Roland-Garros: les Paris de la quinzaine
Dimanche, le tournoi de Roland-Garros a ouvert ses portes. Entre un tableau féminin indécis et la recherche du successeur de Rafael Nadal, les questions sont nombreuses à l’aube d’une quinzaine qui nous a déjà donné des sueurs froides.
Comme à son habitude, le tableau féminin sera plus ouvert que jamais. Aucune joueuse ne se détachant véritablement sur terre battue, chaque année la quinzaine parisienne vit au rythme des surprises quotidiennes. L’édition précédente n’a pas dérogé à la règle quand une petite Polonaise, inconnue du grand public, triomphait Porte d’Auteuil. Du haut de ses 19 ans, Iga Swiatek s’offrait le scalp de Sofia Kenin, 6ème mondiale, lors d’une finale qu’elle aura menée de bout en bout.
Aujourd’hui 9ème au classement WTA, Swiatek continue d’impressionner les observateurs. Début mai, sa victoire au prestigieux tournoi de Rome scotche le peloton féminin. Si Iga roule sur Karolina Pliskova en finale, c’est bien la Tchèque qui repart d’Italie à vélo (6/0, 6/0).
L’appétit grandissant de Swiatek
Principale favorite à sa propre succession, la route vers le Graal n’en sera pas moins semée d’embûches. Si la Polonaise veut faire de Roland son jardin, il faudra esquiver tous les épouvantails sur sa route. Le premier pourrait être Garbine Muguruza dès le 3ème tour. Défaite à ce stade l’an dernier, l’Espagnole était abonnée aux deuxièmes semaines depuis 2014. Un apéro coriace pour la Polonaise dans un menu étoilé qui pourrait l’amener à recroiser son digestif de la dernière édition, Sofia Kenin, en quart de finale. Rien n’est moins sûr toutefois. L’Américaine, qui n’a pas encore goûté à la victoire cette année sur l’ocre, devra d’abord avaler Elise Mertens. Capable du meilleur comme du pire, la Belge n’en reste pas moins une sérieuse outsider.
Le plat de résistance pourrait ensuite être très copieux pour la tenante du titre. La table des demi-finales est d’ores et déjà réservée pour un repas en tête à tête avec Ashleigh Barty. Numéro une mondiale incontestée, l’Australienne a déjà gagné à Paris. Seule joueuse à avoir croqué la tenante du titre sur terre battue cette saison, Barty arrive en trombe avec un bilan de 13-3 en 2021 sur la surface ocre.
Dans l’autre hémisphère du tableau, si les noms de Naomi Osaka et Serena Williams brillent plus que les autres, l’étincelle pourrait venir d’ailleurs. Que ce soit la Nippone ou l’Américaine, elles n’ont joué que trois petits matches sur terre battue. Avec une seule victoire à leur actif, elles sont loin d’arriver en grande forme à Paris. Tout le contraire d’Aryna Sabalenka et de Veronika Kudermetova.
Sabalenka’le à nouveau en Grand Chelem ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître pour une numéro 4 mondiale, Sabalenka n’a jamais franchi le 3ème tour à Roland, ni participé à un quart de finale dans un majeur. Pourtant, sa puissance fait d’elle un danger sur toutes les surfaces. Mais cette année, après un gros travail autour de son jeu de jambes et de sa capacité à gérer ses émotions, elle semble avoir eu le déclic tant attendu. Finaliste à Stuttgart, victorieuse ensuite de son premier tournoi sur terre battue au Masters 1000 de Madrid face à Barty, Sabalenka arrive en trombe. Deuxième à la race, la Biélorusse semble enfin en mesure de cogner avec les grandes en Grand-Chelem. Dans une partie de tableau qui a déjà perdu une de ses têtes de série dimanche (Kerber), Sabalenka peut tirer son épingle du jeu et broder un premier très grand succès. Elle a d’ailleurs admirablement commencé son tournoi dimanche après-midi en battant à plat de couture la qualifiée croate Ana Konjuh.
De son côté, Kudermetova pourrait être la bonne surprise de la quinzaine. La Russe a montré une très belle régularité cette saison, notamment en gagnant le tournoi de Charleston avant de claquer une demi à Istanbul. Si la voir triompher le 12 Juin prochain semble un peu présomptueux, elle peut s’ériger en une véritable coupeuse de tête. Dimanche, son 1er tour, de prime abord plutôt compliqué contre Anisimova s’est très bien déroulé. La Russe a taillé l’Américaine en deux petits sets. Voilà Andreescu, Bertens et Osaka, gros couteaux de cette partie de tableau, prévenues.
Un tirage masculin dantesque
Chez les hommes, la partie gauche du tableau donne la chair de poule. 59 Grands Chelems sont rassemblés de ce même côté.* En plus des trois mutants que sont Novak Djokovic, Roger Federer et Rafael Nadal, le casting du tournage parisien est plutôt sexy. Mais qui pour empêcher le Majorquin de participer à la dernière scène le 13 juin ?
Roger Federer ? Non. De son propre aveu, le Suisse est conscient que son manque de rythme, conjugué à un manque de repères évident, représentent un handicap trop lourd. Après seize mois d’arrêt, le Bâlois n’est revenu que deux fois sur le circuit. Un quart à l’ATP 250 de Doha et une défaite au tournoi de Genève mi-mai pour ce qui constitue son seul match sur terre battue. Une préparation incertaine qui le cantonnera à un rôle de figurant.
Le rôle principal dans la dissolution de l’empire majorquin est attribué à Novak Djokovic. Sans doute l’obstacle le plus sérieux pour Rafa, la préparation de Nole fût plutôt inquiétante. Absent des radars depuis son triomphe à Melbourne en janvier, le Serbe faisait son retour à Monte-Carlo. Une élimination surprise en huitième face à Daniel Evans qui sera suivie d’une autre déconvenue, à Belgrade cette fois. Au terme d’un match incroyable, Djokovic plie contre l’étonnant Karatsev. Mais pas de panique. Il a rassuré tout le monde lors du Masters de Rome. Ecartant Stefanos Tsistipas puis Lorenzo Sonego, le Djoker trouve enfin les certitudes qu’il était venu chercher. Sa défaite en finale face à Nadal ne change rien. Le bilan est positif, Djoko’ sera au rendez-vous.
Le numéro un mondial pose d’ailleurs rarement de lapin à la deuxième semaine parisienne. Sa constance fait froid dans le dos. Présent en quart de finale à quatorze reprises, même Nadal ne fait pas mieux. Autre facteur à prendre en compte, il faut gagner trois sets. Si le format classique permet des surprises, celui en cinq sets beaucoup moins. Enfin, il possède un énorme avantage. Il a déjà gagné un oscar Porte d’Auteuil.
La Next-Gen, enfin ?
Si la demi-finale Djokovic – Nadal est le scénario le plus probable, attention toutefois aux nombreux seconds rôles qui pourraient transformer cette comédie familiale en un thriller insoutenable. Parmi eux, Andrey Rublev. Avec son jeu d’une violence rare, il détruit la balle à chaque frappe. S’il a réalisé l’exploit de battre Nadal à Monte-Carlo pour atteindre sa première finale en Masters 1000, sa capacité à maintenir son niveau dans un match au meilleur des cinq sets reste un gros point d’interrogation. D’autant plus qu’il a récemment montré des signes de fatigues après un printemps très riche.
Yannick Sinner, de son côté, peut également jouer les trouble-fêtes. Si une victoire finale n’est pas encore à l’ordre du jour, le prodige Italien a déjà montré que, sur un match, il peut renverser n’importe qui. Rafael Nadal, qui pourrait croiser sa route en huitièmes de finale, est prévenu.
A l’opposé du tableau, on est conscient que la tournure du tirage au sort offre une opportunité incroyable de rallier la finale. D’autant plus que la première bombe du tournoi est venue tout droit d’Autriche. Dimanche, après avoir mené 2 sets à 0, Dominic Thiem explose contre Pablo Andujar. Considéré pendant des années comme le successeur du maitre des lieux, Rafael Nadal, la tête de série numéro 4 n’arrive décidément pas à tourner le bouton depuis sa consécration à l’US Open 2020.
Tsitsipas un cap
Joueur le mieux classé dans cette partie droite du tableau, Daniil Medvedev est loin, très loin de représenter un danger pour ses adversaires sur terre battue. Malgré des conditions plus sèches qui pourraient l’avantager quelque peu, notamment au service, le Russe déteste la terre battue et ne s’en cache pas. Il n’a d’ailleurs jamais gagné un match à Roland. Dès lors, franchir un tour serait déjà un pas en avant pour lui. Des objectifs indignes d’un numéro 2 mondial. Tout profit pour Alexander Zverev et Stefanos Tsitsipas.
Si la préparation de l’Allemand n’a pas été de tout repos, elle a comme point d’orgue un victoire finale à Madrid. Un tournoi où les conditions atmosphériques de la capitale espagnole lui conviennent à merveille. Un grosse perf’ pour Zverev qui remporte son quatrième Masters 1000 en écartant au passage Rafael Nadal. Mais Sascha est retombé dans ces travers dimanche après-midi. Mené 2 sets à 0 face au 152ème mondial Oscar Otte, il est parvenu à retourner une situation bien mal embarquée. Mais l’énergie dépensée pourrait se payer cash dans les jours à venir.
Pour le Grec, la voie jusqu’aux demi-finales semble royale. Mis à part Medvedev dont on connaît les difficultés sur terre, Tsitsipas devrait se frayer un chemin jusqu’au dernier carré sans véritablement trembler. Non pas que Opelka, Raonic ou Carreno Busta soient de mauvais joueurs, mais plutôt parce que le protégé de Patrick Mouratoglou a franchi un cap cette année. Un gros travail en fond de court pour perfectionner un revers meurtrier qui lui offre un titre à Monte-Carlo, un autre à Lyon. En pleine confiance, Tsitsipas quitte sa tenue d’outsider pour enfiler le costume de favori. Un statut qu’il faudra assumer.
Nadal face à lui-même
Oui, le plus gros adversaire de Rafa, c’est Nadal. Sa préparation l’a à nouveau illustré, quand il est en pleine possession de ses moyens, personne ne peut battre le Majorquin sur sa surface. Encore moins à Paris. Le problème pour ses adversaires, c’est que plus le tournoi avance, plus le tenant du titre se règle et devient injouable. Si un seul joueur arrive à déloger le maitre des lieux, cette année encore, ce sera un exploit sans nom. Djokovic, Zverev, Sinner, Tsitsipas, l’Espagnol a battu tous ses principaux adversaires directs lors de la préparation alors qu’il n’était pas encore à son meilleur niveau. Un boost mental incommensurable quand on connaît la superstition qui l’habite.
Enfin, il ne l’avouera jamais mais tout le monde sait qu’il y a déjà pensé. Une 14ème couronne à Roland-Garros constituerait son 21ème Grand Chelem. De quoi faire de lui le roi historique du tennis mondial. Du moins jusqu’à Wimbledon.
*Federer 20, Nadal 20, Djokovic 18, Cilic 1.
Valentin Raskin
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