Aux JO… et à l’université: pourquoi les sportifs belges sont de plus en plus diplômés
L’essentiel
• 75% des athlètes belges francophones engagés aux Jeux olympiques de Paris 2024 seront diplômés ou en plein baccalauréat, preuve que la double carrière n’est plus réservée qu’à quelques exceptions.
• Le service Projet de vie (PDV) de l’Adeps aide les sportifs de haut niveau à concilier leur carrière sportive et leurs études en leur offrant des aménagements d’horaires, des dispenses de cours et un soutien financier.
• Des athlètes comme Nafissatou Thiam, Joachim Gérard et John-John Dohmen ont mené avec succès une double carrière, prouvant qu’il est possible de participer aux JO tout en étant diplômé.
• Le statut de sportif de haut niveau permet aux athlètes de bénéficier d’aides financières et d’aménagements scolaires dès l’obtention de certains objectifs sportifs.
• PDV travaille en collaboration avec les écoles supérieures pour faciliter l’intégration des athlètes étudiants et leur permettre de concilier leurs études et leur carrière sportive.
Cet été, 75% des athlètes belges francophones engagés aux Jeux olympiques de Paris seront diplômés ou en plein baccalauréat. Le chiffre prouve que la double carrière n’est plus un projet uniquement réservé aux ovnis.
Comme à chaque fois, la salle est comble. Une conférence de presse de Nafissatou Thiam reste un événement, même quand la thématique du jour n’est pas liée au sport. Parce qu’en ce jour de novembre 2019, c’est pour évoquer ses études en sciences géographiques que la championne olympique, du monde et d’Europe d’heptathlon attire un parterre de journalistes au Blanc Gravier, le centre liégeois de l’Adeps. Habituée à étudier dans le train pendant ses années d’enseignement secondaire, la Rhisnoise a ensuite dû bouleverser son planning arrivée à l’université. D’abord pour tenter l’ergothérapie, puis la géographie, avec au final un bac décroché en six ans. «L’incertitude du sport, ses succès et ses blessures m’ont motivée à chercher une sécurité à travers un diplôme», témoigne-t-elle alors, avant d’énumérer les éléments de la réussite, à savoir une grosse organisation, un entourage bienveillant et la flexibilité de l’ULiège. Dans un coin de la pièce, un homme au sourire facile savoure le moment. Il s’appelle Etienne Drion. Si «Nafi» en est arrivée là, c’est aussi parce qu’elle a pu bénéficier d’un étalement et d’un aménagement d’horaires, négociés par Projet de vie (PDV), un service de l’Adeps dont il est l’un des deux initiateurs, avec Raphaël Orban. «Notre travail repose sur l’idée que les sportifs doivent pouvoir se projeter dans l’avenir sans mettre leur carrière athlétique en péril, définit ce dernier. C’est une façon de poser les bases de leur identité sociale.»
«Préciser que tel athlète mène telles études est un signal fort, la preuve qu’on peut participer aux JO tout en étant diplômé.»
La médiatisation des diplômes de personnalités comme Nafi Thiam, le tennisman en chaise Joachim Gérard (informatique) ou encore le hockeyeur John-John Dohmen (ostéopathie) offre une belle publicité à PDV, mais c’est avant tout par les médailles et la reconnaissance que les aspirants sont attirés. «La communication de l’Adeps a donc de l’importance, reprend Raphaël Orban. Préciser que tel athlète mène telles études est un signal fort, la preuve qu’on peut participer aux JO tout en étant diplômé.»
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Sportifs sous statut
Aurait-elle mieux performé si elle n’avait pas fait d’études? Récemment retirée des tatamis, Claire* a mené les premières de ses quinze années professionnelles de judokate en même temps qu’un cursus d’assistante sociale. «Parfois, pendant les compétitions, au lieu de regarder le mur vide en stressant, j’occupais mon esprit avec mes révisions, raconte-t-elle. En réalité, je ne suis pas certaine que j’aurais été capable de me concentrer à 100% sur mon sport. Cet à-côté m’a aussi permis de ne pas tomber dans un état émotionnel trop intense.»
Claire n’a de toute façon jamais envisagé autre chose qu’une double carrière. Plutôt bonne élève en secondaire, elle appréciait étudier et voulait s’assurer une porte de sortie en cas de blessure ou de contre-performance. «Notre bulle de sportifs nous enferme par moments dans un quotidien assez éloigné de la réalité. C’était important pour moi d’avoir des contacts hors du contexte sportif, de développer mon esprit, d’aborder d’autres sujets dans l’auditoire.» Cet intérêt de l’athlète de haut niveau pour le long terme est assez nouveau, puisqu’il a longtemps été confiné dans une seule case, incité par ses coachs et son entourage à se focaliser sur la performance et les compétitions, point final. «Au fil du temps, on s’est heureusement rendu compte qu’il pouvait aussi avoir des aspirations, une vie sociale et familiale, se réjouit Raphaël Orban. Désormais, un entraîneur qui ne pense qu’à entretenir son poulain sans s’intéresser à ce qui se passe autour de lui n’a plus d’avenir. Il faut englober l’individu, opter pour une approche holistique pour maintenir un équilibre global. Tout manquement (social, familial, scolaire) risquerait d’influencer négativement cette balance… et donc les performances.» En menant une double carrière, le sportif peut en outre planifier progressivement son avenir loin de la lumière.
Le service d’accompagnement de PDV est uniquement réservé aux sportifs sous statut. Pour l’obtenir, il faut appartenir à une fédération qui décide d’introduire une demande auprès de l’Adeps une fois que le jeune atteint certains objectifs comme des chronos en athlétisme ou une présence en équipe nationale en sport collectif. Il peut s’agir d’un statut de «jeune talent» pour un athlète en phase de développement, d’«espoir sportif international» pour celui qui débute dans le paysage international, ou encore de «sportif de haut niveau» pour tout qui preste déjà à l’échelle mondiale. «Dès l’obtention du statut, le jeune peut, dans l’enseignement obligatoire, bénéficier d’aides financières ainsi que d’aménagements tels que la suppression du cours de sport ou le remplacement de certaines heures par des entraînements ou du repos, détaille Raphaël Orban. Dès 17 ou 18 ans, il reçoit ensuite un contrat, qui commence au quart temps et lui permet d’être payé pour s’adonner à sa discipline. En contrepartie, il a l’obligation d’atteindre certains objectifs sportifs personnalisés.»
L’étudiant sportif n’a pas de limite d’échelonnement de son cursus tant qu’il conserve un minimum de quinze crédits par année académique.
Après l’obtention du CESS, une aide matérielle est directement versée à la fédération à laquelle l’athlète est affilié pour prendre en charge, notamment, un déplacement pour une compétition à l’étranger ou l’organisation de stages. PDV facilite de son côté la vie des étudiants en assurant auprès des écoles un aménagement des horaires, un certain nombre d’absences justifiées ou des reports d’examens. Des petits privilèges dont Claire a apprécié la valeur quand elle s’est lancée dans ses études d’assistante sociale à 20 ans, tout en assurant ses deux entraînements quotidiens. «J’étais très souvent à l’étranger pour mes combats, se rappelle celle qui a aussi bien étudié dans une camionnette en route pour l’Autriche que suivi des cours à distance au Japon. Je suis un peu passée à côté de ma jeunesse. Ma vie se résumait à étudier, m’entraîner, manger, dormir, puis recommencer. Il fallait beaucoup de discipline: j’étais dans mes syllabi pendant que les autres faisaient la sieste. Heureusement, on se serrait les coudes entre étudiants en travaillant dans une pièce isolée.» L’ex-judokate a effectué son stage de fin d’études dans une maison d’accueil pour femmes et enfants en difficulté. En répartissant ses heures en fonction de ses entraînements, sur une année au lieu de trois mois. «Ce travail sur le long terme n’a pas eu que des désavantages: il m’a permis d’aller plus loin avec les bénéficiaires, de connaître davantage l’institution…»
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Petite réticence professorale
Début juillet, les BelSevens ont réalisé une performance historique en se classant deuxièmes du championnat d’Europe de rugby à sept. Un véritable exploit, surtout quand on sait d’où partent la plupart des joueuses, comme Emilie Musch, qui a enchaîné pendant seize ans les heures sup’ au boulot pour pouvoir assumer ses obligations sportives. «Le niveau et la charge d’entraînement n’ont fait qu’augmenter au cours de la dernière décennie, affirme la Nivelloise. Beaucoup de filles ont donc réduit leur temps de travail pour suivre le tempo, tandis que d’autres ont malheureusement dû quitter le projet.» A mesure que sa discipline se professionnalisait, Emilie a décidé de lui consacrer davantage de temps. Elle ne s’imaginait de toute façon pas rester devant un ordinateur, enfermée dans son bureau des ressources humaines ad vitam aeternam. En 2019, elle a démissionné de son poste chez Partenamut puis s’est lancée dans des études de kiné.
Trois ans plus tard, à sa grande surprise, elle a reçu un contrat Adeps Pro. «Lorsque je l’ai eu, j’ai un peu paniqué, concède-t-elle. J’étais figée par cette image qu’on en attendait forcément plus de moi, et au début, je suis complètement passée à côté. Il m’a fallu un travail psychologique pour admettre que ce contrat ne changeait pas grand-chose et qu’il m’apportait justement de la sérénité grâce à un revenu convenable pour vivre de ma passion tout en étudiant.»
Emilie a pu compter sur Projet de vie pour prendre en charge le minerval de sa dernière année de cours. Depuis sa création en 2009, PDV est par ailleurs parvenu à tisser un réseau de référents qui jouent le rôle d’intermédiaire entre les sportifs et les écoles supérieures. Aux Rivageois, le principal campus de la haute école Charlemagne à Liège, ce rôle incombe à Quentin Forthomme. «Mes tâches se concentrent surtout sur l’aménagement d’horaires ou l’étalement des études», lance cet ancien footballeur amateur, qui rappelle que l’étudiant sportif n’a pas de limite d’échelonnement de son cursus tant qu’il conserve un minimum de quinze crédits par année académique. «Il subsiste une petite réticence chez certains professeurs qui n’aiment pas sortir de leur train-train ou faire des différences entre élèves, mais les choses évoluent positivement.»
Si le nombre moyen d’athlètes étudiants est loin d’atteindre 1% par établissement, les écoles supérieures commencent à connaître la chanson, mais entendent limiter les passe-droits. L’évaluation pédagogique est la même pour tous et aucune absence non justifiée n’échappe à une sanction. «Avec la rigueur et l’organisation héritées de leur sport, les athlètes réalisent très souvent de beaux parcours scolaires», rassure Raphaël Orban.
«Avoir mené une double carrière donne un sacré poids auprès d’un potentiel employeur.»
Compétences uniques à faire valoir
Aimantés par les rêves d’exploits ou glacés par la peur de déclencher le mauvais sort, certains jeunes athlètes ont pourtant encore du mal à parler de «l’après». Raphaël Orban compare la fin d’un parcours sportif à la pension –«qu’il faut bien préparer pour la vivre au mieux»–, Emilie Musch parle de «petite mort». «Après autant d’années à vivre à un rythme effréné basé sur l’exercice, la compétition et les émotions entre copines, ce n’est pas évident de savoir quelle Emilie je suis vraiment sans le rugby, confie-t-elle. Le sport fait partie de mon quotidien. Quand ça sera fini, je devrai démarrer un nouveau boulot, une nouvelle vie dans laquelle il faudra me (re)faire un nom.» Pour éviter que le «retour sur Terre» soit problématique, Projet de vie prépare très tôt les jeunes athlètes, notamment à travers des conférences où des sportifs présentent leur double carrière, les obstacles et les écueils à éviter. «J’ai la faiblesse de croire que beaucoup de sportifs sont encore fort cocoonés, glisse Raphaël Orban. Pour les maintenir au plus proche de la réalité qui les attend, nous proposons également un accompagnement et une préparation à leur entourage.»
Parce que prendre de l’avance sur sa reconversion offre de nombreux avantages. Diplômée en business international et future retraitée du triathlon, Claire Michel sait par exemple qu’elle endossera bientôt le poste de directrice technique de la Ligue francophone de triathlon, ce qui lui laisse du temps pour travailler son réseau. «Avoir mené une double carrière donne un sacré poids auprès d’un potentiel employeur», assure Claire, l’ex-judokate. Le mental de gagnant, l’organisation et la gestion du stress du sportif sont des compétences uniques parfaitement transférables dans le monde du travail.» Une fois le kimono définitivement rangé dans un carton, Claire s’est orientée vers une carrière de conseillère de cabinet politique. Emilie Musch, elle, verra son contrat Adeps Pro réévalué au mois de septembre prochain. «Je ne sais pas si je souhaite être prolongée. A près de 36 ans, je me projette toujours plus dans ma future vie, avoue la rugbywoman, qui sait heureusement à quoi s’attendre. Je n’ai jamais été dorlotée par un agent qui faisait tout pour moi, donc je sais comment payer mes factures ou gérer des démarches administratives… Avoir vécu la « vraie vie » avant mon contrat pro est peut-être un avantage. Il m’a en tout cas permis de garder les pieds sur Terre.» Si tout va bien, Emilie sera diplômée en kinésithérapie fin août. Soit quelques jours après la fin des JO. Il n’y a pas de hasard…
*prénom modifié
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