« N’oubliez pas qu’on est en 2001 »
L’entraîneur brugeois se sent l’âme d’un patron et cela dérange certaines personnes qui aimeraient le voir s’en aller.
Trond Sollied répète souvent qu’il n’a qu’un seul objectif: continuer à progresser et aller jusqu’au bout de son contrat de trois ans avec Bruges. Pourtant des rumeurs circulent selon lesquelles il en serait à sa dernière saison. Pour l’entraîneur norvégien la situation est claire. Si certaines personnes préfèrent le voir partir qu’elles le lui disent en face.
D’où viennent ces bruits?
Trond Sollied: Je n’en ai aucune idée. Je l’ai déjà lu moi-même dans deux journaux, sans savoir d’où ça vient. Ça peut être juste ou non. Il s’agit d’une spéculation. Les spéculations sont autorisées. On spécule tous les jours, ne serait-ce qu’à la bourse.
Savez-vous si certaines personnes sont mécontentes de vous, à Bruges?
Je n’ai pas l’impression qu’il y en ait. Je rencontre surtout des gens heureux, contents. Si quelqu’un ne se sent pas bien, il doit avoir un motif. Normalement, on en discute mais si on n’en dit rien, je ne peux pas le deviner.
N’avez-vous pas l’impression qu’on a mis en marche un mécanisme destiné à amoindrir votre popularité?
Non, sans que je dise qu’une telle stratégie n’existe pas. Je n’ai jamais eu l’ambition d’être populaire. Je suis tout à fait banal, je respecte les gens et j’essaie de bien faire mon boulot. Pour le club, je suis un instrument qui doit lui permettre de faire progresser des joueurs encore jeunes, de leur apprendre des tuyaux et de les conduire, à plus ou moins court terme, à un niveau supérieur. Si le club estime que je m’acquitte mal de mon travail, je m’en vais. Pas de problème. Mais il serait alors plus convenable de m’en faire part personnellement.
Répéter sans cesse
Tout le monde est-il encore enthousiasmé par votre manière d’entraîner, basée sur des répétitions collectives et exigeante physiquement comme mentalement?
Exigeante? Le football n’est pas un sport facile. Johan Cruyff disait : -Si ça ne marche pas après mille fois, recommencez mille fois. Le football n’est que répétitions. Mes entraînements sont physiquement lourds, mais ils améliorent les aptitudes physiques des joueurs et les préparent bien. Quand on se contente de courir, on ne doit pas penser et on n’est pas un footballeur. Notre sport requiert une réflexion. Le football est également un sport d’équipe. Notre football est le produit de ce que nous entraînons chaque semaine. Ditez-moi comment je devrais m’y prendre avec les joueurs? Jouer de la guitare? Chanter? Oh, savez-vous ce qui serait génial? Le deltaplane. J’en ai fait avec Roger Tierentijn, le responsable du matériel, dans les montagnes autrichiennes. Inoubliable, mais je n’ai pas vu de footballeurs là-bas. Monter à cheval est également fantastique mais je crains que ça n’aide pas vraiment un footballeur. Nous avons déjà fait du footsquah en groupe, joué au billard, au bowling… Ce sont des activités sociales qui n’ont rien à voir avec le football. Je ne dois quand même pas demander aux joueurs le type de séance que je dois leur prodiguer? Indépendamment du fait que j’entendrais peut-être 27 voix différentes, si moi je ne le sais pas… C’est moi le patron! Je construis, semaine après semaine, un cycle. Je sais où je vais. Si vous n’avez pas de fil rouge, que faites-vous de bon? Ce qui ne m’empêche pas d’être ouvert à toute idée qui permette d’améliorer un exercice.
Le climat est le même partout
Lembi veut partir pour gagner davantage d’argent. Sillah veut partir parce qu’il fait à nouveau banquette. Dejan Nemec veut partir parce qu’il ne reçoit pas assez souvent sa chance. Le climat n’est pas vraiment serein.
Oh, c’est partout pareil. Nous avons vécu ça avec Jochen Janssen la saison passée aussi. Je ne peux aligner que onze joueurs. Ce n’est pas moi qui ai fait le règlement. Aimé Anthuenis a employé une bonne formule: -J’ai onze joueurs satisfaits, mais les autres sont mécontents. Chacun peut évidemment avoir un problème et j’espère qu’il se résolve. Si vous emmenez un problème dans un autre club, il va fatalement vous y poursuivre. La réalité, c’est que je dispose de 29 joueurs. Un concept prime: la compétition. La concurrence est sensée rendre plus fort l’individu comme le collectif. Ceux qui travaillent dur tous les jours réussiront. Les joueurs qui changent souvent de club ne s’accommodent généralement pas de la concurrence ou se laissent guider par l’aspect financier.
L’argent a fait le bonheur de Verheyen. Mais était-ce une bonne chose? Outre Lembi, nous pouvons imaginer que beaucoup de joueurs se demandent pourquoi Gert a reçu une augmentation et pas eux.
Le salaire des joueurs ne regarde pas l’entraîneur.
N’est-ce pas un peu l’affaire de l’entraîneur, que le Club rende Gert si important en lui offrant pareil contrat alors que sur le terrain, il l’est moins que durant la saison si agitée de René Verheyen?
Je peux difficilement répondre à cette question car ça s’est passé avant mon arrivée et j’ignore ce qui s’est vraiment produit.
Quand la saison actuelle sera-t-elle réussie?
Quand nous serons meilleurs que l’année dernière. Le nombre de points est une chose, la qualification pour les tours préliminaires de la Ligue des Champions une autre, la progression dans le jeu encore une autre.
La progression du jeu?
Tjörven De Brul avait rejoué à Lokeren et s’est intégré à notre jeu comme s’il n’avait jamais été inactif. Voilà ce que j’appelle une progression. L’entraîneur n’a pas d’influence sur certaines choses qui peuvent entraver cette évolution positive, comme des transferts en cours de saison, des blessures ou la suspension de certains joueurs, la façon dont on règle les problèmes qui échappent aux compétences du staff technique.
« La défense n’était pas stable »
Le Club Brugeois n’est-il pas moins brillant dans l’entrejeu qu’au début de la saison dernière? Il semble plus nerveux, moins pur, moins contrôlé, parfois même chaotique.
Vous ne devez pas baser vos comparaisons sur nos grands moments de la saison passée mais sur la moyenne des matches d’alors. N’oubliez pas que les circonstances nous ont empêché d’aligner deux fois de suite la même équipe. Tout le monde a déjà joué : Hans Cornelis, Birger Van de Ven, Birger Maertens, Ebou Sillah. Premier problème, notre défense n’était pas stable. A Lokeren, le retour de Tjörven De Brul a été extrêmement positif d’un point de vue défensif. Reste à trouver l’équilibre dans l’entrejeu, mais nous y arriverons.
La saison passée, vous êtes parfois passé du 4-3-3 au 3-4-3 et au 3-5-2. Ça s’est produit plus souvent durant la préparation. Pourquoi?
En alignant un trio défensif, vous laissez plus d’espaces sur les flancs mais ça peut aussi vous permettre de mieux tenir les deux avants et donc le match. Vous pouvez tout aussi bien apporter des changements à certaines positions, qui vous permettent de trouver un meilleure assise.
Le départ pénible de Rune Lange, le premier transfert réalisé sur votre conseil, ne vous poursuit-il pas?
L’honnêteté nous empêche de falsifier l’histoire. Rune est arrivé ici suite à un concours de circonstances: Jochen Janssen voulait partir. C’est en janvier, lors d’une réunion que j’ai appris que Rune pouvait être acquis pour le montant du transfert de Jochen. Mais quand est-il arrivé? A la mi-avril. Comme je le redoutais. C’est pour ça que j’ai toujours insisté sur le fait que nous aurions besoin de Jochen au second tour. On l’a bien vu quand Tim Smolders, Sandy Martens et Gert Verheyen ont eu des problèmes.
« Lange devait se préparer pour cette saison suivante »
Et dans quel état Lange est-il arrivé!
Il n’y a que deux possibilités: il réussit immédiatement ou non. Je lui ai rapidement dit de se préparer pour la saison suivante.
Quel est le prochain club, voire le prochain pays, dans votre plan de carrière?
Je n’ai rien planifié.
Ça peut donc être la Corée du Sud, l’Ukraine, les Emirats Arabes ou le Cameroun?
Non, l’Europe.
Avec une autre étape en Belgique?
Je ne sais pas.
Avez-vous reçu des propositions intéressantes depuis que vous entraînez Bruges?
Oui, la saison dernière. J’ai décliné car je ne peux travailler dans un club en un délai aussi bref. Où que j’aille, je veux imprimer ma marque avant de partir.
Vous préféreriez achever votre contrat à Bruges?
Oui, mais de manière constructive.
« Jouer le samedi soir »
Etes-vous prêt à rester si le Club parvient à se qualifier pour le tour préliminaire de la prochaine Ligue des Champions?
Je ne sais pas. Avant de me décider, je dois connaître l’état des lieux mais en principe, participer à la Ligue des Champions est économiquement intéressant et fait plaisir aux gens. Je sais en tout cas à quoi m’attendre car j’ai déjà participé à la Ligue des Champions quand j’entraînais Rosenborg.
Avez-vous la garantie qu’on va réaliser des investissements dans l’équipe?
Non, je n’ai pas la moindre garantie. D’ailleurs, il est difficile d’en donner en football.
Le cas échéant, que doit-on faire?
Enrôler des joueurs dont on est sûr qu’ils rehaussent le niveau de l’équipe. Il ne faut pas de cas douteux. Des joueurs d’expérience, comme j’en souhaitais cette saison déjà. En football, on apprend jusqu’à l’âge de 28 ans. A ce moment, on est en principe capable de se stabiliser à un haut niveau.
Et si rien ne se produit,… une saison de plus?
Je ne peux encore vous fournir de réponse sensée. En principe, je ne veux pas voir mes limites. Le jour où je les apercevrai, je devrai m’en aller mais j’ignore quand viendra ce jour. Quand vous voulez grimper mais que vous êtes juste en-dessous du plafond, vous vous cognez la tête. Je n’en ai nullement envie.
Qu’est-ce qui vous passe par la tête quand vous partez en car en stage à Nuremberg et que vous perdez ainsi deux jours d’entraînement?
Je pense que le Club manque d’argent ou que c’est un problème de philosophie.
Quelle philosophie, en l’occurrence?
La philosophie d’épargner de l’argent.
Lors de la conférence de presse, vous avez déclaré que vous vouliez voir 20.000 spectateurs dans le stade. Blue Army, un groupe de supporters très actif, plaide pour qu’on joue le samedi soir, dans sa lettre mensuelle. Parce que le potentiel de spectateurs est nettement plus élevé, qu’on joue fort peu dans les autres divisions et que les gens évitent les encombrements provoqués par les touristes revenant de la ville ou de la côte, mais aussi parce que les supporters préfèrent consacrer leur dimanche à leur famille…
Le football du dimanche après-midi date de 20 ou 30 ans, il est issu d’une société très différente, avant la professionnalisation et la commercialisation du football. Jouer à trois heures de l’après-midi, à la lumière du jour, permet d’économiser les frais d’électricité. En plus, qu’on le veuille ou non, les gens attendent davantage qu’un simple match, de nos jours. Ils veulent vivre des événements, avant et après le match. Nous sommes en l’an 2001, il est important que tout le monde le réalise.
Christian Vandenabeele
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