Jannik Sinner ne jouera pas au tennis pendant trois mois. © LAPRESSE

Jannik Sinner suspendu 3 mois: pourquoi ce n’est pas le traitement de faveur que vous pensez

Jannik Sinner a passé un accord pour être suspendu 3 mois suite à un contrôle suspect. Le numéro 1 mondial de tennis risquait jusqu’à 2 ans de suspension. A-t-il été avantagé?

Un joueur de tennis qui, selon toutes les parties, ne s’est pas dopé intentionnellement, s’est vu infliger une suspension de trois mois à la suite d’un «accord» avec l’Agence mondiale antidopage (AMA). Pour un joueur moins connu que Jannik Sinner, beaucoup auraient considéré qu’il s’agissait d’une sanction appropriée. Cependant, au cœur du tollé provoqué par le prétendu traitement de faveur accordé à l’Italien, de nombreux faits sont aujourd’hui passés sous silence. Cinq observations pour y voir plus clair.

1. Jannik Sinner n’a pas pris de produits dopants en toute connaissance de cause

Bien que la réputation de Jannik Sinner soit à jamais entachée par cette histoire de dopage, une chose est sûre pour toutes les parties: le numéro 1 mondial n’était pas coupable de dopage conscient. Les 10 et 18 mars 2024, deux échantillons de dopage de 86 et 76 picogrammes par litre de clostébol, un stéroïde anabolisant interdit, ont été trouvés dans son corps lors du tournoi d’Indian Wells.

A titre de comparaison, un picogramme correspond à un trillionième de gramme, soit la moitié d’un morceau de sucre que l’on dissoudrait dans un lac de taille moyenne. Quelle que soit la taille de la substance, si elle est trouvée, il s’agit d’un «résultat d’analyse anormal». Selon Sinner, la substance a pénétré accidentellement dans son corps après qu’il a été traité par son physiothérapeute. Ce dernier avait soigné une coupure au doigt avec de la trofodermine, un médicament en vente libre en Italie qui contient du clostébol.

Ce qui, à première vue, semble être une explication étrange s’est avéré être vrai après une enquête menée par Sport Resolutions. Ce tribunal indépendant composé de trois experts avait été nommé par l’Agence internationale pour l’intégrité du tennis (ITIA), mais il est totalement indépendant de l’ITIA. Selon le professeur émérite David Cowan, l’un des trois experts, la quantité infime utilisée dans le cas de Sinner n’avait pas non plus «d’effet pertinent d’amélioration des performances».

Ces conclusions ont été confirmées par l’Agence mondiale antidopage (AMA) dans l’accord qu’elle a récemment conclu avec Jannik Sinner, prévoyant une suspension de trois mois.

2. «Absence de faute» ne signifie pas «absence de faute significative»

Le dopage conscient ou inconscient n’est pas la raison pour laquelle l’AMA a fait appel au Tribunal International du Sport (TAS) après la décision de Sport Resolutions, repris par l’Agence Internationale pour l’Intégrité du Tennis (ITIA).

En revanche, la responsabilité de Jannik Sinner est engagée pour la négligence de son entourage. Selon la première conclusion, l’Italien n’a commis «aucune faute ou négligence» et n’a donc pas été suspendu.

«Dans le droit antidopage, une distinction est faite entre «absence de faute ou de négligence» et «absence de faute significative», explique le professeur de droit du sport Frank Hendrickx (KU Leuven). «Dans les deux cas, une infraction non intentionnelle a été constatée, mais la sanction diffère

En l’absence de faute, un acquittement complet est possible, comme ce fut le cas initialement pour Sinner. En l’absence de faute significative, la peine de deux ans (sanction standard pour un dopage inconscient avéré) peut être ramenée à un an. Par conséquent, lorsque l’AMA a fait appel devant le TAS, elle a parlé d’une suspension d’un à deux ans.

3. La responsabilité objective reste la pierre angulaire de la législation antidopage

Le fait que l’AMA ait fait appel avait tout à voir avec le principe de «responsabilité stricte». Un athlète est responsable de ce qu’il y a dans son corps et, en cas de résultat positif, il doit être en mesure de prouver comment une substance dopante s’est retrouvée dans son corps. Même si, comme dans le cas de Jannik Sinner, il s’agit d’une erreur de l’entourage.

La responsabilité stricte est une pierre angulaire de la législation antidopage. Un athlète dont il est établi qu’il n’a pas pris de produits dopants en connaissance de cause, mais qui ne peut pas prouver comment la contamination s’est produite, se voit infliger une suspension de deux ans, comme le coureur de cyclo-cross Toon Aerts ou l’athlète Shari Bossuyt.

Cependant, l’AMA n’a pas accepté le verdict «sans faute ni négligence» de Sports Resolutions dans l’affaire Sinner. L’Agence mondiale antidopage a estimé que le numéro 1 mondial n’avait pas commis d’erreur «significative» et qu’il devait donc faire l’objet d’une suspension limitée. D’où l’appel au Tribunal international du sport (TAS). Cependant, l’AMA n’avait pas agi de la même manière au début du mois de mars 2024 lorsque l’ITIA a acquitté le joueur de tennis italien inconnu Marco Bortolotti. Ce dernier, comme Sinner, avait également été pris avec du clostébol en octobre 2023, mais avait pu prouver la contamination.

«L’AMA a vraisemblablement fait appel parce qu’elle veut limiter au strict minimum les jugements sans faute, explique le professeur Frank Hendrickx. Sinon, la «responsabilité stricte» du Code mondial antidopage serait trop affaiblie.»

Il est possible que l’énorme couverture médiatique de l’affaire Sinner ait incité l’AMA à faire appel au TAS. Le fait que l’AMA ne le fasse pas dans tous les cas, comme elle ne l’avait pas fait dans l’affaire Marco Bortolotti, peut s’expliquer par des raisons financières. Elle ne roule effectivement pas sur l’or, surtout depuis que le gouvernement américain n’a pas payé sa contribution de 3,4 millions d’euros pour 2024.

«Rien de tout cela ne devrait être un facteur en soi. Mais le fait que l’AMA ait fait appel montre qu’à cet égard, Sinner n’a pas bénéficié d’un traitement de faveur. D’abord, il n’avait pas de suspension et maintenant il en a une», souligne M. Hendrickx.

4. L’AMA a choisi la valeur sûre

Question cruciale: pourquoi, deux mois avant que le Tribunal international du sport (TAS) ne statue, l’AMA a-t-elle conclu un accord avec Jannik Sinner pour une suspension de trois mois? Et donc pas d’un ou deux ans, comme le prévoyait initialement l’appel?

«Il est impossible de prévoir la décision du TAS, explique Hendrickx. De plus, Sinner disposait d’un dossier solide. Je soupçonne l’AMA d’avoir choisi la voie de la sécurité. Si le TAS n’avait pas non plus imposé de suspension à Sinner, le pilier «responsabilité stricte» du Code mondial antidopage aurait été remis en question. Cela aurait ouvert la porte à d’autres athlètes qui auraient pu imputer un résultat positif à leur entourage en toute impunité.»

Il est important de noter que l’AMA, comme elle l’a indiqué dans son communiqué de presse, peut conclure un tel «accord de résolution de cas» en vertu de l’article 10.8.2 du Code mondial antidopage, même s’il s’agit d’un cas exceptionnel. Un tel accord exige que l’athlète en question reconnaisse qu’il a commis une infraction. C’est ce qu’a fait Sinner dans sa déclaration, en affirmant qu’il était responsable des erreurs de son entourage.

«L’accord ne supprime pas l’infraction, mais il supprime la discussion sur «l’absence de faute» ou «l’absence de faute significative». Il est donc possible de négocier la durée d’une suspension normalement limitée à un ou deux ans. Dans le cas présent, il s’agit donc d’une suspension de trois mois», explique le professeur Hendrickx.

L’article 10.8.2 a donc été correctement appliqué. Avec cette nuance que si cela se produit trop souvent, une inégalité peut apparaître entre les athlètes qui concluent ou non un tel accord avec l’AMA. D’autre part, il convient de souligner que l’AMA n’a pas agi unilatéralement. La Fédération internationale de tennis (ITF) et l’Agence internationale pour l’intégrité du tennis (ITIA) ont également participé à cet accord.

5. Jannik Sinner a été sanctionné comme il se doit

Le fait que Jannik Sinner ait accepté la suspension de trois mois relève également de la gestion des risques. Même si le TAS lui avait infligé la même sanction que l’AMA en avril, il aurait manqué les tournois du Grand Chelem de Roland Garros et de Wimbledon.

En concluant maintenant un accord avec l’AMA, la suspension court du 9 février au 4 mai. L’Italien risque ainsi de perdre sa place de numéro 1 au classement ATP, ce qui pourrait lui coûter jusqu’à deux millions d’euros, voire plus, en prize money. Mais cela lui permettra de reprendre la compétition lors du tournoi Masters 1000 de Rome, puis à Roland Garros.

L’accord entre Sinner et l’AMA, son calendrier et la durée de la suspension suscitent logiquement beaucoup de critiques et de scepticisme, mais de nombreux experts juridiques s’accordent à dire que trois mois est une sanction correcte. Surtout, personne n’aurait crié au traitement de faveur si un joueur moins connu avait reçu la même suspension.

Selon le professeur Hendrickx, les comparaisons avec d’autres affaires de dopage, dans lesquelles les athlètes ont néanmoins été suspendus plus longtemps et, selon les critiques, n’ont pas bénéficié d’un traitement préférentiel, ne tiennent pas non plus la route: «L’harmonisation de la législation antidopage internationale est une bonne chose, mais il est illusoire de penser qu’elle devrait conduire à une égalité de traitement. Chaque cas est différent. L’existence du principe de «l’absence de faute» et de «l’absence de faute significative» permet d’affiner les choses, en autorisant les agences antidopage à s’écarter des sanctions standard. Une sanction (appropriée), comme dans le cas de Sinner, fait partie d’une bonne protection juridique.»

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