Swann Borsellino
La chronique de Swann Borsellino: le sport, ce tatouage invisible
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C’est peut-être ça, le sport. Un tatouage invisible mais indélébile, que l’on traîne avec soi au quotidien et que l’on emportera entre quatre planches, un de ces quatre, le plus tard possible quand même. L’avantage de ces gribouillis encrés et ancrés dans l’esprit, c’est que l’on a toujours un peu plus de place pour les accueillir, qu’ils soient déception intense ou moment de jouissance. Dans le disque dur qui nous sert de cerveau, on se souvient d’où on était le soir de Belgique-Japon, de ce que l’on buvait quand Julian Alaphilippe a levé les bras à Louvain et d’avec qui on a partagé le premier, ou le dernier, titre du club de notre coeur. Selon qui on est, ces moments suscitent des larmes, des cris, des frissons, parfois le silence, mais tous rappellent à quel point le sport est merveilleux au-delà des dollars, des scandales et des innombrables affaires qui le ternissent tristement sans le tuer. Probablement parce qu’il est terriblement humain. Sûrement parce qu’en tant qu’observateur extérieur, on ne peut pas s’empêcher de se projeter. De se demander comment fait le footballeur pour gérer la pression quand il marche du rond central au point de penalty lors d’une séance de tirs au but en Coupe du monde. De se questionner autour de notre capacité ou non à conduire une voiture à 300km/h pendant deux heures sans jamais flancher, sans jamais baisser les yeux devant la peur. Dans trente ans, je me rappellerai où j’étais le 12 décembre 2021, un peu avant l’heure du goûter. Et je suis sûr que vous aussi, que vous aimiez le sport automobile ou non.
Le rendez-vous était pris, « au premier virage », pour citer le gimmick désormais iconique de Julien Febreau, qui commente la Formule 1 sur les ondes de Canal +, en France. Et si entre la série Drive to survive, produite par Netflix, le scénario du championnat du monde de F1 et la couverture médiatique du Grand Prix d’Abu Dhabi, absolument tout était fait pour que la sauce monte, ce dimanche matin n’en demeurait pas moins le genre de jour où vous vous levez avec un sentiment de plaisir et d’urgence. Comme quand votre équipe de foot joue un derby. Comme quand vous savez qu’une bonne journée vous attend. Un scénario fou et une bagarre annoncée n’arrivant jamais seuls, l’Antwerp et le Standard y sont allés de leur combat à l’heure où Lewis Hamilton et Max Verstappen entraient en piste pour la gloire. Il est 14 heures quand le Néerlandais loupe son départ et voit l’Anglais filer vers son huitième titre de champion du monde. Il n’est même pas 14h01 quand la première passe d’armes entre les deux icônes déclenche l’hystérie dans la foule. Poussé hors de la piste par son jeune rival, le pilote Mercedes coupe la piste et ressort avec presque deux secondes d’avance sans être pénalisé. Red Bull, qui misait pourtant sur un bon départ, n’arrêtera jamais de croire en ses chances. Les Rouches, devant puis menés par l’Antwerp, non plus.
La suite, et fin, n’aurait pas pu être imaginée par Hollywood. Ou alors personne n’y aurait cru. Il y a eu le personnage secondaire charismatique, en la personne de Sergio « Checo » Pérez. Le suspense, de voir Lewis Hamilton regretter l’usure irrémédiable de ses pneumatiques à mesure que Max Verstappen, indomptable, fondait sur lui. Puis le tournant improbable, quand Nicholas Latifi est venu prouver que l’effet papillon s’appliquait aussi au sport. Lui, le pilote dont personne ne se souciait du destin est devenu le faiseur de roi. En partant dans le décor, il a ôté la couronne du crâne de Lewis Hamilton pour la poser sur celle de Max Verstappen. Mais pour que le film d’action soit réussi, il faut une scène finale. Un combat évident entre le héros et le anti-héros – je vous laisse choisir qui est qui. L’ancien (plutôt ses pneus) n’aura pas résisté à la fougue du jeunot. Et ce qui a marqué ce dernier tour, c’est le silence. Le silence avant la folie dans les tribunes. Le silence chez tous ceux qui regardaient le Grand Prix. Le silence sur les réseaux sociaux. L’absence de message. Pendant cinq kilomètres, le temps s’est suspendu. C’était le temps pendant lequel notre tatouage indélébile était en train d’être fait. C’était le 12 décembre 2021 et sans même supporter particulièrement Max Verstappen, je pourrai dire dans trente ans que j’étais à l’hôtel, à Schaerbeek, en train de boire un thé avec un oeil sur le Standard de Liège.
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