéré par son nouvel environnement.
Les effrayants tentacules du réseau
Chez les Liégeois, la formation des jeunes reste salutaire, surtout dans une période aux comptes toujours précaires. Après avoir racheté le club, les financiers de 777 Partners ont ramené le capital au minimum légal, pour une SA, de 61 500 euros. Si une deuxième tranche de l’augmentation de capital de quinze millions d’euros promise au moment du rachat a été versée à la fin de l’année dernière, le mercato de janvier est resté presque silencieux, confirmant la tendance d’un nouveau propriétaire peu dépensier depuis l’été. Pire, le départ de l’éternel espoir roumain Denis Dragus vers le club «frère» du Genoa est perçu par certains comme le retour d’un carrousel de joueurs expérimenté à l’époque de la présidence de Roland Duchâtelet. Pourtant, les liens entre les différentes branches de l’arbre footballistique floridien restent ténus.
Si Johannes Spors, directeur sportif du Football Group depuis le mois de juillet dernier, sort tout juste du bureau de Fergal Harkin en ce jeudi hivernal mais ensoleillé, c’est avant tout pour prendre la température du Standard. «Johannes a un intérêt pour tout ce qui se passe au niveau sportif et il nous donne son avis, mais les décisions restent les nôtres, balise l’Irlandais. Le réseau de clubs, pour nous, c’est un support. Ça permet de rendre certaines choses plus rationnelles: on ne va pas envoyer un scout du Standard au Brésil, alors que le Football Group possède un club là-bas et scanne déjà le championnat de très près.» Ces derniers mois, le département de recrutement liégeois, qui avait été réduit à un seul scout sous contrat dans le sprint final de l’ère Venanzi, a ainsi étoffé ses rangs sans pour autant dépasser les limites d’un budget désormais précisément ficelé par département.
«Aujourd’hui, on a une vue plus claire sur les finances, et plus de responsabilités pour les respecter dans chaque secteur, précise Pierre Locht. Par contre, on est vraiment autonomes. Finalement, on est un club comme un autre, avec un comité de direction à Liège qui prend toutes les décisions. Forcément, certaines doivent être validées par l’actionnariat, quand elles dépassent un certain palier financier. Par contre, aucune action proactive ne vient de Londres vers les clubs, ou presque. La notion de réseau est un support supplémentaire, mais ne change pas notre mode de fonctionnement.» Tant pis si les buts récemment inscrits pour le compte de l’équipe espoirs par Aleksander Buksa, attaquant polonais prêté par le Genoa après une expérience infructueuse à Louvain, augmentent parfois l’impression d’être au cœur d’une toile d’araignée. Là aussi, le mouvement a permis de renforcer l’équipe, en lutte pour le maintien en deuxième division, sans ouvrir le portefeuille. D’emblée, Josh Wander avait annoncé la couleur: «La première chose à faire est de créer un profil financier durable.»
On ne va pas envoyer un scout au Brésil, alors qu’on possède déjà un club là-bas.
Amérique sur Meuse
«Il faut être conscient que revenir vers le sommet ne se fait pas en un ou deux mercatos», pose Fergal Harkin à l’heure des perspectives. Si l’Irlandais annonce du mouvement cet été, notamment en coulisses pour renforcer l’accompagnement des performances et de la progression des jeunes talents rouches, il est également conscient qu’il a pris le départ d’un marathon plutôt que d’un sprint en posant ses valises à Liège. D’autant qu’à court terme, plus que l’argent, ses meilleures armes seront la patience et le sourire: «Ce qu’on fait, ce n’est pas de la rocket science. De Pierre Locht, qui est au sommet de l’arbre de ce club, jusqu’à chaque employé, tout le monde doit avoir les mêmes valeurs et la même vision. Tout ça permettra de créer un environnement où les gens viennent travailler chaque jour avec le sourire.»
Les dents qui débordent et les yeux qui brillent, c’est précisément la posture d’Aron Donnum quand il pose le genou à terre, en plein cœur de l’automne et à même la pelouse liégeoise dans la foulée d’un succès avorté contre Anderlecht (le match a été arrêté par les supporters visiteurs). L’ailier norvégien, transfert majeur et déception majuscule de la saison écoulée, s’épanouit enfin à Sclessin au point d’y demander sa compagne en mariage devant des dizaines de milliers de spectateurs. Si le romantisme de la démarche donne matière à débat, l’initiative est sans équivoque aux yeux d’un Fergal Harkin au sourire contagieux: «Vous l’auriez imaginé faire ça la saison passée? Jamais il ne l’aurait envisagé. Peut-être même qu’il aurait été sifflé (rire).»
Tout a commencé avec une casquette en tribune. L’histoire a tourné en demande en mariage en public. Couvre-chefs et happenings: finalement, Sclessin, c’est peut-être un peu l’Amérique.
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