Noah Lyles, le nouveau Usain Bolt malgré lui ?
Premier homme depuis Usain Bolt à réaliser le doublé 100-200 mètres sur un rendez-vous mondial, Noah Lyles est le nouveau roi du sprint, deux ans après avoir pensé à quitter la piste.
Chez les princes de la ligne droite, monstres de testostérone, le passage devant un micro est souvent l’opportunité de montrer les muscles. Champion du monde du 100 mètres en 2022, l’Américain Fred Kerley ne déroge pas à la règle. A Budapest, en prélude de Mondiaux où il rêve alors de prolonger son règne planétaire, le Texan annonce ses ambitions et prédit la fin de la courbe ascendante de son ambitieux compatriote Noah Lyles.
On ne la fait évidemment pas au showman floridien. La réplique fuse dès la conférence de presse: «Ils disent tous ça, jusqu’à ce qu’ils soient vaincus.» Il n’y aura finalement pas de duel. Troisième de sa demi-finale, le champion du monde en titre n’est même pas sur la piste hongroise pour voir son compatriote se parer d’or avec un temps de 9.83. Loin des ambitieuses annonces de Lyles, qui évoquait un temps de 9.65, mais trois centièmes de mieux que son record personnel, jusqu’alors trop modeste pour que ses rêves de sacre soient réellement pris au sérieux par les suiveurs.
S’il avait annoncé, en marge de ses rêves de doublé, viser le record du monde exceptionnel d’Usain Bolt sur le 200 mètres, sa distance de prédilection, Noah Lyles semblait plus armé pour cette lutte contre les 19.19 de la légende jamaïcaine que dans la ligne droite, où ses références n’en faisaient certainement pas l’immense favori. Dans les grands championnats, il n’avait d’ailleurs jamais brillé sur la distance, ne se qualifiant même pas lors des très disputés trials américains pour les Mondiaux de 2019 et 2022 ou pour les Jeux de Tokyo sur la distance reine. Cette année encore, une vingtaine d’athlètes avaient couru plus vite que lui sur 100 mètres.
Les spécialistes lui prédisaient une lutte pour une médaille, mais l’or semblait hors de sa portée. Jusqu’à ce 9.83, cet écran du stade qui confirme le résultat, et cette éructation dans la soirée hongroise: «They said I wasn’t the one. But I thank God that I am.» (Ils disaient que ce n’était pas pour moi. Mais je remercie Dieu que ce le soit). S’il préférera toujours le demi-tour de piste, dont il est définitivement devenu une référence en 2022 quand il a pulvérisé le mythique record des Etats-Unis de Michael Johnson (19.31, soit un centième de mieux) pour devenir le troisième homme le plus rapide de l’histoire de la distance, Lyles savait qu’un titre sur 100 mètres était indispensable pour devenir l’homme le plus rapide de la planète.
Médaillé de bronze aux Jeux de Tokyo, il s’est ensuite épanché sur sa dépression.
Sur sa distance fétiche, là où son départ moyen est plus facilement gommé par son impressionnante vitesse de croisière maintenue au bout de son accélération, réaliser le doublé n’était alors plus qu’une formalité. Un jalon, aussi: depuis 2016 et les Jeux olympiques de Rio, aucun sprinter n’était parvenu à s’imposer sur les deux distances lors d’un rendez-vous mondial. Il y a sept ans, la prouesse était accomplie par un certain Usain Bolt. Noah Lyles se pare désormais de la cape de l’héritier.
Les Jeux et la dépression de Lyles
L’homme aux huit médailles d’or olympiques a d’ailleurs adoubé le sprinter de Floride. En amont des Mondiaux, un documentaire consacré à la vie de l’Américain, intitulé The Noah Lyles Project, a été diffusé sur NBC Sports. On peut y voir Bolt saluer Lyles, et l’inciter à «garder cette attitude, parce que le sport en a besoin».
Autant que ses victoires, c’est en effet la personnalité de Noah Lyles qui permet d’en faire la future star en puissance de l’athlétisme. En 2019, lors des championnats du monde de Doha, il s’était ainsi présenté au départ du 200 mètres avec les cheveux dressés sur le crâne et teintés d’argent, en référence à la transformation ultime de Goku dans Dragon Ball. Il n’est d’ailleurs pas rare de le voir au départ d’une course ou à l’entraînement avec des chaussettes à l’effigie du manga, ou de My Hero Academia, toujours dans des couleurs tape-à-l’œil.
Le champion du monde aime raconter que s’il n’avait pas été athlète, il aurait probablement fait en sorte de percer dans la musique ou à la télévision, pour pouvoir y faire parler son caractère extraverti. Plus que les épreuves, c’est d’ailleurs la très spectaculaire cérémonie d’ouverture des Jeux de Londres, en 2012, qui avait convaincu Noah – alors âgé de 15 ans – de se consacrer plus pleinement à l’athlétisme pour ressentir le bouillonnement d’un stade olympique. Jusque-là, les rêves d’Olympe étaient surtout l’apanage de son cadet Josephus, également redoutable compétiteur sur les épreuves de vitesse.
En 2021, rejoindre le Japon sans son frère est un crève-cœur. C’est à lui qu’il pense quand les larmes montent au terme de la finale du 200 mètres, conclue avec une médaille de bronze qu’il qualifie lui-même de «boring». L’ennui est le fil conducteur de ces Jeux sans spectateurs, et donc sans véritable show. Noah Lyles s’interroge sur le sens de ce sport dépourvu de transmission, court comme un fantôme et sans véritable fantaisie. Même sa coupe de cheveux est celle d’un anonyme. Lui qui s’était déjà imaginé les mains tendues vers le ciel, incitant la foule à faire comme lui pour reproduire le «Genkidama», attaque de Goku pour venir à bout de Boo au terme de Dragon Ball Z, se retrouve à courir dans un stade vide. Dans la dernière ligne droite, pourtant son point fort, il est débordé par son compatriote Kenny Bednarek et, surtout, par le Canadien Andre De Grasse, nouveau champion olympique. Pourtant, au terme de sa conférence de presse, on ne parle plus que de lui.
Porté par la vague de déclarations de sportives sur la santé mentale des athlètes, lancée par la tenniswoman Naomi Osaka et reprise par la reine de la gymnastique Simone Biles, Noah Lyles s’épanche sur ses difficultés. En 2020, déjà, pendant le confinement, il avait déclaré prendre des antidépresseurs pour tenir le rythme de cette vie de compétition. A l’école, la piste était son échappatoire, son «oasis», pour s’éloigner des bancs de la classe. Cette étincelle avait presque disparu, au point de remettre en question son avenir professionnel après cette médaille olympique. Dans le milieu du sprint, où chaque concurrent tente surtout d’afficher une confiance en soi hors du commun, les aveux détonnent. Ils ne surprennent pourtant pas tellement, dans le chef d’un sprinter habitué à se positionner sur les sujets qui comptent. Très marqué par la mort de George Floyd, il prend le départ du 200 mètres de la Diamond League de Monaco en août 2020 avec la main droite gantée de noir. Les violences raciales qui frappent les Etats-Unis sont l’une des autres gouttes de ce vase de mal-être qui déborde dans la foulée du bronze de Tokyo.
Reprogrammé pour tout gagner
Le spleen olympique se dissipe lors du Prefontaine Classic, à la fin du mois d’août 2021. Dreadlocks sur le crâne et sourire aux lèvres, Noah Lyles souffle la concurrence nationale, le médaillé d’argent de Tokyo Kenny Bednarek en tête, et signe le meilleur temps de sa carrière en 19.52 sur 200 mètres. La suite de son parcours sur le demi-tour de piste n’est fait que de victoires, et de temps de plus en plus rapides dont ce 19.31 qui le transforme en recordman du monde potentiel. En venant à bout de la marque de Michael Johnson, héros national des Jeux d’Atlanta en 1996, Lyles arrache le haut de son maillot. En revoyant la scène, il constatera que ses pectoraux ne sont pas musclés de la même manière, et que ce déséquilibre lui coûte probablement quelques précieux centièmes de seconde dans sa course contre le temps. La machine est définitivement relancée.
Le showman floridien multiplie les références à Dragon Ball au départ de ses courses.
Pour devenir l’homme le plus rapide de la planète, le Floridien travaille spécifiquement sur son départ en compagnie de son coach Lance Brauman, ancien entraîneur du sprinter Tyson Gay, triple champion du monde et recordman des Etats-Unis du 100 mètres. L’objectif est simple: travailler spécifiquement sur la ligne droite, sortir des starting-blocks assez rapidement pour ne pas être hors de portée des meilleurs démarreurs après soixante mètres, et profiter de son impressionnante vitesse de croisière pour mettre tout le monde d’accord dans les quarante derniers mètres. Le travail se fait d’abord en salle de fitness pour augmenter sa puissance, puis dans des meetings en indoor où il s’aligne de plus en plus régulièrement sur 60 mètres, discipline explosive par excellence. S’il n’atteint pas les 9.65 dont il rêvait pour être sacré champion du monde de la ligne droite, il se pare quand même d’or sur la distance des rois du sprint, avec des tresses dans les cheveux et une lourde chaîne brillante autour du cou.
Le rêve ultime attendra probablement Paris. Noah Lyles aime raconter que lors de ses années scolaires, il faisait souvent un rêve. Il courait une demi-finale olympique dans un stade plein à craquer, sortait comme une bombe des starting-blocks pour un 100 mètres, et coupait la ligne en tête avant de jeter le regard vers le chronomètre et d’y découvrir un temps de 9.41. Un record du monde pulvérisé. Si le temps devrait longtemps rester au stade du fantasme, la mise en place d’une «nouvelle dynastie» du sprint mondial pourrait bien devenir réalité dans la Ville Lumière l’an prochain. Avec un nouveau doublé, il deviendrait officiellement le successeur d’Usain Bolt et le nouveau roi de la piste. Comme il l’avait promis, plus personne ne se souviendrait de Fred Kerley.
L’ombre des absents a pesé sur l’équipe belge
Pour la première fois depuis une décennie, c’est sans médaille que la Belgique clôt les Championnats du monde d’athlétisme. Sans doute parce qu’elle s’est présentée sur la piste de Budapest sans ses principaux fers de lance.
Treize mois plus tôt, à Eugene (Oregon, Etats-Unis), ce sont effectivement Nafissatou Thiam, Bashir Abdi et les Belgian Tornados (4 x 400 mètres) qui avaient permis au pays de quitter l’enceinte mondiale riche de trois médailles. Les blessures de la première, les choix de préparation du deuxième et l’absence préjudiciable des jumeaux Borlée – surtout Kevin, présenté par son père et entraîneur comme «le meilleur relayeur au monde» –pour les Mondiaux 2023 ont pesé lourd à l’heure des comptes. Les Tornados ont même manqué la finale du 4 x 400 mètres, une première depuis quinze ans à ce niveau de compétition.
Un étage plus bas, le nombre de Top 8 réalisés par les athlètes belges reste néanmoins le même que lors de l’édition précédente. Parmi ces résultats, la seule déception relative est probablement celle de Noor Vidts, «seulement» sixième d’un heptathlon dominé par la Britannique Katarina Johnson-Thompson, nouvelle grande rivale de Thiam. Une marche plus haut, les meilleurs résultats sont donc engrangés sur le tour de piste. En solo, Cynthia Bolingo a épaté sur un 400 mètres bouclé au cinquième rang. Pourtant partie du défavorable couloir numéro 2 et diminuée par une blessure, la sprinteuse a coupé la ligne à moins d’une seconde du podium. C’est sans elle que les relayeuses du 4 x 400 ont atteint le même rang, confirmant leurs belles dispositions à un an de Jeux de Paris où elles peuvent rêver d’exploit si leur cheffe de file est épargnée par ses douleurs et peut être de la partie. Hanne Claes, Imke Vervaet, Helena Ponette et Camille Laus ont compensé le forfait de Bolingo, mais auront sans doute besoin de la Bruxelloise pour rêver plus grand dans quelques mois. Egalement cinquième, le relais 4 x 400 mixte a effacé l’échec de l’an dernier à Eugene, quand il n’avait même pas atteint la finale. Ben Broeders, honorable septième d’un concours de saut à la perche survolé par l’intouchable recordman du monde Mondo Duplantis, complète la moisson de Top 8 mais reste à vingt centimètres d’une médaille.
C’est encore un cran en dessous, à une douzième place normalement anonyme, que se trouve la plus belle histoire des Mondiaux belges. Timothy Herman est technicien de maintenance dans le civil. Trentenaire accompli, il ne bénéficie pas des subsides offerts par la très rigoureuse Sport Vlaanderen et a donc dû prendre deux mois de congé sans solde pour préparer le concours de lancer de javelot pour lequel il s’était qualifié. En lançant au-delà des 80 mètres, son pari a été récompensé par une place en finale, parmi les douze meilleurs lanceurs au monde. Le rêve s’est hélas arrêté là, avec une douzième et dernière place lors de cette finale où il a lancé loin de ses standards. Le Top 8, synonyme de contrat avec Sport Vlaanderen, est donc resté hors d’atteinte.
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