Las Vegas peut-elle devenir la capitale du sport?
Après 41 ans d’absence, la Formule 1 revient à Las Vegas du 17 au 19 novembre. Une nouvelle étape dans le projet d’une ville qui compte devenir incontournable sur la carte sportive mondiale.
Les fans d’Elvis Presley se souviennent sans doute du film Viva Las Vegas (1964) dont l’histoire raconte la lutte entre le mécanicien automobile Lucky Jackson (interprété par le King) et le champion italien Elmo Mancini. Ils s’affrontent non seulement pour une fille, Rusty, mais aussi pour la gloire sportive. Le duel se déroule sur circuit, lors du Grand Prix (fictif) de Las Vegas. C’était l’une des premières fois que la ville du Nevada était associée au «sport». A l’époque, et durant les trois décennies suivantes, Las Vegas n’était connue que pour ses prestigieux matchs de boxe. D’abord au Convention Centre (années 1960-1970), puis au Caesars Palace (1980-1990) et au MGM Grand Garden Arena (1990-2000). Tous les grands champions s’y sont battus pour un titre mondial, une ou plusieurs fois: Sugar Ray Robinson, Mohamed Ali, Mike Tyson, Oscar De La Hoya… De célèbres catcheurs comme Hulk Hogan y ont également organisé leur spectacle.
Les 65 000 places du stade des Las Vegas Raiders trouvent toujours preneurs.
Les autres sports majeurs sont restés à l’écart de Vegas, à l’exception d’un bref passage de la Formule 1, lorsque le Grand Prix fut organisé en 1981 et 1982 sur l’immense parking du Caesars Palace. Circuit peu apprécié des pilotes en raison de la chaleur et de l’intérêt très relatif de la piste, il n’a pas non plus séduit le public et fut supprimé au bout de deux ans. La série Cart (aujourd’hui IndyCar Series) a brièvement comblé le vide mais, là aussi, l’expérience n’a duré que deux saisons.
Las Vegas n’avait jamais non plus accueilli d’équipe pro des quatre principales ligues sportives américaines (NFL, NBA, NHL, MLB). La «Sin City» était une zone interdite pour leurs grands patrons. Les jeux d’argent et leur lien avec les matchs truqués étaient considérés comme une «menace pour l’intégrité de notre ligue», comme l’avait déclaré Roger Goodell, le patron de la NFL, en 2009.
Ainsi, en football américain, elle ne recensait que six équipes de plus petites ligues. En basket, seuls les Utah Jazz y ont joué onze matchs à domicile au cours de la saison 1983-1984, pour attirer l’attention sur ce qui était alors l’une des pires équipes de la ligue. La NBA n’y est retournée que vingt ans plus tard, d’abord avec la Las Vegas Summer League (une ligue d’été), puis en 2007 avec le prestigieux All-Star Game.
En hockey sur glace, un match d’exhibition entre les Kings de Los Angeles et les Rangers de New York fur organisé en 1991, puis un match d’entraînement annuel «Frozen Fury» entre les Kings de Los Angeles et l’Avalanche du Colorado. En base-ball, depuis 1983, Las Vegas ne compte qu’une seule équipe (initialement les Stars, devenus les 51 s et maintenant les Aviators) dans une ligue mineure.
Une première franchise sportive à Las Vegas
La situation n’a pas changé jusqu’en 2015, lorsque la NHL, la ligue de hockey, a annoncé qu’elle admettrait une nouvelle équipe dans une nouvelle ville. Bill Foley, un milliardaire texan, a alors fondé Black Knight Sports & Entertainment. Son objectif: l’installer à Las Vegas. Pour convaincre les autres propriétaires de la NHL, il vend 15 000 abonnements (85% de la capacité de la nouvelle T-Mobile Arena) avant même d’être sûr qu’ils mordront à l’hameçon. Une décision intelligente, et payante. En juin 2016, Foley a obtenu l’autorisation d’acheter une licence pour 500 millions de dollars, somme partagée entre les autres propriétaires. Le 31e club de la NHL et la première grande franchise sportive de Vegas étaient nés, sous le nom de Vegas Golden Knights. Lors de la cérémonie, en novembre 2016, Gary Bettman, commissaire de la NHL, a parlé d’un «jour historique pour Las Vegas, la NHL et le sport américain».
Dès leur première saison, les Golden Knights ont atteint la finale de la NHL, participé cinq fois aux play-offs au cours de leurs six premières années d’existence et remporté, cette année, la Stanley Cup, le trophée qui sacre le vainqueur de la NHL. La T-Mobile Arena a en outre affiché complet pendant six années consécutives, notamment grâce au show lumineux présenté avant chaque match. La valeur du club a même doublé, passant à un milliard de dollars. Le bénéfice d’exploitation en 2022 était de 65 millions de dollars. Sur le papier, Bill Foley a donc déjà récupéré l’intégralité de son investissement.
En 2016, Mark Davis, propriétaire des Oakland Raiders, autre club de la NFL, basé en Californie, avait également des vues sur Las Vegas. Raison: la construction d’un nouveau stade à Oakland était impossible, tout comme une relocalisation à Los Angeles, où l’équipe avait l’habitude de jouer. Davis souhaitait donc coinvestir dans un tout nouveau stade NFL… à Vegas. En mars 2017, le déménagement des Raiders à Sin City est approuvé, en échange d’une indemnité de relocalisation de 350 millions de dollars. A l’automne 2017, la première pierre de l’Allegiant Stadium est posée. Coût: 1,9 milliard de dollars, soit le deuxième stade le plus cher jamais construit aux Etats-Unis (après le SoFi Stadium de Los Angeles). Un peu moins de trois ans plus tard, en septembre 2020, les Raiders de Las Vegas jouaient leur premier match officiel en NFL.
En plus de la F1, Las Vegas accueillera le prochain Super Bowl.
Les sceptiques doutaient que le stade de 65 000 places se remplisse à chaque match, mais ce ne fut jamais un problème. Il est même devenu une attraction supplémentaire pour les touristes: ils représentent aujourd’hui 50% des billets vendus. L’emplacement, près du Strip, où se situent tous les grands hôtels et casinos, n’y est pas étranger. Les spectacles proposés à la mi-temps, où la tête d’affiche est occupée par des artistes comme le rappeur Ice Cube, augmentent également le pouvoir d’attraction du lieu.
Double champion WNBA
Pas vraiment rassasié, Mark Davis a racheté, en 2021, les Las Vegas Aces, un club de la WNBA, la ligue féminine de basket-ball. Il a massivement investi dans l’équipe, notamment en versant un salaire record d’un million de dollars à la coach Becky Hammon. A nouveau avec succès puisque les Aces sont devenues championnes à deux reprises, en 2022 et en octobre dernier. Une domination presque unique dans l’histoire de la ligue et qui a suscité l’intérêt de Tom Brady, le quarterback le plus titré de l’histoire du foot américain, devenu récemment actionnaire minoritaire du club. Et dont le souhait est désormais d’acheter 10% des Las Vegas Raiders.
Brady n’est pas la seule superstar américaine attirée par Las Vegas. L’icône du basket-ball LeBron James, toujours actif sur les parquets à 38 ans avec les LA Lakers, et Shaquille O’Neal, l’ex-vedette des Lakers, ont déjà ouvertement déclaré qu’ils désiraient devenir copropriétaires d’un nouveau club de la NBA dans la ville du jeu. Cependant, la NBA n’étudiera pas la possibilité d’étendre le nombre d’équipes – elles sont trente actuellement – avant que les négociations du nouveau contrat des droits télé, qui débutera en 2025-2026, ne soient achevées.
Las Vegas et Seattle sont les principales candidates à l’obtention des deux nouvelles licences. Des projets de construction d’un nouveau stade de basket dans le désert du Nevada sont déjà sur la table. L’année dernière, la société d’investissement Oak View Group a acheté un grand terrain à Vegas pour cent millions de dollars. Coût total du projet de construction: dix milliards de dollars. Outre un «quartier de loisirs» et un hôtel, y figurera une «arène de classe mondiale» d’une capacité de vingt mille places et estimée à un milliard de dollars. Le nouveau groupe de propriétaires, avec ou sans James ou O’Neal, devra aussi payer un droit d’expansion de deux milliards de dollars. Un montant non négligeable mais qui, à Vegas, peut être rapidement récupéré.
Un nouveau club de la Major League Baseball est lui aussi susceptible de s’y installer. Bientôt, les propriétaires voteront le transfert des Oakland Athletics dans un nouveau stade de trente mille places près du stade Allegiant des Raiders. Coût: 1,5 milliard de dollars. Le Sénat du Nevada a déjà approuvé une subvention de 380 millions de dollars pour ce projet. Il y a donc de fortes chances que Las Vegas accueille, dans les cinq ans, une équipe de chacune des quatre grandes ligues sportives américaines.
Las Vegas et les paris sportifs
Cette expansion s’inscrit dans le souhait de la ville de devenir la capitale mondiale du sport. L’ancien maire Oscar Goodman (1999-2011) et son épouse et actuelle maire Carolyn Goodman (depuis 2011) ont pleinement soutenu le projet ces dernières années. Du divertissement associé au sport de haut niveau, suivi d’une soirée dans les casinos du Strip: la formule a fait ses preuves.
Cette année, le nombre de touristes à Las Vegas franchira à nouveau la barre des quarante millions pour la première fois depuis la pandémie de Covid, tout en restant inférieur à celui des années 2015-2019 (42 millions en moyenne). En 2023, les recettes des jeux d’argent dans l’Etat du Nevada (dont les casinos du Strip représentent plus de 50%) devraient également progresser par rapport au record de 2022 (14,8 milliards de dollars).
Celles des paris sportifs dépasseront également cette année le pic de 2022: 447 millions sur des recettes totales de 8,7 milliards de dollars. Seuls les Etats de New York et du New Jersey font mieux en la matière. Les amateurs de sport peuvent facilement y jouer en ligne, alors qu’à Las Vegas, ils doivent s’inscrire en personne dans un casino. Les craintes que Sin City soit durement touchée lorsque la Cour suprême des Etats-Unis a déclaré, en 2018, que l’interdiction des paris sportifs (la loi sur la protection du sport professionnel et amateur) était inconstitutionnelle dans tous les Etats américains n’étaient donc pas fondées. Les paris sportifs sont désormais légaux dans 37 Etats, et 25 d’entre eux autorisent les amateurs à jouer en ligne.
LeBron James et Shaquille O’Neal souhaitent y investir dans une future franchise NBA.
Selon les analystes, l’augmentation des recettes des jeux d’argent à Las Vegas est due en grande partie aux paris sportifs. Or, les deux plus grands événements sportifs de l’histoire de la ville n’ont pas encore eu lieu: le Grand Prix de Formule 1 et, début février 2024, le Super Bowl. Pour l’un comme pour l’autre, les 152 000 chambres d’hôtel de la ville sont pratiquement toutes réservées et ce, pendant plusieurs jours.
L’impact économique du Super Bowl est estimé entre 600 et 700 millions de dollars, la première visite de la F1 depuis 1982 à environ le double. En effet, le Grand Prix de Las Vegas aura désormais lieu chaque année, au moins jusqu’en 2032. Liberty Media, propriétaire de la F1, a investi plus de 400 millions de dollars pour y accueillir la course, notamment dans un immense paddock de quatre étages. Contrairement aux autres Grands Prix, Liberty Media organisera ici la course. Recettes attendues, dès la première édition: 500 millions de dollars.
Le prix des billets est à la hauteur: cinq cents dollars pour le forfait de trois jours le moins cher. Les grands hôtels-casinos, eux, proposent des forfaits VIP allant de trois mille à cinq millions de dollars! Leurs invités verront Max Verstappen et consorts passer devant eux, car le Strip fait partie du circuit de 6,2 kilomètres sur lequel se déroulera la course.
Il passera également devant la MSG Sphere, la toute nouvelle attraction de Las Vegas. Cette arène sphérique dédiée à la musique et au divertissement possède le plus grand écran LED du monde et a coûté 2,2 milliards de dollars. Elle accueillera aussi des combats de MMA et de boxe. Une forme de tradition, qui s’inscrit désormais dans un contexte plus large: Las Vegas ne veut pas se contenter d’être la Mecque de la boxe, elle rêve de devenir la capitale mondiale du sport.
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