Wim Fissette, coach de tennis: «La Belgique a une joueuse qui a le potentiel pour devenir n°1 mondiale»
Avec Iga Swiatek, l’entraîneur belge Wim Fissette a une nouvelle joueuse de premier plan sous son aile. Avant le début de l’Open d’Australie, il fait le point sur le tennis féminin.
Au cours des quinze dernières années, peu d’entraîneurs belges se sont forgé un tel palmarès. Wim Fissette, 44 ans, a remporté six tournois du Grand Chelem avec trois joueuses de tennis (Kim Clijsters, Angelique Kerber et Naomi Osaka) et a entraîné cinq joueuses qui se sont classées à la première ou à la deuxième place du classement WTA. Pourtant, en Belgique, peu le connaissent. Pas même parmi les journalistes! D’ailleurs, même lorsqu’il a remporté un titre de Grand Chelem avec l’une de ses joueuses, le Limbourgeois n’a pas terminé dans les quatre premiers de l’élection de l’entraîneur belge de l’année. A l’étranger, en revanche, il est davantage reconnu. Quand il est devenu le nouveau coach de la Polonaise Iga Swiatek à la fin octobre 2024, le New York Times, sur son site Web sportif The Athletic, lui a même consacré un long article.
Pensez-vous ne pas être assez reconnu en Belgique?
Je n’en perds pas le sommeil. L’attention portée au tennis féminin a considérablement diminué en Belgique depuis la retraite de Kim Clijsters et Justine Henin. Après Kim, j’ai toujours travaillé avec des joueuses étrangères de haut niveau. Il est bien plus important pour moi que les meilleures joueuses sachent comment me trouver et qu’ensemble on engrange des résultats.
«Je m’adapte toujours à une joueuse, et non l’inverse. La méthode Fissette n’existe pas.»
L’entraînement serait pour vous une «forme d’art», mais vous n’imposez pas pour autant votre philosophie. Est-ce vrai?
Oui. Chaque joueur de tennis joue différemment, a un caractère différent. En football, un entraîneur peut décider: voici mon système et nous aurons des footballeurs capables de le jouer. Moi, je m’adapte toujours à une joueuse, et non l’inverse. La méthode Fissette n’existe pas. Peut-être serait-ce le cas si je n’entraînais que des jeunes, mais pas au sommet. D’abord, j’observe et je parle beaucoup, pour avoir une vue d’ensemble. Ensuite, je cherche les points à améliorer. Pour ça, je m’appuie sur des données et des séquences vidéo, qui permettent de déterminer avec précision quel réglage de quel coup augmente les chances de gagner. L’aspect mental est tout aussi important. Ecouter, savoir comment l’athlète fonctionne, comment il se sent au quotidien… Et puis, fournir des outils pour que ma joueuse puisse commencer un match avec un plan sophistiqué. Qu’elle soit prête à résoudre tous les problèmes possibles.
Vous êtes connu pour votre perfectionnisme, tout comme Iga Swiatek. Le courant est-il tout de suite passé entre vous?
Oui, Iga est très passionnée sur et à l’extérieur du terrain. Ses normes professionnelles sont extrêmement élevées. C’est un rêve pour tout entraîneur.
Elle a déjà remporté Roland-Garros à quatre reprises ces cinq dernières années, mais hormis un titre à l’US Open en 2023, elle a connu moins de succès dans les autres tournois du Grand Chelem. A Wimbledon, elle n’a jamais dépassé les quarts de finale. Comment l’expliquer?
Iga est probablement la meilleure joueuse de terre battue de tous les temps, grâce à l’effet qu’elle peut donner à une balle, la faisant rebondir plus haut. Elle atteint même le niveau des hommes. Physiquement, elle est solide comme un roc, récupère de nombreuses balles en défense, et peut passer de la défense à l’attaque à la vitesse de l’éclair. Des qualités qui se révèlent surtout sur la terre battue, moins sur le gazon et les courts en dur. Mais cela ne veut pas dire qu’elle a un gros problème sur ces surfaces. Elle a déjà remporté l’US Open sur dur, deux fois Indian Wells, Miami. A Wimbledon, son plus grand obstacle est qu’elle ne peut pas jouer un tournoi de préparation après une saison chargée sur terre battue, ce qui lui fait perdre beaucoup d’énergie sur le plan mental.
Comment comptez-vous résoudre ce problème?
En ce qui concerne le programme, il faut se concentrer encore plus sur les tournois du Grand Chelem, avec plus de pauses entre deux levées, afin qu’elle soit plus fraîche pendant l’été et l’automne. Sur le plan du tennis, il s’agit de faire en sorte qu’Iga utilise davantage son coup droit à rotation supérieure, qu’elle affine son service et qu’elle joue de manière encore plus variée afin de devenir plus imprévisible. Pas de grands changements, mais quelques petits ajustements qui devraient suffire.
Fin novembre, on a appris qu’Iga Swiatek avait été suspendue pendant un mois parce qu’elle avait été testée positive à la trimétazidine. Une suspension très courte parce qu’elle a pu prouver qu’un somnifère avait été contaminé. Cette affaire ne vous a pas empêché de devenir son entraîneur?
Non. Iga m’avait tout raconté en détail. J’ai tout de suite été convaincu qu’elle n’avait pas pris sciemment de produits dopants. Je l’observais depuis longtemps, je connaissais ses valeurs, son éthique de travail. Tous les experts sont d’accord sur son innocence lorsqu’il consulte le dossier. Les critiques feraient mieux de commencer par lire ce rapport.
Vous avez été l’entraîneur de Kim Clijsters dans les dernières années de sa carrière. Comment le tennis féminin a-t-il évolué depuis?
La concurrence s’est considérablement élargie. Le Top 50 est aujourd’hui beaucoup plus proche du Top 10. D’autant plus que le prize money des premiers tours des tournois du Grand Chelem a presque quadruplé (NDLR: celui ou celle qui se hisse au premier tour de l’Open d’Australie touche désormais 77.000 euros contre 20.000 en 2011). Par conséquent, même la numéro 87 mondiale dispose de plus de moyens financiers pour s’entourer d’un coach, d’un préparateur physique, d’un kinésithérapeute… pendant une année entière. Le niveau sportif a donc particulièrement augmenté. En tennis, c’est au service que la différence se marque le plus. Il y a dix ou quinze ans, il y avait peut-être deux ou trois joueuses avec un très bon service. Aujourd’hui, il y en a beaucoup plus. Le service est le coup le plus important dans le tennis féminin. Le jeu, en particulier ces cinq dernières années, est également plus varié. Kim Clijsters, Maria Sharapova, Serena et Venus Williams avaient l’habitude de faire sortir tout le monde du court grâce à leur puissance. Aujourd’hui, on voit plus de coups slicés et d’amorties, plus de volées au filet. Le tennis féminin ressemble de plus en plus au tennis masculin.
L’attention portée au tennis féminin semble s’être quelque peu émoussée ces cinq dernières années. Peu d’amateurs de sport parviennent à citer cinq joueuses du Top 10, voire du Top 20. Comment l’expliquez-vous?
Dans les dernières années de Serena Williams, jusqu’en 2022, il y a eu peu de joueuses de haut niveau régulières, et donc de nombreuses lauréates en Grand Chelem. De plus, Ashleigh Barty et Naomi Osaka, deux numéros un mondiales, se sont arrêtées à un moment donné. Or, si vous voulez être reconnue par le grand public, vous devez rivaliser pendant plusieurs années avec les trois ou cinq meilleures joueuses du circuit. Parmi celles-ci, on peut facilement citer Aryna Sabalenka (NDLR: gagnante de l’Open d’Australie 2023 et 2024, de l’US Open 2024 et actuelle numéro un au classement WTA) et Coco Gauff (NDLR: vainqueure de l’US Open 2023 et des finales WTA 2024) en plus d’Iga Swiatek. Et Zheng Qinwen (NDLR: championne olympique à Paris) est déjà une superstar en Chine. Si elle poursuit sa progression et si, comme je le prévois, Naomi Osaka revient également au sommet, vous avez déjà cinq noms.
La Polonaise Swiatek et la Biélorusse Aryna Sabalenka ne deviendront probablement jamais des vedettes commercialement attrayantes comme l’Américaine Coco Gauff ou la Japonaise Naomi Osaka…
Gauff et Osaka ont l’avantage d’avoir un énorme marché intérieur, tant en matière d’intérêt médiatique que de sponsors potentiels. Ce sont aussi des personnalités qui aiment être sous les feux de la rampe et s’exprimer sur des sujets de société. Alors qu’Iga embrasse moins ce statut de vedette, se concentrant principalement sur le sport, et ne voulant pas avoir trop d’engagements de sponsoring. Chacune a son caractère, il ne faut pas vouloir le changer non plus. Pour le tennis, c’est une bonne chose qu’il y ait différents profils.
«Même la numéro 87 mondiale dispose aujourd’hui de plus de moyens financiers.»
Il est intéressant de noter que vous vous attendez à ce que Naomi Osaka revienne au sommet. Vous l’avez entraînée lorsqu’elle a remporté l’US Open et l’Open d’Australie en 2020 et 2021. Et aussi la saison dernière, lorsqu’elle est revenue sur le circuit après être devenue mère. Les résultats ont été décevants –elle n’a pas dépassé le deuxième tour en Grand Chelem– et en septembre, elle a arrêté de travailler avec vous. Quel regard portez-vous sur cette rupture?
Cette rupture m’a beaucoup déçu. Avant l’US Open, Naomi m’avait encore dit que tout était très positif. Mais après, elle a soudainement eu besoin d’une nouvelle voix. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je serais encore son entraîneur, car tous les signaux étaient au vert. Cela ne s’est pas encore traduit par de bons résultats en Grand Chelem mais là, en raison de son faible classement, Naomi n’a pas eu de chance au tirage au sort. Cela contrastait avec la grande progression qu’elle avait réalisée. Non seulement elle revenait de grossesse, mais elle ne s’était plus améliorée après sa victoire à l’Open d’Australie 2021 en raison de problèmes d’anxiété. Naomi avait un retard de trois ans à rattraper. Cela prend du temps. Surtout pour retrouver confiance. Mais à l’entraînement, j’ai vu de grandes choses. Avant sa grossesse, je ne ressentais pas toujours la même passion, mais après, Naomi a tout fait pour revenir. Elle pense toujours comme une championne et a les qualités pour gagner un autre Grand Chelem, voire plusieurs.
Elise Mertens était la meilleure Belge au classement WTA en 2024 pour la huitième année consécutive, à la 34e place. A 29 ans, même si elle continue d’atteindre régulièrement le troisième ou quatrième tour de tournois du Grand Chelem, elle ne fait plus partie du Top 20. Comment cela se fait-il?
Comme je l’ai dit, le niveau général s’élève et les jeunes filles talentueuses affluent. Mais je pense qu’Elise peut encore se maintenir autour du Top 30 pendant quelques années. De toute façon, elle était trop limitée techniquement pour se hisser dans le Top 10. Elle a cependant tiré le meilleur parti de sa carrière en devenant l’une des joueuses les plus professionnelles du circuit. Peu de gens s’attendaient à cela quand Elise avait 16 ans.
Cette année, Mertens a terminé neuvième au classement du prize money, avec un total de 2,65 millions d’euros, dont plus d’1,5 million gagné en double. Ce choix de se lancer à fond dans le double est-il finalement justifié?
Ce choix lui a peut-être coûté quelques places au classement WTA ces dernières années, mais même sans le double, Elise n’aurait pas atteint le Top 10 en simple. En double, elle est devenue numéro un mondiale, a gagné quatre tournois du Grand Chelem et a ainsi gagné beaucoup d’argent. On ne peut pas passer à côté d’une telle opportunité.
En tant qu’entraîneur de l’équipe belge pour la Billie Jean King Cup (NDLR: le nouveau nom de la Fed Cup, l’équivalent féminin de la Coupe Davis), vous avez également un œil sur de jeunes talents comme Hanne Vandewinkel (20 ans), Sofia Costoulas (19 ans) et Jeline Vandromme (17 ans). Comment évaluez-vous leur avenir?
Je connais Hanne et Sofia depuis qu’elles ont 10 ans. Je pense qu’elles atteindront certainement le Top 100 du classement WTA. C’est difficile de prédire jusqu’où elles peuvent monter. J’ai vu Jeline à l’œuvre lors de la récente Billie Jean King Cup. J’ai été très impressionné. Elle frappe techniquement presque parfaitement, il lui faut peu d’efforts pour générer beaucoup de puissance, elle fait de bons choix tactiques, elle a des capacités physiques… Dans aucun domaine, elle n’a de (trop) grosses limites. Jeline est la première Belge depuis Clijsters et Henin à avoir le potentiel pour devenir numéro un mondiale. Et à plus ou moins brève échéance, déjà la meilleure joueuse de tennis belge. Mais il faut rester prudent. Elle n’a que 17 ans, la route est encore très longue.
Bio express
1980
Naissance à Saint-Trond.
1999
Atteint son meilleur classement à l’ATP: 1.291e.
2009-2011
Commence à entraîner Kim Clijsters sur le circuit professionnel. Ensemble, ils remportent l’US Open en 2009 et 2010, ainsi que l’Open d’Australie en 2011.
2018
Gagne Wimbledon comme coach de l’Allemande Angelique Kerber.
2020-2021
Victoires à l’US Open puis à l’Open d’Australie comme entraîneur de Naomi Osaka.
2023
Devient le coach de l’équipe nationale belge pour la Billie Jean King Cup.
2024
Depuis octobre, entraîne Iga Swiatek, quintuple gagnante du Grand Chelem et numéro deux mondiale.
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