Lewis Hamilton chez Ferrari, c’est un nouvel épisode d’une Formule 1 qui sait feuilletonner ses saisons. © Photo by Alessandro Bremec/IPA/ABACAPRESS.COM

Formule 1: ces 4 ingrédients qui ont remis la reine des sports automobiles à la mode

Au plus bas de sa popularité, de sa croissance financière et de son intérêt en 2017, la Formule 1 s’est spectaculairement relancée depuis son rachat par Liberty Media. Recette de la modernisation la plus réussie d’un sport au troisième millénaire.

«L’argument de vente unique de la Formule 1? Associer les voitures les plus rapides aux meilleurs pilotes du monde et les faire courir à des vitesses époustouflantes sur les circuits les plus difficiles. Ajoutez à cela une touche de glamour et des stars charismatiques et vous obtenez un sport extrêmement séduisant et sexy.» C’est ainsi que Sean Bratches, alors directeur commercial de Liberty Media, a analysé l’état de la F1 en 2016.

Pourtant, ce sport sexy était devenu de moins en moins attrayant après les années grandioses du septuple champion du monde Michael Schumacher. Il ne parvenait plus à séduire que les fans purs et durs (plus âgés). Ainsi, le nombre total de téléspectateurs (uniques) par saison entre 2008 et 2017 a diminué de près de moitié, passant de 600 à 352 millions. Cela s’explique en partie par l’essor des chaînes payantes, qui ont acheté les droits de diffusion dans de nombreux pays et ont chassé du câble les retransmissions en direct. Une autre cause majeure fut l’ennui et la prévisibilité de la compétition. A ce titre, le point le plus bas fut atteint lors de la saison 2016, au cours de laquelle Mercedes, avec Lewis Hamilton et Nico Rosberg, a remporté pas moins de 19 des 21 Grands Prix.

Cette période de déclin s’est arrêtée lorsque Liberty Media Corporation a racheté Formula One Group à CVC Capital Partners début 2017 pour 7,5 milliards d’euros. L’entreprise était déterminée à accroître sa portée mondiale, à rajeunir sa base de fans et à relancer la machine à fric chancelante laissée par l’ex-patron Bernie Ecclestone.

Huit ans plus tard, la mission est plus que réussie. Les chiffres sont éloquents. La F1 compte 750 millions de fans à travers le monde. En moyenne, 272.000 spectateurs se sont assis dans les tribunes des 24 Grands Prix la saison dernière, soit 34% de plus qu’en 2017. F1 Group a signé un nouveau contrat de sponsoring avec le groupe LVMH, fleuron français des produits de luxe, qui versera environ 144 millions par saison pendant dix ans à partir de 2024. Chacune des dix équipes de Formule 1 vaut désormais en moyenne 2,22 milliards d’euros. Le chiffre d’affaires annuel de Formula One Group atteindra le montant record de 3,5 milliards d’euros en 2024. Et lorsque la F1 a organisé une fête à Londres en février pour son 75e anniversaire, avec la présentation de tous les pilotes et équipes pour la nouvelle saison, elle a attiré un total de 4,6 millions de téléspectateurs sur sa chaîne YouTube.

Voilà pour l’observation. Passons à l’explication. Comment Liberty Media a-t-il créé cette nouvelle success-story?

1. Le storytelling

Immédiatement après le rachat en 2017, le directeur commercial Sean Bratches a conclu un accord avec Netflix. Une nouvelle série de téléréalité devait redonner à la F1 une image branchée. Après son lancement en mars 2019, Drive to Survive a connu un succès immédiat, devenant l’une des séries les plus regardées sur la plateforme. Depuis, cinq autres saisons ont suivi, chacune atteignant la barre des 100 millions d’heures regardées, des chiffres qu’aucune docusérie sur une équipe ou une compétition sportive n’approche. Netflix s’en frotte les mains, et vient de lancer la septième saison le 7 mars.

En matière de narration, Drive to Survive est l’exemple parfait. Elle combine des interviews exclusives et des séquences en coulisses (presque) illimitées avec des intrigues, des relations tendues et des scénarios sur et à l’extérieur de la piste. Elle donne également aux pilotes de F1 (habituellement cachés derrière un casque) un visage humain –pour le meilleur et pour le pire– et attire ainsi de nombreux nouveaux fans, jeunes et féminins.

Drive to Survive a connu un succès immédiat, devenant l’une des séries Netflix les plus regardées. © Dan Vojtech/Netflix

Au cours de la première saison, Drive to Survive a pourtant dû se passer de la coopération des écuries Ferrari et Mercedes. Celles-ci ne voulaient pas dévoiler leurs secrets. Mais elles ont fini par céder elles aussi. Même le champion du monde Max Verstappen, d’abord persuadé que Drive to Survive attisait artificiellement les rivalités, a rejoint la série à partir de la saison 5.

Dès l’été prochain, la Formule 1 prendra encore un nouvel élan. Non pas grâce à la téléréalité, mais avec un film: F1, une collaboration entre le Formula 1 Group et Warner Bros. Le réalisateur est Joseph Kosinski (connu pour la superproduction Top Gun: Maverick) et le rôle principal est tenu par Brad Pitt. Il incarne Sonny Hayes, un ancien pilote qui revient à la compétition au sein de l’équipe fictive APXGP. De vrais pilotes de F1 jouent également un rôle. En effet, la plupart des séquences ont été tournées lors de Grands Prix, notamment à Francorchamps.

Liberty Media s’est rendu compte en 2017 que les images et le son sont essentiels, en faisant appel à David Hill en tant que conseiller. Le producteur, qui avait déjà révolutionné les retransmissions en direct du cricket, de la Premier League et de la NFL, devait désormais faire de même en F1. Finie la couverture à l’ancienne, avec uniquement des caméras centrées sur la piste de course et des analystes. Hill a imposé plus de caméras dans les voitures et dans le paddock. Les conversations entre les pilotes et les directeurs d’équipe doivent également être davantage montrées. Il a également demandé la création d’une nouvelle bande son entraînante et a fait monter le volume de tous les micros pendant les premiers tours d’un GP. Le but? Offrir une dose supplémentaire d’excitation aux fans à la maison. En outre, Hill voulait toujours que les temps et l’ordre des pilotes soient affichés sur l’écran de télévision. Résultat: des retransmissions en direct captivantes, même lorsque le déroulement de la course est ennuyeux.

2. Génération Z

«Twitter ou Facebook? Aucun intérêt. Quelle absurdité», déclarait l’ancien patron de la F1 Bernie Ecclestone en 2014. Il ne se souciait guère, alors, du jeune public, jugé peu «compatible» avec les produits (coûteux) des sponsors de la F1. Mais Liberty Media a visé la génération Z après le rachat en 2017, et s’est pleinement engagée dans le contenu numérique via les réseaux sociaux et les canaux de diffusion en continu – la Formule 1 était très en retard dans ce domaine.

La nouvelle stratégie a porté ses fruits. Grâce notamment à l’appli F1, à son propre service de streaming (F1 TV) et à sa propre chaîne YouTube, la F1 a atteint 96 millions de followers sur les réseaux sociaux en 2024, soit 36% de plus qu’en 2023. Grâce aussi au nombre croissant de pilotes issus de la génération Z. Des enfants de leur temps comme Lando Norris, Charles Leclerc, Lance Stroll et George Russell, qui partagent leurs expériences quotidiennes sur Instagram, YouTube ou Twitch. L’arrivée de pas moins de cinq nouvelles têtes (Gabriel Bortoleto, Kimi Antonelli, Oliver Bearman, Jack Doohan et Isack Hadjar) la saison prochaine renforcera cette présence sur les réseaux sociaux. Même l’«ancien» champion, Lewis Hamilton, sait mieux que quiconque s’adresser à ses 50 millions d’abonnés en ligne. Pour Liberty Media, c’est une aubaine, surtout depuis que Hamilton a rejoint l’emblématique écurie Ferrari.

Parallèlement à cette stratégie de réseaux sociaux, la F1 a également investi dans la campagne «We Race as One» en 2020, qui promeut la durabilité, l’égalité et l’inclusion. Des thèmes qui préoccupent beaucoup les jeunes de nos jours. Mais il s’agit surtout d’un discours promotionnel. L’empreinte écologique de la F1 reste énorme et les droits de l’homme sont bafoués dans plusieurs pays où se déroulent les Grands Prix.

3. Plus de pays pour la F1

Liberty Media a presque tout bouleversé, mais a suivi l’exemple de Bernie Ecclestone dans un domaine: l’expansion et la mondialisation du calendrier de la F1. En 2000, il ne comptait encore que 17 courses. Aujourd’hui, il y en a 24, réparties dans 21 pays. Dans les années à venir, les Grands Prix historiques comme celui de Belgique devront se contenter d’une présence en alternance au calendrier. Cela permettra à la compétition de visiter davantage de pays, par exemple la Thaïlande.

Les deux dernières décennies ont repoussé les frontières, en particulier en s’ouvrant au Moyen-Orient et à l’Asie avec les GP de Chine et de Bahreïn depuis 2004, d’Abu Dhabi depuis 2009 et du Qatar et de l’Arabie saoudite en 2021. Plus important encore, la F1 s’est développée sur le marché américain, surfant sur la vague de Drive to Survive, qui a obtenu de bons résultats aux Etats-Unis sur Netflix. En 2022, elle a ajouté à celui d’Austin un deuxième grand prix américain, à Miami. Et à partir de 2023, un troisième, dans la capitale du jeu, Las Vegas.

Automatiquement, cela a également attiré le grand marché américain du sponsoring. En juin 2021, la F1 a ainsi conclu un accord avec crypto.com pour 100 millions de dollars. L’année dernière, ce contrat fut prolongé jusqu’en 2030. Avec les nouveaux GP au Moyen-Orient, le robinet des pétrodollars a également été ouvert. En 2020, le mastodonte énergétique saoudien Aramco est devenu un «partenaire mondial», suivi par Qatar Airways en 2023. Le marché chinois s’est par ailleurs rouvert après la pandémie. Avec l’organisateur du GP de Shanghai, la F1 a prolongé son contrat jusqu’en 2030.

4. Plafond budgétaire et suspense

Jusqu’en 2021, les grandes écuries comme Mercedes, Ferrari et Red Bull disposaient de budgets colossaux, allant jusqu’à plus de 400 millions d’euros. Les équipes plus modestes n’atteignaient même pas les 100 millions. Une situation fatale pour la concurrence dans ce sport. L’argent minimise de plus en plus le facteur aléatoire en F1. C’est pourquoi, malgré une forte opposition, Liberty Media a imposé un «plafond budgétaire» de 145 millions de dollars (128 millions d’euros) en 2021. A partir de 2023, il a même été ramené à 135 millions de dollars. Ce plafond budgétaire s’applique principalement au développement des voitures. Les salaires des pilotes, les coûts de marketing et les salaires des trois employés les plus chers ne sont pas pris en compte.

Conséquence positive: de nombreuses équipes, qui avaient subi de lourdes pertes par le passé, sont devenues plus stables financièrement. Les dépenses sont désormais limitées, mais les revenus des récompenses augmentent fortement, pour atteindre plus d’un milliard d’euros en 2024. Cette somme sera répartie entre dix équipes: 6% pour la dernière, 14% pour la première au championnat des constructeurs. Pendant longtemps, les initiatives de nouvelles écuries ont également été découragées, afin de ne pas avoir à partager le gâteau entre plusieurs parties. Avec American Cadillac, un onzième team fera son apparition à partir de 2026. La société mère, General Motors, a dû payer un «droit d’entrée» de 430 millions d’euros. Cela en dit long sur l’essor de la F1…

Est-ce grâce à ces nouvelles normes qu’après les saisons 2022 et 2023, marquées par l’écrasante domination de Max Verstappen et de son écurie Red Bull, la deuxième partie de la saison 2024 est devenue plus ouverte? Le Néerlandais a certes repris le titre mondial, mais six pilotes ont remporté au moins deux GP, pour la première fois depuis 1981. Pour la saison prochaine, qui débute du 14 au 16 mars en Australie, les rapports de force entre Red Bull, McLaren-Mercedes et Ferrari semblent proches. Une autre bataille passionnante pour le titre mondial, comme celle entre Verstappen et Hamilton en 2021, stimulerait encore la croissance de la F1.

Cela permettrait au Drive to Survive de définitivement devenir un Drive to Success.

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