Max Verstappen : le nouveau Senna
Rebelle, sans compromis et très talentueux : c’est le portrait qu’on dresse souvent du pilote néerlando-belge Max Verstappen (21 ans), qui vit à Monaco.
15 mars 2015. Une nouvelle saison débute sur l’Albert Park Street Circuit de Melbourne. Aux premiers rangs, on ne trouve que des noms connus. Le champion du monde, Lewis Hamilton, est en pole . Nico Rosberg, son équipier chez Mercedes, est juste derrière lui, suivi de Felipe Massa (Williams) et des Ferrari de Sebastian Vettel et Kimi Räikkönen.
La précision clinique dont il fait preuve dans les virages, on ne voit ça que chez les vétérans. » Christian Horner, patron de l’écurie Red Bull
Mais celui qui fait le buzz, à la 11e place, c’est Max Verstappen : 17 ans et 166 jours, le plus jeune débutant de tous les temps. Le Néerlandais a presque deux ans de moins que le recordman précédent, l’Espagnol Jaime Alguersuari qui, en 2009, avait effectué ses débuts au volant d’une Toro Rosso à l’âge de 19 ans et 125 jours.
Les joues pâles, quelques poils au menton, le regard curieux et la voix douce, le jeune homme est pourtant sûr de lui. » Je suis suffisamment fort « , dit-il. Max Verstappen ne parle pas d’angoisse mais de plaisir. » Ça a toujours été mon rêve. J’aime ce que je fais : le bruit, la vitesse, le fait d’être toujours à la limite. C’est formidable. »
Jacques Villeneuve, ex-champion du monde, estime qu’on en fait trop autour de lui. Que c’est risqué, qu’on dévalue la F1. » C’est la pire des choses qui puisse arriver au sport. La F1, c’est une affaire d’hommes. Les gens de chez Red Bull ( propriétaire de Toro Rosso, ndlr) se rendent-ils compte qu’ils laissent un missile aux mains d’un enfant ? »
Le plus précoce
Max n’est cependant pas un enfant comme les autres. Helmut Marko, docteur en droit, dirige le driver development program de Red Bull depuis 1999. Il a notamment accompagné Vettel et Daniel Ricciardo vers la F1. Pour lui, Verstappen est d’un autre calibre. » C’est l’ Ayrton Senna de sa génération. Un talent exceptionnel qu’on ne trouve pas toutes les décennies. »
Dès sa première course, Verstappen semble en état de prendre des points, jusqu’à ce que son moteur lâche. Ce n’est que partie remise : deux semaines, plus tard, en Malaisie, il termine septième et bat un nouveau record. À 17 ans et 180 jours, il est le plus jeune pilote de l’histoire à marquer des points en championnat du monde.
Le record précédent avait été établi un an plus tôt à Melbourne par Daniil Kvyat (19 ans et 324 jours). » J’étais dans un bon jour « , dit Verstappen. Son père l’écoute attentivement et ne le lâche pas d’une semelle. Max ne voudrait d’ailleurs pas qu’il en soit autrement.
» Avant, quand on rentrait des courses de kart, on faisait un débriefing dans la voiture « , se souvient-il pour The Irish Times quelques jours avant ses débuts.
Un pilote sans permis
Ce qui énerve Verstappen, c’est qu’on ne parle que de son âge. Et du fait qu’il n’a pas encore de permis de conduire. » Je comprends les réactions, à moi de prouver que je suis suffisamment mûr pour la F1 « , dit-il.
Il profite à fond de la règle de transition de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) qui, quelques mois avant ses débuts, a décidé qu’à partir de 2016, tous les pilotes de F1 devraient posséder une super-licence et avoir 18 ans. On se moque parfois de la situation. Dans le Guardian, par exemple : » Verstappen ne peut conduire qu’en F1, où les voitures se frôlent de quelques centimètres à 300 km/h. »
Il a, certes, un permis théorique belge, ce qui lui permet de rouler avec un guide, mais ça arrive rarement. » Je n’aime pas les routes normales, je n’ai pas besoin de voiture « , dit-il. Mais le 30 septembre, trois jours après sa neuvième place à Suzuka (Japon), il fête ses 18 ans aux côtés… d’un examinateur.
Il n’a eu besoin que de… cinq heures de pratique pour obtenir son permis. » Je vais respecter les règles « , promet-il. Et il poste sur Twitter une photo au volant de sa Renault Clio, le pouce levé. Legal to drive, born to race ! #driverlicence.
Trois podiums à Paris
» Comparativement à la génération précédente de pilotes, il est très habile. Il a 17 ans mais il roule comme s’il en avait 27 « , dit à l’époque Franz Tost, qui a collaboré avec Ralf Schumacher et Vettel lorsqu’ils étaient jeunes. Le moteur ne suit cependant pas toujours et, à Monaco, au cours d’un dépassement téméraire, il entre en collision avec Romain Grosjean, ce qui lui vaut une sanction. Mais lors de la dernière course avant les vacances d’été, au Hungaroring, il se classe quatrième devant Fernando Alonso, Hamilton, Rosberg et Jenson Button, quelques (futurs) champions du monde. À Austin, sur le Circuit of the Americas, il confirme cette quatrième place. » J’ai prouvé que j’étais suffisamment fort « , dit-il.
Si tout est facile et sécurisé, tout le monde pourra piloter une F1. » Max Verstappen
À la fin de cette première saison, l’adolescent se classe 12e avec 49 points. Il est donc un des stars de la Prize Giving Ceremony de la FIA à Paris, où il est appelé à trois reprises sur le podium : Rookie of the Year, Personality of the Year et Action of the Year, pour son dépassement de Felipe Nasr à Spa-Francorchamps, dans le virage de Blanchimont, un des plus rapides du monde, à 300 km/h. » Fantastique « , lui avait dit Helmut Marko. » Mais ne refais plus jamais ça ! »
Décrié par ses pairs
La saison suivante, pourtant, Verstappen effectue encore quelques manoeuvres spectaculaires. Parfois couronnées de succès, parfois vouées à l’échec. Comme lors du GP de Belgique 2016, lorsqu’il entre en collision avec Räikkönen dès le premier tour avant de livrer pendant 44 tours une lutte impitoyable aux deux Ferrari.
Selon les observateurs, il a dépassé les limites de l’acceptable mais après la course, il est déchaîné. » Si les Ferrari me gâchent ma course, plus question de les laisser passer. Je préfère encore les faire sortir de la piste. »
Niki Lauda, conseiller chez Mercedes, se montre très dur à l’égard du Néerlandais. » Si Max pense que Räikkönen est en tort, il doit consulter d’urgence un psychiatre. » Pour Sebastian Vettel, » il est grand temps de discuter une bonne fois avec ce garçon » tandis que Räikkönen affirme avoir » toujours les même problèmes avec le même pilote » et que Jacques Villeneuve réprouve (une nouvelle fois) le comportement de Verstappen sur la piste.
» Il va finir par tuer quelqu’un. » La réplique de l’adolescent ne tarde pas. » Il ferait mieux de faire attention à ce qu’il dit car, lui, il a déjà tué quelqu’un « , dit-il, faisant référence au crash entre Villeneuve et Ralf Schumacher au GP d’Australie 2001. Une roue du bolide de Villeneuve s’était détachée et avait heurté un commissaire de piste, qui avait perdu la vie.
Une opinion sur tout
Verstappen a une opinion sur tout. L’an dernier, il se dit contre l’introduction du Halo, un anneau en titane autour du cockpit qui doit protéger le pilote des débris. » Les risques font partie du métier. Si tout devient facile et sécurisé, tout le monde pourra piloter une F1. »
Il est rebelle et sans compromis, surtout lorsque les choses vont moins bien. Comme la saison dernière, lorsqu’il est impliqué dans un incident au cours des six premières courses de la saison. Des petits accrochages avec Hamilton et Vettel, des erreurs de pilotage en séances de qualification et, surtout, une collision… avec son équipier Daniel Ricciardo lors du GP d’Azerbaïdjan, alors que les deux hommes sont en lutte pour la quatrième place. Malgré les deux victoires de Ricciardo, Christian Horner, le patron de Red Bull, est dans tous ses états. » Max doit arrêter de commettre de telles erreurs et prendre exemple sur Daniel. »
Quand on l’entend parler dans la radio de bord, on dirait qu’il boit une tasse de thé. » Helmut Marko, directeur du driver development program de Red Bull
À chaque fois, on lui pose la même question : n’est-il pas temps d’adapter son style de conduite ? Aux abords du Circuit Gilles Villeneuve (Montréal), il réplique : » Si on continue à me poser des questions sur ma façon de conduire, je vais donner un coup de boule. Je ne vais jamais changer de style, c’est grâce à cela que je suis ici « , dit-il dans le Guardian.
» Jusque l’an dernier, tout était amazing and great mais maintenant, on dit que je ne suis plus capable de conduire. Ça m’énerve. Je sais que j’ai raison. » Car il a la course dans les gênes.
Une enfance en Belgique
Max Verstappen était destiné à la course. Sa mère, Sophie Kumpen, était une pilote de course talentueuse. Dans les virages serrés, elle se montrait plus rapide que Giancarlo Fisichella et Jarno Trulli – qui allaient rouler en F1 par la suite. On lui a proposé de rouler en Formule Renault ou en Formule Opel mais elle a choisi de vivre aux côtés de Jos Verstappen, qui allait, lui, arriver en F1.
Un couple étonnant : Sophie est la fille d’un riche entrepreneur limbourgeois alors que Jos a grandi dans une caravane à Montfort, de l’autre côté de la frontière. Ils ont deux enfants : Max (1997) et Victoria (1999). À Maaseik, on parlait souvent de vitesse.
Max sera donc pilote, c’est écrit dans les étoiles. À l’âge de quatre ans, il reçoit son premier kart. C’était tôt mais ses parents en ont assez de l’entendre pleurnicher. De plus, Jos voit qu’il a ça dans le sang. Il est pratiquement invincible. Au cours de sa première saison, il remporte 58 des 60 courses auxquelles il prend part.
À l’école, il dessine des circuits sur un carnet tandis que son père investit beaucoup d’argent (pour les pneus, les moteurs, les châssis) et de temps dans la carrière de son fils. Il va continuer à le faire après sa séparation avec sa femme, en 2008.
L’Europe en minibus
Jos, qui a effectué ses débuts chez Benetton en 1994, aux côtés de Michael Schumacher, a disputé 107 Grands Prix mais il n’a jamais fait mieux que deux troisièmes places. Il a couru pour de petites écuries comme Simtek, Footwork, Tyrrell, Stewart, Arrows ou Minardi, avec du matériel de moindre qualité. Et il s’est juré que Max ne signerait que dans une écurie où il pourrait bénéficier des meilleures conditions.
En 2009, à l’âge de 12 ans, Max obtient un contrat de pilote d’usine officiel du team de kart CRG, une grande marque dont il sera la figure de proue. Père et fils traversent l’Europe en minibus et savourent les victoires tandis que les rares défaites et contretemps les rendent encore plus forts.
Comme en 2011, à Sarno, lorsque Max commet une erreur. Pendant une semaine, son père ne lui adresse plus la parole. » C’était extrême « , admet Max. » Mais ça m’a rendu plus fort. Je ne comprenais pas toujours tout, tout de suite, mais plus tard, j’ai vu où il vouait en venir. Ça a été comme ça toute ma vie. »
Comme un vétéran
C’est pourquoi Max comprend l’émotion qui s’empare de son père, le 15 mai 2016 : dix jours après son passage de Toro Rosso à Red Bull, il remporte le GP d’Espagne. » Il n’a pas eu la carrière qu’il voulait. Il a arrêté et a tout misé sur moi, depuis que j’ai quatre ans. Il a investi des années de vie. Cette victoire à Barcelone, c’est pour lui. Il a réalisé son rêve. Car soyons clairs : sans lui, je n’y serais pas arrivé. »
Tout est allé très vite. Trois ans plus tôt, il est encore champion d’Europe et champion du monde de kart. En 2014, il effectue ses débuts au championnat d’Europe de Formule 3, remporte 10 courses et décroche un contrat en F1. Mais dès qu’il fait une fausse manoeuvre, tout est remis en question.
Christian Horner voit les choses différemment : à 21 ans, Verstappen a déjà quatre ans d’expérience en F1. » La précision clinique qu’il affiche dans les virages est celle des vétérans « , dit-il.
Cinq victoires en GP
Espagne (2016), Malaisie et Mexique (2017), Autriche et Mexique (2018) : son compteur affiche déjà cinq victoires en Grand Prix. À son âge, personne n’a fait mieux. Pourtant, le temps commence à presser. Vettel a été champion du monde à l’âge de 23 ans et 134 jours. Mais Helmut Marko y croit : » Nous avons encore deux ans pour faire de Max le champion du monde le plus jeune de l’histoire mais nous voulons qu’il y arrive en 2019. Quand on l’entend parler dans la radio de bord… Les informations qu’il demande et donne… Il est incroyablement calme… On dirait qu’il boit une tasse de thé. »
Max Verstappen et…
… sa nationalité : » Je me sens néerlandais. Ce que ça veut dire exactement ? Que je ne suis pas Chinois… »
… son avenir :
» Je veux encore battre des records. Tous les records. Celui du plan grand nombre de Grands Prix gagnés et celui du nombre de titres mondiaux. Ce n’est pas une question d’âge, je veux juste devenir le meilleur pilote du monde. »
… ses parents : » Mon père a roulé en F1, il doit donc être meilleur pilote que ma mère. Mais pour une femme, elle n’était pas mauvaise. Elle a couru contre Christian Horner ( le patron de l’écurie Red Bull, ndlr) et il m’a avoué qu’elle était plus rapide que lui. Mais je suis le meilleur des trois. La dernière fois que j’ai couru contre mon père, j’avais 13 ans. Et on faisait déjà le même temps. »
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