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Lewis Hamilton: « On me disait que je n’avais pas la bonne couleur de peau »

Lewis Hamilton a déjà été sacré sept fois champion du monde de Formule 1, mais il en veut plus: « J’essaye d’être un exemple pour les gens comme moi. »

Il semble qu’il soit plus facile d’être champion du monde de Formule 1 pour la septième fois que de se faire une place dans le monde du karting, envers et contre tous. Avec sa couleur de peau et ses origines modestes, Lewis Hamilton (35 ans) a dû lutter contre de très bons adversaires, mais aussi, et peut-être surtout, contre les préjugés et la solitude.

À ses débuts, il ne savait pas ce qui l’attendait. La seule chose qu’il savait, c’est qu’il y aurait des virages. En 2007, lorsqu’il est entré chez McLaren, il était le premier pilote noir de F1. Le seul, aussi. Quatre ans plus tard, il est passé chez Mercedes. Aujourd’hui, le Britannique détient le record absolu du nombre de victoires en Grands Prix et partage celui du nombre de titres mondiaux avec Michael Schumacher . Il peut être fier de son parcours, mais il n’est pas encore satisfait. « Petit, je rêvais de devenir pilote de F1, mais en voyant Michael Schumacher, je m’imaginais mal jouer un rôle dans ce monde. Et encore moins gagner des courses, être aussi souvent champion du monde et rester compétitif. Même pas en rêve. »

Je me suis toujours considéré comme un outsider, quelqu’un qui ne reste pas nécessairement à sa place. »

Lewis Hamilton

Aujourd’hui, Lewis Hamilton voit plus loin que le sport. Cet homme charismatique parle de la lutte qu’il mène et en laquelle il croit. Même s’il reste avant tout un pilote très talentueux, soutenu par une équipe solide.

Vous avez décroché six de vos sept titres mondiaux au volant d’une Mercedes. Vous souvenez-vous encore de votre première visite à l’usine de Brackley, le centre de tests de Mercedes près de Londres, en 2013?

LEWIS HAMILTON: Je venais de chez McLaren, où Ron Dennis était un visionnaire. Il avait construit une usine de haute technologie, très spectaculaire. Comparée à cela, l’usine Mercedes semblait beaucoup plus sobre, presque spartiate. Ça m’a plu. Je me suis dit qu’ici, on mettait l’argent dans la course et pas dans les apparences. En Formule 3, j’avais débuté au sein d’une équipe qui investissait beaucoup dans l’image et moins dans les ingénieurs ou l’évolution technique. Puis soudain, je suis arrivé dans une écurie qui mettait l’argent là où il fallait: dans la recherche aérodynamique, dans des études sur la fibre de carbone et d’autres aspects techniques qui comptent en course. Résultat? J’ai tout gagné. Je voulais construire l’avenir et en débarquant chez Mercedes, j’avais le sentiment que c’était possible. Aujourd’hui, on parle d’une toute autre dimension, mais la clé du succès, elle est là.

Une telle domination, sept saisons consécutives, c’est du jamais vu en Formule 1. Quelle est la part de votre apport personnel dans ce succès?

HAMILTON: Je ne suis qu’un élément de la chaîne. Ou plutôt: le maillon qui relie le travail de nombreuses personnes à l’ensemble. Peut-être ai-je apporté davantage lors de ma première saison alors que nous n’avons rien gagné, qu’il était même difficile de terminer parmi les dix premiers. Il fallait se battre pour chaque point, mais je trouvais que c’était une bonne idée d’essayer de progresser ensemble. Quand je crois en quelque chose et que je suis devant un défi, je m’y consacre totalement. C’est toujours comme ça aujourd’hui, comme ça l’était lorsque je faisais du kart ou quand je roulais en GP2 et que je me demandais quand je pourrais enfin affronter et battre Alonso, Räikkönen ou Schumacher. J’ai fini par y arriver.

Lewis Hamilton:
Lewis Hamilton: « Quand je suis fâché, je ne parle pas. Je construis un mur de silence autour de moi. »© getty

Comment se fait-il qu’après autant de victoires, vous et votre équipe en vouliez toujours plus?

HAMILTON: Ce n’est pas le mérite d’une personne, mais celui d’un environnement dans lequel tout le monde donne le meilleur de lui-même, veut être le meilleur et faire partie d’une équipe qui gagne. Nous tirons tous sur la même corde et partageons la même passion.

« Je ne me souviens pas du moindre désaccord entre Niki Lauda et moi »

Dans quelle mesure le respect et la liberté dont vous avez bénéficié chez Mercedes ont-ils déterminé votre bonheur et vos succès?

HAMILTON: Dans n’importe quelle entreprise, celui qui est laissé dans son coin et ne se reconnaît plus ne peut pas être heureux, même s’il arrive avec un état d’esprit positif et une bonne mentalité. Pourtant, de nombreuses personnes restent juste pour ne pas perdre leur travail, parce qu’elles ont besoin de leur salaire à la fin du mois. J’ai beaucoup appris chez McLaren, mais ils attendaient de moi un certain comportement en tant que pilote et ce qu’ils me demandaient ne correspondait pas à ma personnalité. Je me suis toujours considéré comme un outsider, quelqu’un qui ne reste pas nécessairement à sa place. Avant de signer chez Mercedes, je leur ai dit que je n’étais pas comme les autres. « Laissez-moi être moi-même, faire mes expériences, car je veux me trouver. Et moi, je m’engage à vous aider au maximum à populariser la marque auprès des jeunes. » C’est comme ça que ça s’est passé.

Qui vous aide lorsque vous avez un problème?

HAMILTON: Quand je suis fâché, je ne parle pas. Je construis un mur de silence autour de moi. Je ne veux pas transmettre d’énergie négative aux gens qui m’aident à gagner et qui sont déjà tellement sous pression. Peut-être qu’Angela Callum ( sa kiné, ndlr) est la première à qui je m’adresse, puis il y a Roscoe ( son chien, ndlr). Il écoute bien.

C’est Niki Lauda qui vous a convaincu d’opter pour Mercedes. Il est donc à la base de nombreuses victoires. Vous arrivait-il parfois de ne pas être d’accord?

HAMILTON: Je n’ai vécu que de bons moments avec Niki, y compris une visite chez lui, à Ibiza, que je n’oublierai jamais. Avant de me connaître, il avait une fausse impression de moi. En parlant avec moi, il a découvert que nous avions plus de points communs qu’il le pensait initialement. Je me souviens de ses appels téléphoniques pour me persuader de venir chez Mercedes. À la fin, j’hésitais encore et je lui ai dit: « Je ne suis pas Niki Lauda, hein. Ce n’est pas comme si j’étais un grand pilote. » Mais il a insisté. « Avec toi, on sera une grande équipe. » Je ne me souviens pas du moindre désaccord entre nous.

Votre relation avec Toto Wolff, le CEO de Mercedes, est très particulière également. Comment le décririez-vous?

HAMILTON: Nous nous parlons beaucoup et ce sont souvent des discussions très profondes. Nous avons trouvé le moyen d’être très ouverts l’un envers l’autre. Notre relation repose sur une profonde confiance, pas seulement professionnelle, mais aussi personnelle.

N’a-t-il jamais été question de vous chez Ferrari?

HAMILTON: Pas vraiment. Nous avons discuté quelques fois, mais nos intérêts n’étaient jamais convergents. J’ai tendance à croire que rien n’arrive par hasard. Au cours des dernières années, mes contrats ont toujours pris fin à des moments différents de ceux de la plupart des autres pilotes.

« Mes modèles? Mohamed Ali, Serena Williams et Nelson Mandela »

Lorsque vous étiez enfant, votre idole était Ayrton Senna. Plus tard, vous avez également évoqué Maya Angelou, une poétesse et activiste afro-américaine. Quelles sont les autres personnes qui vous ont inspiré?

HAMILTON: Il y en a eu beaucoup, athlètes ou pas. Ma plus grande idole, c’est Mohamed Ali, pour son charisme et son style. Je reste fasciné par ce qu’il a obtenu, mais aussi par ses valeurs. Je prends aussi exemple sur Serena Williams et, en dehors du sport, sur Nelson Mandela. En vieillissant, j’ai commencé à mieux comprendre pourquoi certaines personnes m’inspiraient. Pas seulement parce qu’elles avaient écrit l’histoire, mais aussi parce qu’elles avaient ma couleur de peau. Avoir des modèles, c’est très important. En voyant mes héros, je me disais: ils ont fait quelque chose de formidable, donc j’en suis capable aussi. Certains ont des rêves, mais pas d’exemples. Il est important d’avoir quelqu’un qui puisse nous apprendre des choses et à qui on peut s’identifier. Quand on est jeune, on s’entend souvent dire qu’on n’est pas capable de ceci ou de cela, que ce n’est pas pour nous. Même les parents disent: « Dans notre famille, personne n’a jamais fait ça, nous n’avons pas la bonne couleur de peau. » C’est pourquoi les personnes que j’ai citées ont été tellement importantes pour moi.

Lewis Hamilton:

Il y a quatre mois, vous avez fermement condamné le racisme. Dans le monde de la Formule 1, ça n’a pas plu à tout le monde. Est-il important pour vous de propager vos idées? Ressentez-vous cela comme une obligation à l’égard de ceux qui ne peuvent faire entendre leur voix?

HAMILTON: Je n’ai pas encore réussi à entraîner toute la F1 dans mon sillage. Je tente de convaincre davantage de personnes, mais beaucoup restent silencieux. Il faut du temps pour changer l’opinion publique, mais je dispose toutes les deux semaines d’une tribune mondiale. Je n’imaginais pas qu’autant de monde soit derrière moi et je les remercie d’avoir réagi, car ils ont beaucoup d’impact sur moi. Nous avons tous un rôle important à remplir. Chacun d’entre nous a une voix, nous devons parler davantage, mais aussi agir davantage. Il y a tant de problèmes dans le monde que nous pouvons aider à résoudre si nous nous en donnons la peine. Mon rêve est de faire partie de la solution parce que, pendant une grande partie de mon existence, j’ai fait partie du problème. Il y a de nombreuses choses dont je n’étais pas au courant, même pas en matière de diversité. C’est un sujet qui n’est pas facile à aborder, pas encore. C’est pourquoi je veux en parler le plus ouvertement possible. Peut-être y a-t-il en ce moment, quelque part dans le monde, un garçon ou une fille qui est victime de discrimination ou de sexisme. Eux aussi ont une voix qu’ils n’osent peut-être pas faire entendre. En me voyant, ils peuvent trouver le courage de parler.

Vous avez remporté 94 Grands Prix. Quelle est votre plus belle victoire?

HAMILTON: Monaco et Silverstone en 2008. Quand il pleut, c’est plus difficile de l’emporter. C’est pourquoi on se souvient plus longtemps de ces courses. Le Grand Prix d’Allemagne 2018 était également très spécial, car j’avais dû partir en dernière position sur un circuit qui ressemblait à une piscine.

Et votre plus grande déception en quatorze ans de F1?

HAMILTON: Avoir perdu le championnat du monde 2007 de justesse. C’était ma toute première saison. On va dire que, depuis, j’ai pris ma revanche.

Qu’est-ce qui vous excite encore? Qu’est-ce qui vous rend encore heureux le matin lorsque vous entrez dans les paddocks avant un test?

HAMILTON: Je n’ai jamais aimé les tests, car je n’arrive pas à me concentrer aussi longtemps. Ce que j’aime, c’est essayer la voiture au début de l’année, quand l’attente est à son comble. Mettre à l’épreuve le travail effectué à l’usine, apporter quelque chose en matière de choix de matériel. Ma véritable force, c’est en course. J’adore me soucier des détails, faire en sorte que tout se mette en place pour partager la victoire avec le reste de l’équipe. J’adore toujours rouler, monter sur la piste pour la course me procure toujours une sensation de bien-être. Le jour où je ne pourrai plus faire cela, je serai triste. Ça va me manquer. J’espère tenir encore longtemps. Depuis toujours, j’essaye de progresser et de continuer à gagner. Désormais, je tente aussi tout simplement d’être heureux.

Plus grand nombre de victoires en Grands Prix

1. Lewis Hamilton (2007-?): 94

2. Michael Schumacher (1991-2012): 91

3. Sebastian Vettel (2007-?): 53

4. Alain Prost (1980-1993): 51

5. Ayrton Senna (1984-1994): 41

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