Jacques Borlée, père et coach de ses fils Jonathan et Kévin Borlée © belga

Borlée, Hazard, Courtois: comment les stratégies tribales ont formé les sportifs belges

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

D’où vient le talent des sportifs belges ? A-t-il des origines géographiques particulières ? Les médaillés viennent-ils plutôt des villes, ou des champs ? La réponse se trouve quelque part parmi les 360 trajectoires de sportifs de haut niveau analysées par Le Vif.

«Tout est morcelé, regrette Jacques Borlée, coach et patriarche désormais célèbre, passé sous l’égide de Sport Vlaanderen voici bientôt trois ans. Chacun vit reclus de son côté de la frontière linguistique, avec peu de possibilités et de moyens. On saupoudre un budget qui, en Wallonie, est miniature et souvent, il faut le dire, mal utilisé.»

A la tête d’une fratrie à succès et d’un relais encore médaillé d’or (indoor) et de bronze (outdoor) aux Championnats du monde 2022, Jacques Borlée est l’un des symboles de ce qu’il appelle les «stratégies tribales» du sport belge. Un monde où des familles créent un cocon sportif et émotionnel autour d’un talent pour l’accompagner au mieux dans son ascension vers les sommets. Nafissatou Thiam a eu sa mère, Danièle Denisty, mais certaines histoires du grand roman sportif national englobent bien plus de personnages.

Stratégies tribales : le succès des Belgian Cats dans le basket féminin

Dans le Westhoek, plus précisément à Ypres, là où la Belgique se parfume à l’iode et effleure la France, Philip Mestdagh a décidé de relever le défi des Belgian Cats, l’équipe nationale de basket féminin dont il prend la tête en 2015. Deux ans plus tard, en République tchèque, sa sélection gratte une médaille de bronze européenne dans le sillage des grosses pointures continentales que sont la France et l’Espagne. Parmi les Cats, emmenées par la talentueuse Anne Meesseman – également originaire du Westhoek –, on trouve Kim et Hanne Mestdagh. Filles du coach, qu’elles ont d’ailleurs précédé de plusieurs années dans le giron de la sélection. Témoins d’une histoire familiale entamée sur les parquets du Rapid Langemark, au nord d’Ypres, où les filles passaient les week-ends dans les gradins à encourager leur père avant de profiter de la mi-temps et de l’après-match pour tenter quelques paniers. Si la Topsportschool – pour Hanne – et les études supérieures de l’autre côté de l’Atlantique sont passées par là pour polir leur talent, les jeunes années au sein de la tribu Mestdagh ont permis l’éclosion de talents qu’une fois de plus, certains voudraient limiter à une histoire génétique plus que sociologique.

Courtois, Hazard, Lukaku: ces tribus qui ont participé à l’éclosion de sportifs belges hors normes

A l’autre bout de la Flandre, là où les flirts se font plutôt avec les teintes orange du voisin batave, la ville limbourgeoise de Bilzen a vu grandir la famille Courtois. Les parents, Thierry et Gitte, ont fait carrière dans le volley, voie suivie par leur fille Valérie. Thibaut, lui, enfilera plutôt les crampons pour devenir le meilleur gardien du monde. Le résultat d’une formation pointue à Genk, club réputé pour la qualité de ses derniers remparts, mais aussi d’une mentalité hors norme acquise à la maison. Plus jeunes, les Courtois (avec Gaëtan, troisième membre de la fratrie) aiment inviter le voisinage chez eux pour les faire participer aux «Jeux du jardin», dans une pelouse transformée pour l’occasion en véritable parc olympique. Une piscine, un anneau de basket, un terrain de beach- volley parfois transformé en parcours de cyclo-cross: tout y est. Rendez-vous phare des joutes familiales, la table de ping-pong fait très tôt grimper les décibels quand Thierry et Thibaut s’y installent. «Quand ils jouaient, on les entendait crier dans toute la maison», rembobine Valérie. Les matchs ne sont jamais une partie de plaisir. Compétiteur invétéré, le père promet systématiquement une raclée à son rejeton et n’hésite pas à tenter de le déstabiliser par tous les moyens quand sa progéniture prend l’ascendant au score. Le trash-talk dès le berceau pour transformer «la Pieuvre» en monstre de victoires, capable de laisser tous les sentiments au vestiaire quand il s’agit de gagner.

Pour cette génération dorée de footballeurs belges à laquelle certains ont tenté d’accoler un récit commun pour flatter les décisions nationales, les premiers chapitres sont souvent des histoires de tribus comme aime les esquisser Jacques Borlée. Chez les Lukaku à Wintam, quelque part en bordure d’A12 entre Bruxelles et Anvers, le père Roger – ancien footballeur professionnel – masse souvent son fils après ses entraînements en reproduisant les gestes des vestiaires du monde pro. A Braine-le-Comte, là où le Hainaut et le Brabant wallon se tutoient, Thierry et Carine Hazard ont leur jardin derrière le poteau de corner du terrain du Stade brainois, comme si la pelouse – entretenue par Thierry – prolongeait leur jardin. Ses fils Eden, Thorgan, Kylian et Ethan ne crachent jamais sur une petite heure passée ballon au pied, dans une famille où les deux parents ont également un passif en crampons.

Chez les Evenepoel, le sport belge est une affaire de famille

La Belgique est une terre de tribus conditionnées et de héros solitaires. Passé du football au cyclisme au cœur de l’adolescence, Remco Evenepoel compte beaucoup sur son père Patrick pour le soutenir, logistiquement et psychologiquement, lors des longues semaines écoulées à l’étranger pour préparer ses objectifs les plus ambitieux. Le sport belge est une affaire de famille. Pas étonnant, dès lors, que la terre soit fertile en cyclistes, discipline roulée en peloton mais souvent préparée en solitaire, sans grands besoins d’autres structures que la route qui s’élève ou se durcit. Les pros du vélo viennent surtout des Ardennes flamandes, naturellement tracées pour tailler de robustes champions. Quant au football, autre sport mondialisé et couronné de réussite ces dernières années, il s’est principalement développé dans des clubs qui ont pris les choses en main, tant financièrement qu’organisationnellement, pour transformer leurs académies en usines à champions. Certaines entités envisagent même de passer à l’étape supérieure en imitant les clubs anglais qui ont intégré le cursus scolaire à leur académie pour réduire les trajets et augmenter le temps passé par les joueurs sur le terrain.

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