Ogier, une bête de course à l’affût d’un 5e titre mondial
Sébastien Ogier est un personnage cinglant dans le monde du sport automobile. Souvent décrié pour une attitude et une communication jugée irrespectueuse, le pilote n’en a cure. Ce week-end, il pourrait bien devenir champion du monde pour la 5e fois. Au nez et à la barbe de Thierry Neuville.
Rallye d’Allemagne, 21 août 2011. Le grand public découvre un champion et une grande gueule. À moins que cela ne soit l’inverse. Devant les caméras d’Auto-Moto, émission automobile phare de TF1, la première chaîne de télévision française, Sébastien Ogier livre sa façon de penser face-caméra : « Comme d’habitude, Séba va pleurer, [il] va dire qu’il faut des consignes sinon il se fait embêter pas son petit coéquipier. Voilà ce qu’il va se passer… »
Ce jour-là, ce qui était un secret de polichinelle dans le petit monde du rallye automobile éclate définitivement au grand jour : Sébastien Loeb et Sébastien Ogier ne se supportent plus et ça fait des semaines que ça dure. Devenu titulaire de l’équipe officielle Citroën au côté de Loeb en remplacement de Dani Sordo en début d’année, Ogier aspire à une reconnaissance directe et ne supporte plus de rester dans l’ombre de son ancienne idole. C’est déjà cela qui avait obligé l’écurie française à offrir un statut identique aux deux hommes en début de saison. Un affront pour le septuple champion du monde qui ne comprend déjà pas, à l’époque, l’impatience du jeune premier.
Retour en Allemagne, 9e manche sur 13 du Championnat du monde. Les deux Français se tiennent en 31 points au classement du championnat et en 8 petites secondes après la première boucle matinale. Étant donné les déboires de la concurrence, la marque aux chevrons décide de geler les positions de ses deux pilotes en tête. C’est à ce moment précis, et alors que Loeb vient quelques heures plus tôt d’officialiser la poursuite de sa collaboration pour au minimum une saison avec Citroën, qu’Ogier sort de ses gonds. « Je comprends que cette décision n’ait pas plu à Sébastien Ogier », explique Loeb à chaud. « Même si quelques fois les décisions ne nous font pas plaisir, il faut les accepter. Sébastien est dans un état d’esprit différent. Il ne les accepte pas, c’est son droit. C’est sûr que ça complique un peu les relations. On s’est vu quelques fois en dehors des rallyes. On se verra un peu moins. Ça ne changera pas la vie. »
Leur vie non, mais leur carrière certainement. Le Gapençais fait comprendre ce jour-là qu’il ne restera pas une saison de plus le faire-valoir de Loeb. C’est qu’Ogier a déjà craqué plusieurs fois sous la pression dans son mano à mano qui l’oppose à Loeb cette saison-là et qu’il aspire désormais à voler de ses propres ailes.
Arrogance ou ambition extrême ?
Une question taraude depuis lors pas mal de pilotes WRC qui ont appris au gré des ans à bien connaître le Français. Son arrogance, presque synonyme parfois d’antipathie quand le stress de la course le gagne, serait-elle née là ? Dans cette rivalité parfois malsaine entre un élève ambitieux et une idole pas encore sur le déclin. Car si on a reproché par moment les fautes de communication d’Ogier, Loeb s’est, lui, plusieurs fois substitué aux consignes d’équipe pour préserver son siège de numéro un.
Une situation invivable qui expliquerait aujourd’hui l’attitude d’Ogier en compétition. Unanimement décrit comme une personnalité attachante en dehors, cet ancien moniteur de ski serait une vraie bête de course capable de tout pour déstabiliser ses partenaires une fois les hostilités lancées. « Son truc, c’est l’intimidation », explique Thierry Neuville, son vrai grand rival depuis le départ à la retraite de Sébastien Loeb fin 2013. « Il vient te voir quelques minutes avant le départ au moment où tu chauffes tes pneus et il te pourrit dans le seul but de te faire perdre ta concentration. Il fait ça avec tout le monde et je pense honnêtement qu’il a toujours été comme ça, c’est sa manière de gérer la course. Perso, j’ai toujours pensé qu’on pouvait devenir champion du monde en restant correct, lui pas visiblement ».
Cette saison encore pourtant, et même si Neuville refuse de déjà capituler, Sébastien Ogier devrait repartir d’Australie – où se tiendra le dernier rallye de la saison du 17 au 19 novembre prochain – avec un soupçon d’insolence renforcée par un cinquième titre de champion du monde qui lui tend désormais les bras après les déboires du pilote belge en Catalogne début octobre.
Une arrogance que François-Xavier Demaison – ingénieur en chef chez Volkswagen et partie prenante des quatre premiers sacre d’Ogier avec le constructeur allemand avant le retrait de ce dernier fin de l’année dernière – fait plus facilement passer pour une incroyable confiance en lui. « Sébastien possède une capacité d’adaptation hors du commun sur tous les terrains. Outre cette qualité, je lui prêterais volontiers celle d’être sûr de lui et une confiance hors du commun en ses capacités. Il a toujours été persuadé qu’il serait champion du monde. »
Premier kart à 8 ans
La trajectoire de Sébastien Ogier ressemblerait donc à celle d’un tas d’autres génies du sport automobile catapulté derrière un volant dès leur plus jeune âge grâce au soutien d’une famille richissime – voir le plus souvent déjà implanté dans le milieu – ou de sponsors ayant détecté dès le plus jeune âge le talent du jeune pilote. Sauf que non, Sébastien Ogier vient d’un milieu modeste où le foot et le judo, les premiers sports qu’il pratiquera, sont généralement plus en adéquation avec les valeurs familiales. Plutôt débrouillard, le garçon sait pourtant ce qu’il veut et fait en sorte d’y arriver. Son premier kart, Sébastien le développe lui-même à tout juste 8 ans à l’aide du moteur d’une vieille tondeuse à gazon du paternel. Avant de se lancer dans le ski et … les boules lyonnaises.
L’enfant hyperactif devient rapidement un adolescent ultra doué. À son palmarès, plusieurs saisons comme moniteur de ski auprès de la prestigieuse école de ski français et un titre de champion de France en doublette Espoirs de boule lyonnaise. Un beau CV, bien éloigné cependant du culte qu’il voue à l’époque à son idole de jeunesse, un certain Ayrton Senna. « Le problème, c’est que financièrement, il nous était impossible de l’aider à réaliser son rêve », explique son père dans un des premiers sujets télévisés consacrés à celui qui, en 2009, est déjà présenté comme la star montante de son sport et donc, forcément, comme le nouveau Sébastien Loeb… Il faut dire que les comparaisons avec l’aîné à qui tout réussit déjà à l’époque ne manquent pas.
Comme Loeb avant lui, le jeune Ogier, jusque-là moniteur de ski l’hiver et mécano l’été, décide de forcer le destin en s’inscrivant en 2005 et à 22 ans à l’opération Rallye jeune organisée par la Fédération française. Et comme 10.000 autres Français, Ogier ne doit allonger que 20 euros pour se payer une partie de son rêve. Tout aussi inattendu, sa compagne, son beau-frère et lui sont tous les trois sélectionnés parmi les 45 finalistes, mais l’équipe Rallye Jeune n’a qu’un seul volant à offrir. La suite ressemblera, forcément, à un conte de fées pour le futur champion du monde.
Éclosion tardive et domination outrancière
Ogier décroche le volant tant prisé et marche droit sur les traces de Loeb, sacré au même endroit dix ans plus tôt. Comme pour son aîné, l’éclosion tardive d’Ogier surprend et ne laisse plus trop le droit à l’erreur. Ça tombe bien, le Haut-Alpin n’a plus envie de traîner en chemin. Désormais associé au co-pilote Julien Ingrassia – toujours présent à ses côtés dix ans plus tard – au sein de l’équipe Rallye jeune, il brille lors de sa première saison d’apprentissage en terminant sixième du championnat et meilleur débutant avant d’écraser la concurrence l’année suivante.
Il n’en faut pas plus pour convaincre Citroën de lui offrir sa chance lors de la saison 2008. « Compte tenu de ses résultats sur ces deux années-là, on ne pouvait décemment pas passer à côté d’un nouveau futur éventuel grand champion. Même s’il faut être prudent, je ne voudrais surtout pas qu’on lui fasse prendre la grosse tête », jugeait alors Olivier Quesnel, directeur de Citroën Sport au moment de la signature.
Ses débuts confirment pourtant ce que tout le monde pense en France. Mieux, il crée la sensation au Rallye du Mexique : outre une victoire aisée en catégorie JWRC, il marque un point au classement général WRC, une première dans l’histoire du championnat. Le titre de champion du monde junior des rallyes en poche, Ogier reçoit en récompense l’occasion de faire ses preuves dans la catégorie reine lors de la dernière manche du Championnat du monde en Grande-Bretagne. Son scratch dès la première spéciale laisse pantois le petit monde de la WRC. Si le Français abandonne finalement sur sortie de route quelques spéciales plus tard, inutile de dire que tout le monde connaît désormais ce pilote de bientôt 25 ans, encore inconnu trois années plus tôt.
Sébastien Ogier ne garde pas longtemps l’image de jeune premier. Acclimaté au WRC après deux saisons supplémentaires chez Citroën passée dans l’ombre de l’intouchable Loeb, Ogier reçoit réellement sa chance en 2011. On sait maintenant ce qu’il adviendra de la cohabitation chaotique entre deux hommes aux egos rapidement devenus irréconciliables. Sans solution face à ce grand frère devenu encombrant, Ogier se lance dans l’aventure Volkswagen à l’automne 2011. Pour réaliser son rêve d’un jour déloger Loeb de la plus haute marche du podium, Ogier accepte ainsi de faire un pas en arrière en partant développer en Allemagne la Polo R WRC.
Un choix payant puisqu’après une année blanche passée loin des rallyes, le Bavarois d’adoption, il s’est entre-temps installé à Munich avec sa compagne, revient en 2013 avec une voiture fin prête pour l’emmener vers les sommets. Loeb à la retraite – il ne participera en 2013, sa dernière saison, qu’à quelques courses – le rallye français est prêt pour l’éclosion de l’éternel second. Intouchable, parce que seul au monde, Ogier prend rapidement les commandes d’une discipline qu’il domine ou dirige, c’est selon, d’une main de fer. Pas réputé pour être un enfant de coeur au sein du parc d’assistance, Ogier véhicule plus que jamais l’image d’un mec hautain, dénigrant la concurrence à la moindre occasion.
Un retour attendu chez Citroën
Ses quatre premiers titres de champion du monde glané avec des avances souvent abyssales sur Thierry Neuville (deux fois) et Jari-Matti Latvala (deux fois) l’installent même pour certains dans la peau d’un leader aux faux airs de despotes. « Je crois qu’avec l’arrêt de Volkswagen et son arrivée chez M-Sport, il s’est rendu compte qu’il n’était plus seul au monde », tempère aujourd’hui Thierry Neuville. « Je pense que son regard a changé sur la concurrence de par son changement d’écurie. Il a plus de considérations pour les autres aujourd’hui qu’il n’en avait avant. »
Un changement d’attitude, seulement dicté par les circonstances, qui ne masque pas son rêve, un peu fou, d’un jour égaler les neufs titre de champion du monde de Sébastien Loeb, son seul réel objectif à moyen terme. Et ce quoiqu’en disent les rumeurs qui voyait le quadruple Champion du monde, dont le contrat avec M-Sport se termine à la fin de l’année, arrêter sa carrière en fin de saison. « S’il y a bien une chose à laquelle, je n’ai jamais cru, c’est celle-là », s’amuse presque Neuville. « Ne vous en faites pas, même si ce n’est pas encore officiel, je suis sûr qu’il va continuer. Il aime trop ça. Et puis, à titre personnel, je souhaite qu’il reste. Parce qu’un titre de champion du monde contre Ogier, ça aurait beaucoup plus de saveur qu’un titre sans lui. »
Que Thierry Neuville se rassure. Annoncé avec de plus en plus d’insistance chez Citroën l’an prochain suite au départ d’Andreas Mikkelsen, il ne manquerait au Français qu’une garantie supplémentaire quant à la fiabilité et au potentiel futur de la C3 pour clore un accord définitif. Autre souhait du pilote, un salaire à la hauteur de son rang de quadruple, voire quintuple, champion du monde. Pas de doute cependant, Sébastien Ogier a encore faim de victoire et devrait rester pour quelques années l’homme à abattre. Pour Thierry Neuville, mais plus globalement pour toute une génération qui rêve de mettre un terme aux années de domination du rallye français sur la WRC.
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