Bayat-Bouchez, bromance balle au pied
Une vidéo publicitaire, un attaquant prêté et de nombreux agents en commun: le Sporting de Charleroi et les Francs Borains sont peut-être les meilleurs amis du football professionnel belge.
Certaines amours semblent trop fortes pour se cacher. Il faut même dégainer le smartphone pour les immortaliser. Sur la pelouse de «son» stade Vedette, Georges-Louis Bouchez déclare sa flamme avec l’allure d’une influenceuse en tenue corsetée. L’objet de son idylle est un autre président de club, situé 60 kilomètres à l’est du fief de ses Francs Borains. Si Fabien Debecq passe le plus clair de son temps à l’ombre de l’omniprésent Mehdi Bayat, l’ancien bodybuilder est bel et bien le véritable président du Sporting de Charleroi. Une fonction qu’il a longtemps occupée à titre honorifique, se consacrant essentiellement à la réussite de son entreprise QNT. La marque de compléments alimentaires devenue l’un des partenaires des Francs Borains, Bouchez profite de la plus grande exposition médiatique de ses réseaux sociaux pour rendre le retour sur investissement plus marqué. Entre les 8.600 followers du club sur Instagram et les 30.000 du président du MR, les perspectives respectives d’écho permettent de comprendre rapidement les dessous du calcul économico-médiatique.
Tant pis si, au fond, le président d’un club met de l’argent dans un autre pendant que le président de l’autre fait la publicité de l’un. Pas plus d’inquiétude pour les questions d’éthique de la démarche (lire par ailleurs). Après tout, le Sporting de Charleroi et les Francs Borains n’ont jamais caché leur bonne entente. En juillet 2021, ils l’ont même gravée dans le marbre d’un accord de partenariat. En prélude de la saison de football, il est habituel que les clubs professionnels disputent des matchs de préparation dans des stades «de province». Les Zèbres affrontent donc le club français d’Amiens sur la pelouse du stade Vedette, et la présence conjointe de Mehdi Bayat et Georges-Louis Bouchez est mise à profit pour officialiser l’idylle.
Le Sporting de Charleroi et les Francs Borains n’ont jamais caché leur bonne entente.
Un partenariat qui «s’inscrira dans trois volets», précise alors l’homme fort du MR et des verts borains: «D’abord pour l’équipe première avec d’éventuels prêts de joueurs, car vu le budget, il y a plus qu’un intérêt à utiliser cette filière. Ensuite, il concernera l’école des jeunes. Et en troisième volet, les partenaires et les sponsors.» Bayat, lui, semble plutôt dans une démarche altruiste: «On veut permettre aux Francs Borains de grandir. Chez les jeunes, on peut par exemple avoir un gamin qui termine sa formation chez nous et devient pro au RFB. C’est du win-win.» Au premier regard, pourtant, la victoire pour le RFB semble bien plus grande que pour les Carolos. Peu avant de sceller l’union, le club borain se sépare de son directeur général: officiellement, Bouchez parle d’un «investissement à faire sur la jeunesse via une équipe remaniée et mettre du souffle nouveau». En coulisses, il se dit que Roland Louf était très réfractaire à l’idée de s’associer avec le club de Mehdi Bayat, et d’ouvrir indirectement la porte du RFB à son frère Mogi.
Moins officiel, toujours partenaire?
Deux ans plus tard, l’arrivée plus rapide que prévue des Francs Borains au sein du monde professionnel met un terme à ce partenariat officiel. Le conflit d’intérêts potentiel serait un frein à l’obtention de la licence, indispensable sésame pour pouvoir évoluer dans les plus hautes sphères du football belge. Au premier étage du niveau amateur, déjà, les potentielles sources conflictuelles avaient fait leur apparition dans le sprint final de la saison 2022-2023. Là, alors que les Francs Borains sont au coude-à-coude avec la RAAL La Louvière pour s’installer à une troisième place synonyme d’accession à la deuxième division pro du pays, le calendrier leur offre un dernier match contre les espoirs du Sporting de Charleroi. La défaite de la RAAL face au RFC Liège à l’avant-dernière rencontre rend l’ultime journée superflue pour la course à la montée, et évite une polémique potentielle. Dans le vestiaire des Francs Borains, plusieurs joueurs étaient très confiants sur l’issue de leur duel face aux jeunes Zèbres, sans jamais douter de leur accession au football professionnel au terme de ce match s’il avait dû être décisif.
Désormais, c’est donc officieusement que les liens entre les deux clubs amis sont maintenus. Les derniers mois ont ainsi charrié des histoires se rapprochant curieusement des points mentionnés par Georges-Louis Bouchez lors de son énoncé de partenariat de l’été 2021. La vidéo faisant la promotion de la société de Fabien Debecq pour le volet «partenaires et sponsors», et l’arrivée d’un attaquant haïtien pour les «éventuels prêts de joueurs, car vu le budget, il y a plus qu’un intérêt à utiliser cette filière». Dans la surface adverse, là où les joueurs qui font la différence sont les plus chers, difficile pour les Francs Borains de lutter avec les plus gros budgets de leur division. L’équipe réduite en coulisses ne permet pas non plus de consacrer un temps et une énergie suffisants pour la quête de la perle rare. Pour animer leur secteur offensif, les pensionnaires du stade Vedette peuvent donc compter sur la présence de Mondy Prunier, auteur de neuf buts en 33 apparitions sous le maillot de Versailles (D3 française) la saison dernière.
Dans l’annonce officielle du transfert, le club des Francs Borains mentionne: «Merci au Sporting pour sa bonne collaboration!»
Un tel profil n’aurait probablement jamais atterri dans le Borinage sans passer par une étape intermédiaire. C’est là que le Sporting de Charleroi est intervenu. Sur Transfermarkt, le transfert de l’Haïtien vers les Zèbres est annoncé au 30 juillet dernier. Le 31, c’est son prêt au stade Vedette qui est notifié. Dans l’annonce officielle de l’arrivée de sa nouvelle arme offensive, le club des Francs Borains mentionne: «Merci au Sporting pour sa bonne collaboration!»
Les amis en commun
Les bonnes relations entre deux clubs ne sont évidemment ni interdites ni nouvelles. Entre Carolos et Borains, elles s’expliquent en bonne partie par l’identité du «conseiller du président» du RFB, l’agent de joueurs David Lasaracina. Amoureux du club cher à sa famille, manager sportif au stade Vedette jusqu’à ce que sa fonction d’agent lui interdise d’enfiler la double casquette, Lasaracina est l’un des agents les plus proches de Mehdi Bayat. C’est notamment lui qui avait facilité l’arrivée dans le Pays noir du latéral angolais Núrio Fortuna ou de l’attaquant jamaïcain Shamar Nicholson, qui ont fait gagner beaucoup d’argent au Sporting lors de leurs ventes à Gand et Moscou.
Lasaracina est proche des Bayat, tant de Mehdi que de Mogi, agent lui aussi. Autour d’eux, de nombreux intermédiaires permettent aux Francs Borains de construire leur équipe en palliant l’absence d’une structure de recrutement de haut vol. Des hommes de confiance parmi lesquels on pointe également Raphaël Cabaraux, autrefois associé de Mogi Bayat et représentant des défenseurs Dorian Dessoleil et Sébastien Dewaest, ex-Zèbres qui viennent de poser les crampons au stade Vedette. Sans oublier Karim Mejjati, également proche de l’aîné des frères Bayat, agent de plusieurs joueurs de Charleroi (Isaac Mbenza et les frères Boukamir) et représentant historique de Marouane Fellaini. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de Mejjati que Georges-Louis Bouchez et l’ancien Diable Rouge ont été présentés, à l’aube d’une relation qui fait maintenant de «Big Mo» un investisseur des Francs Borains.
Les liens sont particulièrement nombreux. Plutôt pratique, pour un mariage. Les deux époux ne risquent pas de se disputer bien longtemps pour savoir qui mettre sur la liste des invités. Ne dit-on pas que les couples les plus heureux sont souvent ceux qui partagent les mêmes amis?
Questions pour une vidéo
Quatre-vingt-quatre secondes font l’éloge de la société QNT, pour Quality Nutrition Technology. Spécialisée dans la production de compléments alimentaires, la société de Fabien Debecq rejoint le panel de sponsors des Francs Borains. Entre influence politique, collusions sportives et conflits d’intérêts, la vidéo de Georges-Louis Bouchez paraît flirter avec les limites du règlement. Les franchit-elle pour autant?
Un homme politique peut-il jouer les influenceurs?
La question trouve une réponse rapide, parce qu’elle s’est déjà posée dans les rangs du MR voici quelques mois. A l’époque, les libéraux parachutent Julie Taton en bonne place sur leurs listes électorales. La désormais députée pourrait-elle continuer son activité d’influenceuse sur les réseaux sociaux avec ce nouveau statut? Politologue à la KU Leuven, Gunther Vanden Eynde avait expliqué à La DH qu’un flou juridique entourait cette double casquette. Seules les dépenses électorales sont encadrées par la loi de 1989, limitant le sponsoring par des personnes juridiques à 2.000 euros par an par parti et à 500 euros par an par candidat.
Interrogée par Sudinfo au sujet de cette double fonction dans la foulée des élections, Julie Taton confirme qu’être influenceuse était «son métier jusqu’à il y a quelques mois. Un métier que j’aimais énormément et rien ne m’empêche de continuer à le faire». Tout en précisant qu’elle ne se sentait plus tellement à l’aise avec cette posture de femme-sandwich, pas interdite mais moins naturelle dans sa position. Un avis que ne partage visiblement pas son président de parti.
Un président de parti peut-il être rémunéré pour de la publicité?
Dans les commentaires qui suivent la vidéo de Georges-Louis Bouchez, nombreux sont ceux qui évoquent son éventuelle rémunération pour cette mise en avant de QNT. Là, le flou juridique n’existe plus: il est effectivement interdit pour les partis et les élus de recevoir des dons faits par des entreprises. Cela compromet-il le président du MR?
A priori, la réponse est non. Le bénéficiaire financier de l’investissement de QNT n’est pas Georges-Louis Bouchez mais le club des Francs Borains. Dans la vidéo comme dans le texte qui l’encadre, QNT est d’ailleurs présentée comme «aujourd’hui partenaire des Francs Borains», dans le cadre d’un sponsoring dont ni les modalités ni les montants ne sont dévoilés. Si la vidéo est partagée sur les réseaux de GLB, avec un coq wallon en emoji pour mettre en avant la réussite internationale d’une entreprise wallonne et ainsi incarner la réussite selon le MR, ce sont bel et bien les Francs Borains qui sont les bénéficiaires financiers de l’opération.
Le président d’un club peut-il sponsoriser un autre club?
Une démarche curieuse, dans la mesure où le président du Sporting de Charleroi décide de confier une partie de ses possibilités financières aux Francs Borains. Au sein d’un monde du football où le conflit d’intérêts est décomplexé, la surprise n’est pas démesurée pour autant. Comporte-t-elle un risque?
S’ils font tous les deux partie du monde professionnel, les clubs de Charleroi (D1) et des Francs Borains (D2) ne militent pas dans la même division. Cela permet donc d’écarter le risque d’un intérêt financier pouvant avoir une influence sur le résultat d’un match, par exemple. Il n’existe aucune trace claire de ce cas de figure dans les règlements de la RBFA (fédération belge de football).
A la Fédération, on explique cependant que le respect du règlement et, donc, l’attribution de la licence pourraient être menacés si le sponsor exerce une «influence notable» sur l’activité du club sponsorisé. Un terme évalué à 20% des revenus opérationnels du club sans la récupération du précompte professionnel. Une valeur trop élevée pour concerner le partenariat entre QNT et les Francs Borains.
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