© BELGAIMAGE - CHRISTOPHE KETELS

Rencontre(s) avec nos athlètes paralympiques: « Faites du sport! »

Les Jeux Paralympiques, qui débutent ce mardi 24 août, sont la grand-messe des athlètes souffrant d’un handicap corporel, visuel ou mental. Focus sur trois Belges qui essaieront de repousser leurs limites à Tokyo.

Ewoud Vromant

Ewoud Vromant (36 ans): « J’avais huit ans. J’ai regardé la cérémonie d’ouverture des Jeux de Barcelone par le trou de la serrure. Mes parents m’avaient obligé à aller me coucher, mais je trouvais ces olympiades tellement fascinantes. À vingt ans, j’ai commencé les quarts de triathlon. Fin 2012, je me suis enfin décidé à m’entraîner pendant l’hiver. C’est précisément à cette période que mes jeans ont commencé à serrer du côté de ma jambe droite. Je ne ressentais aucune douleur, mais le docteur m’a quand même conseillé d’aller faire un scanner. C’est là qu’on a découvert la tumeur. Une tumeur maligne. Et onze petits points sur mes poumons. Ça avait l’air de métastases.

En tant que champion du monde, je dois viser l’or en poursuite individuelle à Tokyo. »

Ewoud Vromant – Paracyclisme

On m’a dit que mes chances de survie étaient de 50% et on m’a prescrit une chimiothérapie de 18 semaines. Elle ne ferait toutefois pas disparaître la tumeur de ma jambe. L’amputation était la seule solution. Mentalement, c’était très dur. Mon principal souci, c’était que je ne pourrais plus jamais faire du sport. J’ai commencé ma revalidation, mentalement et physiquement. Je devais réapprendre à marcher, avec une prothèse. Je me suis rendu compte que je ne pouvais plus faire certaines choses. Ça m’a frustré, et j’ai parfois passé ma rage sur mes proches. Je devais retrouver une place au sein ma famille et dans mon boulot.

Six mois après mon amputation, je suis quand même parti au ski, avec Anneleen et notre fils Jasper, qui avait alors trois ans. Nous sommes partis avec Anvasport, une organisation qui aide les personnes handicapées à refaire du sport. Skier sur une jambe était très dur physiquement. J’ai beaucoup pleuré. De frustration, mais aussi de contentement. Je me disais: Si je suis capable de skier avec mon handicap, je dois être capable de faire d’autres choses. La philosophie d’Anvasport est: Pour chaque problème, il y a une solution. Je voulais appliquer ce principe à ma propre vie.

Jana est née deux ans après mon amputation. Après la chimio, je suis quand même redevenu fertile. À la même époque, j’ai rejoint un club d’athlétisme où certains couraient avec une prothèse. J’ai progressivement ressenti le besoin de refaire de la compétition. Mais mes pas étaient trop courts pour bien courir. En triathlon, je réalisais toujours de très bons temps en cyclisme. Mais avec une jambe, il faut énormément tirer sur la pédale. Petit à petit, j’ai progressé. J’avais apparemment du talent. Aujourd’hui, je fais du paracyclisme en premier lieu parce que j’aime ça, mais c’est très agréable de savoir qu’on est le meilleur du monde.

Avec son handicap visuel, le joueur de goalball Bruno Vanhove se rend aux entraînements de l'équipe nationale en train:
Avec son handicap visuel, le joueur de goalball Bruno Vanhove se rend aux entraînements de l’équipe nationale en train: « Je voyage alors pendant quatre heures. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

En tant que champion du monde, je dois viser l’or en poursuite individuelle à Tokyo. Lors du contre-la-montre, sur 25 kilomètres, j’espère une médaille. Mais là aussi, l’or n’est pas impossible. Le contre-la-montre se disputera cependant sur un circuit en pente. Ce n’est pas à mon avantage: je mesure 1m92 et en mai, je pesais encore 85 kg. Normalement, mon poids de forme se situe aux alentours de 83 kg, mais j’espère descendre à 80 ou 81 kg. Ça veut dire souffrir de la faim pendant des semaines. Je suis alors de mauvaise humeur et c’est de nouveau ma famille qui en supporte les conséquences. Parfois, je me demande pourquoi je les emmène dans cette aventure.

Entre-temps, j’ai obtenu un contrat de sportif de haut niveau qui me donne plus de temps libre, mais le docteur m’a conseillé de véritablement l’utiliser comme plages de repos. Je dois constamment faire attention à la surcharge. Tout repose sur cette unique jambe, c’est le cas aussi dans la vie de tous les jours. Autrefois, j’allais me promener avec Anneleen et les enfants, mais avec une prothèse, ça demande huit fois plus d’énergie qu’avec deux jambes normales. En tant que sportif de haut niveau, j’ai appris à devenir égoïste, mais après Paris, elle aura le temps pour ses projets à elle.

Ce n’est pas tellement l’amputation qui m’a changé, c’est surtout le cancer. Aujourd’hui, je réalise que tout aurait pu être terminé avant mes trente ans. Ça m’a fait comprendre à quel point la vie était courte et qu’il fallait en profiter. Pour moi, ça ne signifie pas faire le plus de choses possibles, mais profiter le plus longtemps possible des choses que je fais. Et je suis fier de me débrouiller aussi bien avec mon handicap.

Bruno Vanhove

BRUNO VANHOVE (37 ans): « Était-ce une erreur médicale? En tout cas, c’est étrange que des sextuplés soient nés à l’hôpital de Blankenberge. Ils n’étaient pas certains que nous serions six, ils pensaient que nous serions trois ou quatre. Donc, on peut se demander si le gynécologue n’aurait pas dû envoyer mes parents vers une clinique universitaire. D’un autre côté, on a tous survécu à la naissance – y compris notre mère – et on n’a pas tous les six des problèmes visuels liés à un trop-plein d’oxygène dans la couveuse. Deux de mes frères et ma soeur ont une vision normale. Moi, je vois environ un vingtième d’une personne normale.

En goalball, je ne dois plus me demander si des adversaires avec une meilleure vue sont avantagés.

Bruno Vanhove – Goalball

Depuis très jeune, je suis un passionné de sport. Je préférais les sports collectifs. Sur la plaine de jeux de l’école primaire, je pouvais jouer au football avec mes camarades de classe. Évidemment, j’étais plus limité qu’eux, mais j’étais capable de conserver un ballon, de passer et, de temps en temps, de marquer. J’ai demandé à mes copains comment ça se passait dans un club de foot, pour savoir si je pourrais me débrouiller sur un grand terrain. Malheureusement, non. Je pouvais m’affilier à un club qui jouait pour le plaisir, mais l’aspect compétition me manquait. Je ne veux pas simplement me montrer meilleur qu’un autre, je veux aussi me dépasser moi-même.

Mon père avait un emploi stable à la SNCB, ma mère a pu demander une interruption de carrière pour veiller sur nous, une mesure sociale qui faisait une grande différence pour nous. Si les parents doivent constamment rechercher des moyens et du temps pour s’occuper de leur famille, il ne leur reste plus beaucoup d’énergie pour, en plus, aller conduire les enfants à l’entraînement. Mais papa et maman ont tout de même pris le temps d’écouter le président de ViGe Noordzee – qui est encore toujours mon club – qui nous a parlé de goalball. Dans ce sport, tous les joueurs portent un bandeau, nous a expliqué le président. Afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. C’est un sport inclusif, tout le monde a le droit de le pratiquer, y compris mes deux frères voyants, Jelle et Lode. C’était une réelle chance: enfin un sport et des matches où on ne devait pas se demander si des adversaires avec une meilleure vision n’étaient pas avantagés. Arne et Tom sont toujours avec moi en équipe nationale. En plus de nos entraînements physiques, on s’entraînait une ou deux fois par semaine avec l’équipe nationale. Ils sont toujours organisés à un endroit facilement accessible par les transports en commun, car aucun de nous ne peut rouler en voiture. Avant un entraînement, on doit installer le terrain nous-mêmes: mettre les buts, tracer les lignes. On ne voit pas les lignes normales, donc on doit d’abord placer un ruban adhésif sur le sol puis le fixer. Ça demande une vingtaine de minutes avant chaque entraînement. Et après, il faut tout retirer. Toute cette organisation fait partie inhérente de notre sport. Un entraînement nous coûte toute une journée. Ce n’est pas évident de combiner ce sport avec un emploi à plein temps et un fils, comme c’est mon cas. On a tous un statut de sportif de haut niveau. Ça me permet de bénéficier d’une certaine flexibilité de mon employeur pour les entraînements, les stages et les tournois.

Barbara Minneci:
Barbara Minneci: « Le cheval, une raison de se lever le matin. »© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Lors des entraînements collectifs, on s’exerce aux techniques de lancer, à envoyer le ballon dans la bonne direction et on développe aussi des tactiques offensives. En goalball, il y a une petite sonnette dans le ballon. Ça nous permet d’entendre où le ballon se situe. Mais on peut aussi essayer de déplacer le ballon sans que la sonnette retentisse. Si l’on peut faire croire à l’adversaire que le ballon se trouve auprès du joueur x et qu’il n’en est rien, il y a moyen de le surprendre.

On est aujourd’hui sixièmes au classement mondial. Aucune équipe belge paralympique n’a jamais fait mieux. Ce serait beau de ramener la première médaille belge dans un sport collectif. J’espère que, dans ce cas, on aura droit à la reconnaissance que l’on ne nous a pas accordée après nos médailles à l’EURO et à la Coupe du monde. Si on remporte un trophée, on espère avoir droit aux mêmes égards qu’un sportif valide lorsqu’il réalise un exploit. Ce serait très agréable de pouvoir disserter de notre médaille plutôt que de devoir expliquer une énième fois ce qu’est le goalball ( Il sourit). »

Aujourd’hui, je communique mieux avec mon cheval qu’avant mon handicap. »

Barbara Minecci – Para-dressage

Barbara Minneci

BARBARA MINNECI(51 ans): « À partir de mes 26 ans, lorsque j’ai été atteinte d’un cancer, j’ai traversé une longue période sombre faite de rechutes, de complications. Ça n’arrêtait pas. Au total, je crois que j’ai perdu dix ans. J’ai perdu mes sensations dans ma jambe gauche. Et on a dû utiliser des muscles de ma jambe droite pour la reconstruction. J’avais déjà fait une croix sur l’équitation à ce moment-là. Une amie, qui voyait que j’étais dans le trou, a insisté pour que je remonte à cheval. Finalement, je me suis exécutée, mais surtout pour ne plus l’entendre toujours répéter la même chose. Lorsque je suis remontée pour la première fois à cheval, j’ai directement ressenti les sensations que j’avais eues durant ma jeunesse. Cette même passion. Et la douleur que je craignais, n’est pas apparue. Au contraire, une partie de mon corps s’est remise en mouvement alors que ce n’était pas le cas dans ma chaise roulante. Les chevaux sont devenus mes kinés ( Elle sourit). Et ils sont beaucoup plus agréables que ces gars qui vous plient dans tous les sens.

L’équitation a brisé la spirale négative dans laquelle je m’étais engouffrée, lorsque je ne songeais qu’à ma maladie et à ma prochaine visite à l’hôpital. Subitement, le matin, je me disais que ces animaux m’attendaient. Après une visite à l’hôpital, je ne suis pas rentrée directement à la maison, je suis d’abord allée à l’écurie.

À Tokyo, je serai la seule cavalière qui montera en amazone, avec les deux jambes du même côté. Pour un cheval, c’est toujours plus facile lorsqu’on peut passer une jambe de chaque côté, même si l’on ne peut plus faire grand-chose avec l’une de ces jambes, mais je n’en suis plus capable. Mon poids n’est jamais bien réparti sur le cheval, le cheval doit continuellement s’adapter. Moi, de mon côté, j’ai dû trouver une autre manière de communiquer avec mon cheval. Je voulais me reposer sur ce que je connaissais d’autrefois, mais rien ne réussissait comme avant. J’ai tourné le bouton lorsque j’ai compris que je devais cesser de tout comparer avec le passé.

Aujourd’hui, je communique mieux avec mon cheval qu’avant mon handicap. La manière classique d’obliger votre cheval à aller quand même dans une certaine direction, c’est de donner des petits coups avec votre jambe. Si vous n’en êtes plus capable, vous avez besoin d’avoir une relation de confiance beaucoup plus forte avec votre cheval. Cette relation doit faire en sorte qu’il se dirige tout de même vers une certaine direction, uniquement par la manière avec laquelle vous le lui demandez. Mon cheval doit aussi prendre lui-même des décisions ou m’aider, sans que je le lui demande.

Je peux aussi m’estimer heureuse d’encore pouvoir m’adonner à ma passion. Je peux quand même parler de bonheur, même si j’aurais préféré ne pas tomber malade. Dans un monde idéal, j’aurais eu un emploi et des enfants à l’heure qu’il est. Aujourd’hui, je ne peux même plus me permettre une excursion à Bruxelles, car la ville est très peu adaptée aux personnes en fauteuil. D’un autre côté, j’ai découvert beaucoup de choses que je ne connaissais pas autrefois: le para-dressage, Stuart, ces gens formidables que j’ai appris à connaître. Grâce à des collègues-cavaliers, j’ai appris comment je pouvais trouver des solutions pour foule de détails avec ma chaise roulante. Lors d’un concours également, il n’y a jamais personne qui refuse de partager ses expériences. Personne ne veut gagner parce qu’un collègue est empêtré dans des problèmes techniques. Le but est que chacun puisse monter à cheval le mieux possible et montrer de quoi il est capable.

Je donnerais ce conseil à toute personne handicapée: Faites du sport. Ça détourne votre attention. Ça vous met en contact avec d’autres gens qui ont aussi connu des moments difficiles. Ça vous donne le sentiment que vous n’êtes pas seul. Vous voyez alors votre handicap d’un autre oeil. L’autonomie que j’ai perdue physiquement, je l’ai récupérée mentalement. Cette expérience, vous la recevez en cadeau lorsque vous recommencez à vivre et que vous ne vous contentez pas de survivre. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire