Des gamers montent au filet contre Stan Wawrinka: le champion de tennis leur a-t-il fait perdre tout leur argent?
Le champion de tennis suisse s’est fortement investi dans un jeu de tennis virtuel basé sur les NFT. Les joueurs-investisseurs qui l’ont suivi lui reprochent aujourd’hui de leur avoir fait perdre la quasi-totalité de leur mise.
On connaissait Stan Wawrinka le «joueur de tennis». Moins Stan Wawrinka l’«investisseur». Pourtant, le Suisse, qui, à 39 ans, n’en finit plus de prolonger sa carrière –il s’est incliné au deuxième tour de Roland-Garros le 29 mai– a déjà mis la main au portefeuille pour soutenir plusieurs entreprises: une plateforme de mobilité, une marque de padel et, plus récemment, une société horlogère dans laquelle il est devenu actionnaire minoritaire.
C’est un autre investissement qui lui vaut depuis plusieurs mois une mauvaise publicité et, plus encore, de vives critiques de la part de fans qui affirment avoir perdu de l’argent par sa faute: un projet qu’il a mené avec Prosper Masquelier, membre de la famille Partouche, active dans les casinos, attiré début des années 2000 par les feux sulfureux de la téléréalité et calé aujourd’hui dans le costume, plus classique, de l’homme d’affaires «multiprojets». En 2020, celui-ci ambitionne de développer un jeu virtuel de tennis basé sur les NFT. Il propose au sportif de le rejoindre dans cette entreprise.
«Ballman Project» voit le jour en 2021. Dans le milieu du gaming, on appelle cela un «play-to-earn». C’est-à-dire un jeu où les joueurs peuvent gagner de l’argent sous forme de cryptomonnaie. Pour y parvenir, rien de plus limpide dans le produit développé par les deux partenaires: participer à des tournois virtuels et y aligner les victoires. Ce qui, au départ, nécessite d’acquérir des joueurs, appelés aussi avatars, puis de les entraîner.
C’est là qu’interviennent les NFT. Ces certificats uniques de propriété numérique, reliés à la blockchain –que l’on peut se représenter comme un vaste registre à ciel ouvert– assurent que les avatars appartiennent bien aux utilisateurs qui, pour les acquérir, doivent débourser de l’argent. Entre 200 et 600 euros, tout de même. Le Ballman Project aurait généré 5.500 de ces titres, dont la majeure partie aurait, semble-t-il, trouvé preneur.
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Une logique d’investissement
En ce début des années 2020, les responsables du Ballman Project ne sont pas les seuls à miser sur les NFT. Lorsqu’ils débarquent, l’industrie du jeu vidéo les voit comme une source supplémentaire de revenus. Depuis 20 ans, cette dernière n’a cessé d’en chercher de nouveaux, s’éloignant du modèle traditionnel –qui voulait qu’un joueur achète une fois pour toutes une boîte de jeu– et développant des produits additionnels: contenus téléchargeables vers des niveaux ou des mondes supplémentaires, artefacts modifiant l’esthétique des personnages ou boostant leurs caractéristiques ou encore crédits permettant à l’utilisateur de rejouer plus rapidement…
De ce point de vue, les NFT ne bouleversent pas les façons de faire de l’industrie. En revanche, ils innovent en faisant des jeux vidéo des terrains d’investissement. «Quelque chose de rare, c’est quelque chose qui a davantage de valeur, souligne Nicolas van Zeebroeck, professeur d’économie et de stratégie numériques à l’ULB. C’est sur cette idée assez simpliste que fonctionne la logique d’investissement au cœur des NFT.»
En rejoignant l’aventure, les joueurs-investisseurs du Ballman Project espéraient faire fructifier leurs mises. Malheureusement pour eux, plus de deux ans après le lancement, celles-ci ont quasiment disparu. Entre graphisme simpliste, effets basiques et gains trop faibles liés aux victoires en tournoi, le jeu n’a jamais suscité l’enthousiasme escompté, les candidats ne sont pas pressés au portillon pour racheter les NFT et la valeur de ceux-ci a plongé. Un échec qui a fini par soulever chez les joueurs une assez désagréable impression: celle de s’être fait duper par des créateurs qui avaient choisi d’investir un minimum dans le jeu malgré les sommes générées par la vente des NFT. Selon les joueurs, précisément, celles-ci s’élèvent à quelque trois millions de francs suisses (3,05 millions d’euros), un montant contesté par Prosper Masquelier, qui parle, lui, d’un million.
«Savoir précisément quelles sont les conditions qui favorisent un investissement en NFT reste compliqué, affirme Nicolas van Zeebroeck. Cela dit, et ce n’est pas propre aux jeux vidéo, on peut quand même faire un lien entre qualité d’un projet et valeur d’un NFT. Partant de là, on peut distinguer deux types de projet au moins: ceux qui existent hors des NFT et qui n’en génèrent que de façon presque accessoire et ceux qui voient le jour avec le seul objectif de générer de l’argent à partir des NFT. Dans le premier cas, on a de véritables projets; dans le second, on peut n’avoir que des emballages…»
«Tout acheteur de NFT en connaît le caractère volatile, et ce n’est pas le rôle du créateur de garantir leur cours.»
Des flux financiers
Pressés par les accusations, les deux concepteurs se sont défendus d’avoir voulu tromper quiconque. «Nous misions sur une appréciation de l’ether (NDLR: une cryptomonnaie)», a indiqué Prosper Masquelier pour justifier l’insuffisance des moyens consacrés au développement du jeu. Près de moitié de l’argent «sauvé» aurait toutefois été investi dans ce travail, selon lui. «Tout acheteur de NFT connaît le caractère volatile de ces objets, et ce n’est pas le rôle du créateur de garantir leur cours de quelconque manière», a affirmé quant à lui Stan Wawrinka dans une réponse à la télévision suisse.
La défense du champion n’a pas suffi à éteindre l’incendie. Il faut dire qu’un «enquêteur» de la blockchain, Thomas Perrin, avait révélé plus tôt que les registres de celle-ci renseignaient des flux financiers –à hauteur de l’équivalent en cryptomonnaie de quelque 440.000 dollars– de portefeuilles liés au projet vers celui de Stan Wawrinka. Le remboursement d’une avance ainsi que la rémunération du travail consenti et de son image se justifie-t-il. Une preuve supplémentaire d’un projet délibérément «vidé» de ses financements, selon ses détracteurs. Plusieurs ont d’ailleurs contacté l’Association d’aide aux victimes d’influenceurs. Elle devrait déposer plainte prochainement.
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