Spa-Francorchamps : un circuit en quête de reconversion
Le circuit de Spa-Francorchamps a beau multiplier les activités hors Grand Prix, ses comptes restent dans le rouge et ont enregistré une perte de près de 800 000 euros en 2011. La Région wallonne planche sur un mégaprojet touristique qui pourrait créer 7 000 emplois. Si les F1 ne désertent pas…
Le vrombissement d’un bolide perce l’air. Une F1 ? Juste une grosse cylindrée qui expérimente la route de celui qu’on ne cesse de qualifier de plus beau circuit du monde. Car en dehors du célèbre Grand Prix, la piste de Spa-Francorchamps ne refroidit (presque) jamais. « Du 15 mars au 15 novembre, il y a tous les jours une activité, ici ! » se réjouit Pierre-Alain Thibaut, directeur général de l’infrastructure.
Vingt week-ends de compétition durant l’année, location à des clubs ou des marques, baptêmes de piste, test days, public driving expérience… Sans parler des journées de team building, incentive, colloques, réceptions et même des mariages : « Nous essayons d’ancrer progressivement l’idée que Spa Francorchamps peut aussi être un centre de congrès, de séminaires, d’expositions… », décrit le directeur.
En octobre dernier, le site s’est même mis à rêver de pouvoir concurrencer Brussels Expo en accueillant un événement d’envergure : Euroskills, le championnat européen des métiers techniques et manuels, qui faisait escale pour la première fois en Belgique. Quarante-trois mille visiteurs venus de 23 pays. Sur papier, le circuit offrait tous les avantages. Un vaste parking, des infrastructures complètes. Puis, surtout, un nom. « Un label connu dans le monde entier, plaide Pierre-Alain Thibaut. Une marque qui possède une réelle notoriété. Grâce au Grand Prix et à ses 600 à 800 millions de téléspectateurs. »
Mais Euroskills ne fut pas une franche réussite. Un site trop grand et dénivelé qui désorientait des visiteurs parfois trempés jusqu’à la moelle à force de courir d’un chapiteau à l’autre sous une pluie diluvienne. La configuration atypique des lieux avait montré ses limites.
Pertes à la pelle
Le circuit de Spa-Francorchamps ne désespère pas de se présenter sous un nouveau jour. Il en va de sa survie financière. Car les comptes de la société anonyme de droit public (la Région wallonne en est l’actionnaire majoritaire) qui le gère ne sont pas au beau fixe. Les activités pour l’année 2011 (les résultats les plus récents disponibles) ont, certes, brassé un chiffre d’affaires de 6,74 millions d’euros, mais l’exercice s’est clôturé sur une perte de 794 101 euros. Quant aux comptes de la SA Spa Grand Prix, qui, comme son nom l’indique, se charge uniquement de l’organisation du célèbre rendez-vous de F1 (et qui est également pilotée par la Région wallonne via son bras financier, la Sogepa), ils stagnent bien plus encore dans le rouge. Chiffre d’affaires pour 2011 : 13 millions d’euros. Pertes à affecter pour l’exercice : 5,7 millions d’euros…
« Tout le monde sait que le Grand Prix occasionne des pertes. C’est la même chose dans tous les pays qui en accueillent un », justifie Pierre-Alain Thibaut. Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Economie (PS) n’a pas souhaité répondre à nos questions sur la santé financière de l’infrastructure. Son porte-parole, Gaël Lambinon, se montre par contre nettement plus loquace quant à « Destination Spa-Francorchamps ». Un projet présenté par le ministre, le 12 mars dernier, au Mipim de Cannes (le marché international des professionnels de l’immobilier) devant un parterre de 150 personnes et dont l’existence se justifie sans doute par les difficultés financières rencontrées par le site. Le pitch ? « Il s’agit d’ancrer le circuit dans un cluster touristique qui deviendrait un levier pour toute la région », avance le responsable communication.
Un projet à 60 millions
Spa-Francorchamps draine déjà son lot de visiteurs. Point de statistiques officielles, mais son directeur assure que des cars venus du monde entier affluent chaque jour et que « le succès va croissant ». Problème : en règle générale, les curieux ne s’éternisent pas. Et passent sur place un jour, deux au grand maximum. « L’automobile et les sports moteurs attirent une frange assez pointue du tourisme, détaille Olivier Béart, porte-parole de la Spi, l’agence de développement économique pour la province de Liège. L’idée est de trouver un moyen d’attirer les familles et de les faire rester plusieurs jours, voire une semaine. »
Pour se donner les moyens de ses ambitions, la Région compte sortir les millions : 25 de sa poche et de celles des fonds européens Feder, le solde (pour arriver à un total de 60 millions) à quémander auprès d’investisseurs. Le master plan dévoilé à Cannes comporte trois phases de développement : l’expérience nature, l’énergie et le mouvement, la détente et le bien-être. Prosaïquement dit, cela se traduirait par la création de balades en vtt, d’un parcours aventure dans la forêt, d’un téléphérique, d’un parc à thème sur les moyens de locomotion innovants, d’un amphithéâtre pour des spectacles… Puis, si la sauce prend, d’un éco-hôtel et de cabanes dans les arbres. « Cela pourrait générer 7 000 emplois d’ici à 2020, annonce Gaël Lambinon. Le potentiel touristique est très important dans cette zone. Dans un rayon de 300 kilomètres, cela représente 66 millions d’habitants. »
2015, et après ?
Reste à savoir si les investisseurs seront prêts à placer leurs deniers dans un projet qui ressemble à s’y méprendre à celui mis en place depuis quelques années à Durbuy, la plus petite ville du monde somme toute pas très éloignée de Spa. Encore faudra-t-il aussi que le Grand Prix de Formule 1 reste un apanage belge. L’hypothèse d’une organisation en alternance avec la France, évoquée avec insistance en 2012 puis tombée aux oubliettes, a rappelé à quel point l’événement était garant de la santé financière de l’ensemble des activités du circuit et même au-delà. « La fin du Grand Prix provoquerait évidemment de grosses pertes pour le tourisme, concède Isabelle Grégoire, directrice de l’Office du tourisme de Spa. Et pas uniquement durant la période où il est organisé en été, mais tout au long de l’année. Car les grandes marques ne viendraient plus tester les infrastructures, les touristes seraient moins attirés, etc. »
L’organisation de la manche belge du championnat du monde automobile est garantie jusqu’en 2015. Et après ? « Si la volonté politique est présente, il n’y aura aucun problème », prédit Pierre-Alain Thibaut. Sa réputation de plus beau circuit du monde ne suffira en tous cas pas…
Mélanie Geelkens
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