Jochen Rindt a longtemps attendu son heure pour briller. Spa-Francorchamps lui a offert son premier podium. © Getty Images

Champion du monde de F1 un mois après sa mort: l’étrange histoire de Jochen Rindt

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’essentiel

• Jochen Rindt, pilote autrichien de Formule 1, est décédé le 5 septembre 1970 sur le circuit de Monza, en Italie.
• Il est le seul pilote de l’histoire de la F1 à devenir Champion du monde à titre posthume.
• Rindt était connu pour son pilotage spectaculaire et audacieux.
• Toujours désireux de franchir les limites, l’homme jouait au génie de la mécanique avec les ailerons, technologie qui commençait alors à se développer.
Jacky Ickx fut soulagé de ne pas l’avoir rattrapé au classement cette année-là. Il n’aurait pas aimé être couronné dans ces circonstances.

Jochen Rindt est décédé le 5 septembre 1970. Un mois plus tard, il devenait le premier Champion du monde à titre posthume de l’histoire de la Formule 1.

Tout doit se terminer à Monza. Certes, il restera encore trois courses après avoir fait décoller les compteurs sur la rapide piste italienne, mais l’édition 1970 du championnat du monde de Formule 1 ne semble plus pouvoir échapper à la Lotus de Jochen Rindt. L’Autrichien a été le premier à croiser la route du drapeau à damiers lors de cinq des neuf premières courses de la saison, et son avance au classement général est telle qu’il aurait déjà pu coiffer sa première couronne mondiale trois semaines plus tôt, à domicile. Lâché par son moteur en début de course lors du Grand Prix d’Autriche, le leader du championnat du monde est menacé par la Ferrari du Belge Jacky Ickx, de plus en plus performante en cette deuxième partie de saison. Pour sa tranquillité, il doit mettre fin au suspens au plus vite.

Le pilote autrichien n’est pas du genre à craindre le risque. Son pilotage spectaculaire a fait de lui le roi de la Formule 2, catégorie inférieure à la F1, mais où le niveau des voitures est bien plus homogène, laissant alors davantage de place au talent intrinsèque des pilotes. S’il a dû attendre l’année précédente pour remporter sa première course dans la catégorie reine, c’est surtout parce que ses passages chez Cooper puis Brabham étaient loin de correspondre aux heures de gloire de ces deux écuries. En 1969, il rejoint donc Lotus, équipe dirigée par le fantasque Colin Chapman. L’homme est réputé pour créer des bolides supersoniques, souvent au détriment de leur fiabilité, mais offre enfin à Rindt la possibilité de lutter avec les voitures les plus rapides du paddock. Son accident au Grand Prix d’Espagne 1969 le fait déjà flirter avec la mort et l’oblige à manquer le Grand Prix de Monaco, mais l’épisode semble oublié quand il remporte enfin sa première course en F1 lors de l’avant-dernière épreuve de la saison, disputée à Watkins Glen (Etats-Unis). Ses querelles avec Chapman restent fréquentes, mais son aventure chez Lotus continue.

Il faut dire que l’Autrichien a longtemps attendu son heure. Pour briller en Formule 1, il fallait que les conditions deviennent dantesques. C’est évidemment sur le toujours humide toboggan de l’Ardenne, à Spa-Francorchamps, qu’il fait parler de lui pour la première fois. En 1966, c’est en Belgique qu’il obtient le premier podium de sa carrière dans la catégorie reine des monoplaces. Sous l’averse, il ne doit sa défaite face à John Surtees qu’à des ennuis de moteur sans lesquels il aurait probablement triomphé sur une voiture pourtant inférieure aux meilleures du plateau. Son audace au volant est reconnue par l’ensemble de ses concurrents, héritage d’une jeunesse tumultueuse en Autriche.

Riche héritier de parents allemands, décédés lors du bombardement de Hambourg en 1943, Jochen Rindt emmène très vite son ami Helmut Marko (future tête pensante de l’écurie Red Bull et homme de confiance du Champion du monde Max Verstappen) sur le parcours de courses chaotiques dans la région de Graz, où il fut recueilli par ses grands-parents. Son pilotage spectaculaire lui permet encore de faire parler de lui au London Trophy de 1964, où il devance l’ancien Champion du monde de F1 Graham Hill, puis aux 24 heures du Mans, où il réalise l’année suivante une remontée exceptionnelle en compagnie de Masten Gregory après un début de course marqué par les contrariétés mécaniques. Il semble alors tout avoir pour devenir le futur golden boy de la Formule 1.

La technologie des ailerons avait déjà failli lui coûter la vie la saison précédente, en Espagne.

La Lotus de tous les dangers

Après des années qui semblent se rouler avec un frein à main, Jochen Rindt décide de décoller chez Lotus, suivant l’avis de son conseiller Bernie Ecclestone, futur grand patron de la discipline qui fait là ses premiers pas dans le milieu. Sa Brabham est une voiture fiable, mais la vitesse des Lotus le fera changer de dimension. Voilà la conclusion d’un deal assorti d’un coquet salaire, mais aussi de craintes quant à sa sécurité dans une période où la F1 semble plus mortelle que jamais.

En juin 1970, sur le circuit néerlandais de Zandvoort où Rindt décroche sa deuxième victoire de la saison, Piers Courage perd la vie dans un accident. Le Britannique était un ami proche de Rindt, qui apprend son décès survenu en début de course lorsqu’il monte sur le podium. C’est une série noire, commencée par la mort de son ancien équipier Bruce McLaren lors d’essais et presque poursuivie par John Miles, membre de son écurie actuelle, qui réchappe par miracle d’un accident à Zeltweg sans pour autant apaiser les velléités de vitesse de Colin Chapman. Toujours désireux de franchir les limites, l’homme joue au génie de la mécanique avec les ailerons, technologie qui commence alors à se développer. C’est déjà ce nouvel ajout qui avait failli coûter la vie à Rindt en Espagne lors de la saison précédente, et les expérimentations se poursuivent au grand dam de Nina Rindt, sa femme, qui a fini par rompre tout lien avec Chapman.

Il se disait que le pilote avait promis à sa femme, Nina, de prendre sa retraite après avoir enfin conquis le titre mondial. © Getty Images

La Finlandaise, fille du pilote Curt Lincoln, est loin d’être aussi amoureuse des circuits que son paternel. C’est lors de vacances aux sports d’hiver qu’elle est tombée sous le charme de Jochen, devenant son épouse en 1967 après des années de relations tumultueuses. Rarement présente dans le paddock à cause de la crainte que lui inspirent les accidents à répétition, elle ne cesse de demander à son mari de mettre un terme à cette carrière trop risquée. Il se dit alors que Jochen est prêt à laisser son sport au placard après avoir enfin conquis ce titre mondial qui lui tend les bras. Une victoire à Monza, et ce sera plié. Le paddock ne verra plus cet Autrichien excentrique, pilote qui détonne au milieu d’une Formule 1 alors essentiellement peuplée de flegmatiques conducteurs britanniques qui regardaient d’un drôle d’œil cet homme amateur de pantalons roses et de manteaux en poils de chameau, avant de l’adopter comme l’un des leurs au fil des saisons. Rindt l’aurait promis à sa femme: le titre, puis la retraite.

«Rindt mérite son titre, je n’aurais pas aimé être couronné dans ces circonstances.»

Jacky Ickx

La mort et le titre

Tout doit se terminer à Monza. Lors de la séance d’essais du samedi 5 septembre, Jochen Rindt appuie sur l’accélérateur pour aller chercher la pole position, contestée par les rapides Ferrari de Jacky Ickx et de Clay Regazzoni. Afin d’augmenter ses chances, il a suivi la dernière lubie de Colin Chapman: sa Lotus 72, déjà dessinée pour être la plus aérodynamique possible, roule sans aileron arrière pour grappiller les dixièmes de seconde qui doivent faire la différence sur la Scuderia, survoltée à domicile. Le risque est si grand que John Miles refuse de prendre la piste. Rindt, lui, fait confiance à ses talents de pilote. Au quatrième tour, il fonce droit dans le rail lors du freinage du dernier virage, après avoir dépassé le Néo-Zélandais Denny Hulme qui se dira «doublé par une fusée». La cause exacte de l’accident ne sera jamais connue, les hypothèses parlant principalement d’une défaillance du système de freinage. L’absence d’aileron n’aura évidemment pas aidé. Son ami et conseiller Bernie Ecclestone revient vers le paddock avec son casque, souvenir d’un pilote qui a vraisemblablement été tué sur le coup.

Le lendemain, c’est une clameur presque grossière qui accompagne la victoire du Suisse Clay Regazzoni au volant de cette Ferrari que les tifosi aiment tant. Contraint à l’abandon, Jacky Ickx est alors le premier homme vivant au classement du championnat du monde. Il reste trois courses, et le Belge est à la poursuite d’un fantôme. Vainqueur au Canada dans une atmosphère maussade, il voit les Lotus revenir sur la grille de départ pour le Grand Prix des Etats-Unis. Sans Jochen Rindt, bien sûr, mais aussi sans son coéquipier John Miles, marqué par le décès de l’Autrichien. Ickx a 17 points de retard, il reste deux courses et la victoire vaut neuf points. Un sans-faute lui rapportera les lauriers. La victoire d’Emerson Fittipaldi, pilote brésilien installé au volant de la Lotus en tant que remplaçant, offre le titre mondial à Jochen Rindt. «C’est mieux ainsi, je suis soulagé, déclarera Jacky Ickx après le drapeau à damiers, finissant seulement quatrième de l’épreuve américaine. Rindt mérite son titre, je n’aurais pas aimé être couronné dans ces circonstances.»

A Paris, au siège de la FIA, la Fédération internationale de l’automobile, c’est finalement Nina Rindt qui se présente en fin de saison pour recevoir le trophée de Champion du monde des conducteurs dévolu à son mari. Elle est accompagnée de Jackie Stewart, ami de Rindt et autre pilote le plus talentueux de l’époque. L’Autrichien devient alors officiellement le premier –et jusqu’ici unique– pilote de l’histoire de la Formule 1 à être sacré après son décès. Tout devait se terminer à Monza.

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