Pourquoi le MotoGP veut s’inspirer de la F1
Après la Formule 1, la société américaine Liberty Media s’est offert la mainmise sur le MotoGP. Avec les mêmes idées derrière la tête. Et la même réussite?
Tout cela a toujours échappé à Bernie Ecclestone. Pas vraiment réputé pour la modernité de ses idées, le Britannique, ex-patron de la F1, s’est un jour fendu d’une déclaration résumant à merveille le fond de sa pensée: «Pourquoi tout le monde veut conquérir les jeunes? La plupart n’ont pas d’argent. Moi, je préfère cibler les hommes de 70 ans qui en ont beaucoup à dépenser.» Une citation révélatrice de la manière dont la catégorie reine du sport automobile était commercialisée jusqu’en 2017, époque à laquelle Liberty Media a pris le relais. D’emblée, l’entreprise américaine s’est lancée sur de nouveaux territoires. Elle s’est associée à Netflix pour produire de concert la série Drive to Survive, tout en adoptant une stratégie de communication centrée sur les réseaux sociaux. L’objectif est alors clair: toucher un public plus large, plus jeune et, ainsi, populariser la Formule 1.
Des milliards à la clé
Liberty Media a atteint son but, avec brio. Chez les spécialistes du marketing, on dit même que la métamorphose de la F1 est l’une des meilleures opérations de tous les temps dans le business du sport. Les chiffres le confirment: l’âge moyen du fan de F1 est passé de 36 à 30 ans, le chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros en 2017 à trois milliards en 2023, la valeur moyenne des dix écuries en course a triplé pour atteindre 1,8 milliard d’euros, selon le magazine économique Forbes. Quant à la valeur totale de la discipline, elle a également doublé en six ans et se chiffre désormais à 15 milliards d’euros.
Pour y parvenir, l’une des clés de l’opération à succès de Liberty Media était de franchir l’Atlantique. Une véritable percée aux Etats-Unis était indispensable pour permettre à la F1 d’entrer dans une nouvelle dimension. Ecclestone avait bien tenté de séduire les fans américains de sport automobile en dessinant un circuit empruntant en partie l’anneau mythique d’Indianapolis au début du millénaire, sans véritable succès. C’est ensuite à Austin que le Grand Prix des USA s’est déroulé, avant une première expérience à Miami en 2022 puis l’intégration d’une course urbaine dans les rues de Las Vegas en 2023. Pour ce dernier, c’est carrément Liberty Media elle-même qui a pris en charge l’organisation, suite à un investissement chiffré à un demi-milliard d’euros. Echec sur le plan sportif, car pointé du doigt par les pilotes, le circuit imaginé dans le Nevada fut néanmoins un immense succès financier.
Ce paradoxe constitue un fidèle résumé de la situation actuelle, avec une nouvelle approche hypercommerciale qui a contrarié les fans inconditionnels de la discipline et même fait grincer certaines dents au sein du paddock. Les pilotes dénoncent ainsi l’extension démesurée du calendrier, portant le nombre de courses à 24 , avec, notamment, des épreuves encore plus lucratives au Moyen-Orient.
Le potentiel est là
Malgré une compétition dont l’intérêt est réduit par la domination outrageuse de Max Verstappen et de sa Red Bull, Liberty Media continue à compter les billets. Sa fortune, en croissance permanente, lui permet d’envisager de nouveaux investissements, dont le rachat de 86% des actions de Dorna pour quatre milliards d’euros. Cette société espagnole détient les droits commerciaux et de diffusion, entre autres, du MotoGP, la catégorie reine du sport moteurs sur deux roues.
Créer la même croissance, en chiffres globaux, que celle de la Formule 1 risque toutefois d’être impossible pour Liberty, parce que la base de fans du MotoGP est bien plus restreinte, tout comme son budget. En revanche, le potentiel de croissance est là, et la société de médias compte bien employer les mêmes recettes que pour sa success-story chez les monoplaces: créer une base de fans plus jeune et plus diversifiée, tout en conservant les inconditionnels de la discipline. Pour ces derniers, les craintes sont bien présentes, les forums spécialisés parlant déjà d’un MotoGP dénaturé dans les années à venir.
Les spécialistes du marketing sportif, eux, y voient surtout une situation dont chacun sortira gagnant. En tant que compétition à part entière, le MotoGP est encore plus attrayant que la F1. En 2023, neuf pilotes différents ont triomphé lors des 20 Grands Prix, loin de l’hégémonie que connaît actuellement la Formule 1. En outre, les parallèles avec l’état de la F1 en 2017 sont nombreux. Le calendrier est grandement orienté vers l’Asie et l’Europe. Sur le Vieux Continent, le MotoGP trouve l’essentiel de sa popularité en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne, quatre pays qui représentent 60% des droits médiatiques de la discipline.
Un Super Grand Prix, avec une course de F1 et de MotoGP le même week-end, sur le même site, n’est pas à exclure.
Au-delà de ces pays, il existe donc encore un fort potentiel de croissance, notamment aux Etats-Unis, où le calendrier ne compte qu’une seule course, à Austin (Texas). Liberty Media s’en frotte déjà les mains et met sa stratégie en place: depuis cette année, une équipe américaine, Trackhouse Racing, a rejoint les circuits, on parle déjà d’un deuxième GP dans le Tennessee et le groupe Warner Bros Discovery voudrait acheter les nouveaux droits médiatiques pour les Etats-Unis.
Une symbiose de grande envergure n’est pas non plus à exclure à l’avenir, sous la forme d’un Super Grand Prix, avec une course de F1 et une course de MotoGP le même week-end, sur le même site. A l’heure actuelle, les deux compétitions partagent cinq circuits dans leur calendrier (Silverstone, Austin, Qatar, Barcelone et Red Bull Ring à Spielberg, en Autriche), mais les obstacles opérationnels et pratiques à un tel Super GP sont importants sur des sites déjà existants depuis de longues années et pas encore pensés pour des événements d’une telle ampleur. En coulisses, on murmure déjà le nom d’un premier candidat pour accueillir ce Grand Prix du futur: Las Vegas, évidemment. Liberty Media y a construit un paddock géant et tire toutes les ficelles organisationnelles. Et puis, ne dit-on pas que tout est possible à Sin City?
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