MANAGER POWER
Voué aux gémonies en janvier, le manager des Mauves savoure sa revanche.
Dimanche prochain, au stade Jan Breydel, le Club Bruges et Anderlecht disputeront le sommet de la 28e journée. Revenus du diable vauvert après avoir compté une dizaine de points de retard sur le Standard, les Bleu et Noir n’ont pas le droit à l’erreur, face aux Mauves, s’ils veulent renouer avec le titre. Quant aux Sportingmen, qui ont engrangé jusqu’ici moins de la moitié des points engagés en dehors de leurs terres, ils ne peuvent pas se permettre, non plus, de rentrer les mains vides de leur déplacement.
Qu’enviez-vous à Bruges ?
Son collectif. Anderlecht dispose des meilleures individualités comme l’attestent les nombreuses récompenses individuelles de ces dernières années : Footballeur Pro, Souliers d’Or et d’Ebène pour Aruna Dindane et Vincent Kompany en 2004 et 2005, respectivement ; meilleur buteur 2004-2005 pour Nenad Jestrovic, etc. A l’échelon du club, nous n’avons guère été performants, à l’exception d’un titre il y a deux ans. Bruges, dans le même temps n’a guère été primé au plan des récompenses personnelles mais a été cham-pion en 2003 et 2005, tout en ayant été finaliste de la Coupe de Belgique. En cause : l’esprit de groupe du Club, une réalité qui n’est pas suffisamment imprégnée chez nous.
Au même titre qu’Anderlecht, Bruges n’en a pas moins eu ses affaires aussi : on songe au cas Bosko Balaban voire à la rocambolesque histoire du penalty raté par Sven Vermant à Lokeren.
C’est vrai que les différences se sont atténuées… Et sous l’angle du style aussi, d’ailleurs. Par le passé, les Bleu et Noir faisaient la part belle à des footballeurs puissants, alors que le Sporting tablait davantage sur des artistes au pied léger. L’évolution du football a fait en sorte que les deux se rapprochent : Anderlecht a accueilli des éléments plus physiques, tandis que son rival s’est tourné vers des renforts plus techniques. Ce raisonnement est d’ailleurs d’application aussi pour le Standard qui, hormis ses légendaires battants, a ouvert la porte aussi à de très fins techniciens comme Sergio Conceiçao ou Milan Rapaic.
Le quatrième ténor aurait dû être Genk. Mais, il s’est fait brûler la politesse par Zulte Waregem, qui était encore en D2 l’exercice passé. Faut-il y voir un nivellement vers le bas de notre football ?
A mes yeux, on verra ce que les Flandriens ont vraiment dans le ventre l’année prochaine, au moment où ils ne feront plus figure de surprise et que les différentes oppositions cerneront mieux la façon de contrer l’équipe et ses personnalités marquantes, comme Salou Ibrahim par exemple. Sans compter qu’elle risque d’être amputée de l’un ou l’autre joueur : outre le Ghanéen, Tony Sergeant et Frédéric Dupré, entre autres. Reste que les trois premiers accusent, par totaux cumulés, un déficit de plus de 20 points. C’est assez significatif.
» Frutos est l’exemple »
Comment expliquez-vous cette faillite collective du trio majeur ?
Bruges a dû digérer l’après-Sollied, ce qui n’est quand même pas une mince affaire. Le Standard a été exposé à la pression. Quant à Anderlecht, il a alterné le bon et le moins bon. A domicile, même si nos prestations ne furent pas toutes séduisantes, le team a tenu la route. En déplacement, nous n’avons guère été à la hauteur. Surtout face à des adversaires de la deuxième moitié du tableau. Nous avons perdu sept points au total au Lierse, à La Louvière et à Saint-Trond récemment. C’est énorme. Il est heureux, cependant, que la concurrence n’ait pas fait beaucoup mieux.
Et dire que le RSCA, de même que les autres cercles majeurs, plaident en faveur d’une restriction de l’élite ?
Au risque de vous surprendre, je pense que dans une D1 ramenée à 14 clubs par exemple, des faux-pas de ce genre seront moins nombreux. Dans ce cas, les joueurs seront toujours branchés sur leur prestation du week-end, vu que l’opposition sera d’une plus grande valeur qu’à l’heure actuelle. A présent, pour peu qu’une rencontre européenne soit programmée en milieu de semaine, les grands ont tendance à prendre leurs précautions en agençant, par exemple, un match à domicile avant ou après cette confrontation et un autre contre une opposition jugée théoriquement plus faible. Résultat des courses : tout l’influx va au mid– week match et l’équipe se ramasse sur le plan national. Par contre, s’il s’agit d’être en éveil parce que l’adversaire est plus coriace, il y a moins de chances, selon moi, de se trouer.
Champion = prendre des points à l’extérieur
Qui sera champion ?
… la phalange qui perdra le moins de points en déplacement. Sur ce plan, nous aurons l’avantage de jouer encore quatre rencontres à domicile pour trois seulement à l’extérieur. Au Standard, les proportions sont inversées. Le Club, lui, se situe dans le même cas de figure que nous mais l’un de ses quatre matches au stade Jan Breydel est précisément celui de dimanche prochain. Pour l’emballage final, nous aurons la chance aussi de pouvoir compter sur Nicolas Frutos, particulièrement en verve depuis ses débuts en janvier. Mon seul regret est qu’il ne nous ait pas rejoints l’été passé déjà. Auquel cas il n’y aurait pas eu photo pour le titre : nous aurions gagné bien plus que 20 points sur 42. Même si nous avons été battus à Saint-Trond avec lui, c’est lui qui a plié le match en notre faveur à Mouscron… C’est lui encore qui nous avait sauvés au Parc Astrid contre le Lierse, une autre rencontre où nous n’en menions pas large. Ce soir-là, il a délivré un assist à Bart Goor tout en marquant lui-même un but avec la nuque pour ainsi dire. Pied gauche, pied droit, tête vers l’avant et en arrière, pichenette : toute la panoplie y est passée rapidement avec lui. Sans compter qu’il pèse de tout son poids sur une défense. Une acquisition en or.
Ce transfert, c’est votre victoire ?
C’est surtout le mérite d’une direction qui a tiré les leçons du passé. Par moments, il nous est arrivé de devoir agir dans la précipitation : une solution de rechange s’imposait subitement à telle ou telle position. C’était le cas, par exemple, sur le flanc gauche où nous nous sommes retrouvés démunis suite au départ de garçons comme Mark Hendrikx ou Ki-Hyeon Seol. Pour pallier ces vides, nous nous étions alors rabattus sur un Fabrice Ehret, entre au-tres. Un latéral français recruté sur la base de simples images, qui s’est complètement planté chez nous. Quelques mois après son arrivée à peine, je me suis dit : – Plus jamais ça ! A notre niveau, il n’est pas pensable de faire preuve d’une telle légèreté. Depuis, à l’exception de Grégory Pujol, recruté en toute hâte suite à la postposition de la venue de Frutos, tous les transferts effectués ont fait l’objet d’un minutieux screening. A l’image de l’Argentin, qui a été suivi à plusieurs reprises par la cellule scouting avant que je finalise moi-même. Il n’en ira pas autrement dans le cadre des prochaines acquisitions.
Les prochains transferts
Qui sera le prochain renfort : un Argentin ou un Turc ?
J’ai effectivement vu à l’£uvre le défenseur Atan Cagdas à l’occasion d’un match de coupe de Turquie. Le joueur avait été visionné déjà par Albert Martens, Eddy Van Dale et, finalement, par le responsable de la cellule, Werner Deraeve. Tous les rapports étaient élogieux. Mais je suis resté un peu sur ma faim quand je l’ai vu : peut-être était-ce dû au rôle occupé par l’intéressé. Il avait effectivement été aligné au back alors qu’il s’était toujours signalé comme stopper. Sur l’aile, j’ai surtout relevé sa propension à rester derrière au lieu d’aller résolument de l’avant, comme il en a eu plusieurs fois l’opportunité. Pour bien faire, je devrai le revoir à l’£uvre dans un match où il occupe un rôle central. A ce moment-là, peut-être, je serai définitivement convaincu. Il n’empêche qu’un défenseur gaucher, solide, expérimenté et doté d’un tir meurtrier, cela ne court pas les rues. C’est pourquoi il reste dans notre viseur.
Qu’en est-il des anciens coéquipiers de Nicolas Frutos à Independiente : Sergio Aguero, Lucas Biglia et Emiliano Armenteros ?
Aguero est malheureusement hors de portée de notre bourse. Il y a quelques mois, à l’époque de nos premiers contacts avec Frutos, la direction du club avait refusé une offre de 17 millions d’euros de Villarreal, convaincue qu’il rapportera beaucoup plus. C’est possible, car ce garçon est ni plus ni moins le meilleur jeune que j’aie jamais vu à l’£uvre. La classe mondiale. En principe, il devrait aboutir chez un grand de la Liga, à l’instar de ce qui s’était passé avec Lionel Messi à Barcelone. Il y a d’autres talents dans l’ancien cercle de Nicolas Frutos mais les Argentins connaissent les prix. Pour moins de deux millions d’euros, ils ne lâchent rien (il sourit). Au Brésil, le football est moins structuré. Dans ce pays, il y a encore moyen de faire des affaires et nous aurions dû engager l’attaquant Jô, des Corinthians, au moment où sa tête était mise à prix pour deux millions d’euros. Il a suffi que les Brésiliens sachent que le Sporting était qualifié en Ligue des Champions pour qu’ils revoient soudain leur prix de manière vertigineuse. Du coup, nous avons dû décrocher.
Salou Ibrahim et Thomas Buffel sont-ils aussi dans votre viseur ?
Pour chaque place nous disposons actuellement d’une solution de rechange… sauf pour Frutos. C’est pourquoi nous sommes en quête d’un autre joueur de ce type et Salou Ibrahim répond à ce profil. Nous avons déjà pris langue avec son manager, Jean-Claude Lagaisse, et une entrevue est prévue avec la direction de Zulte Waregem. Mais nous ne sommes nullement enclins à payer les 2,5 millions d’euros réclamés actuellement ! Si les prétentions diminuent, nous sommes disposés à prêter une oreille attentive. En ce qui concerne Thomas Buffel, la situation est un tantinet différente. Pour pourvoir au remplacement de Pär Zetterberg, nous pouvons tabler actuellement sur des éléments comme Goran Lovre et Oleg Iachtchouk. Mais ils n’ont jamais fait figure de titulaires à part entière chez nous et le joueur des Rangers Glasgow correspond davantage à ces exigences. Reste à voir la faisabilité d’un tel transfert car il est toujours sous contrat en Ecosse où il est payé rubis sur l’ongle.
» Le Player Power a vécu »
De quelle enveloppe le Sporting dispose-t-il en vue des transferts d’été ?
Tout dépendra du départ de ceux dont le club pourra monnayer le talent. Je songe prioritairement à Vincent Kompany et à Christian Wilhelmsson. Si nous raflons un joli pactole avec eux, une bonne partie de cet argent sera consacrée à de nouvelles acquisitions. Mais même s’ils restent, ce que nous espérons toujours, il y aura des transferts rentrants. C’est nécessaire car Michal Zewlakow, Hannu Tihinen et Lamine Traoré sont partants certains en défense tandis que dans la ligne médiane, Pär Zetterberg fera ses adieux dans quelques semaines. Quant à Yves Vanderhaeghe, il ne sera pas éternel non plus, à 36 ans bien sonnés. Une chose est sûre : nous ne serons pas pris au dépourvu, comme au moment où Jan Koller, Tomasz Radzinski, Bart Goor et Didier Dheedene avaient pris congé simultanément. Nous avons une liste de 20 noms qui constituent autant de renforts potentiels. Et nous avons les moyens de frapper l’un ou l’autre grand coup. Par la force des choses, nous avons ramené le noyau de 32 à 26 joueurs en cours de saison. Il en a résulté des résultats plus probants et une meilleure atmosphère. Nous entendons persévérer en la matière. L’économie réalisée sur ces six contrats nous permettra d’autre part d’être plus entreprenant en ce qui concerne les arrivées.
La qualité plutôt que la quantité ?
Oui. Plutôt débourser 2,5 millions d’euros pour un bon, comme Nicolas Frutos, en lieu et place d’acquérir pour le même prix trois éléments moyens. Il faut veiller aussi à créer un climat propice à l’épanouissement du ou des joueurs. A cet égard, l’Argentin constitue un modèle à suivre. Dès son arrivée, Nico a été pris en charge par un de nos employés hispanophones, José Lago, qui s’occupe pour ainsi dire à temps plein de lui. Grâce à cet homme, tout a été mis en £uvre pour que le nouveau transfuge se sente à l’aise dans son nouvel entourage. Nous avons fait en sorte, par exemple, qu’il puisse capter les chaînes espagnoles, via satellite. C’est un détail moins anodin qu’il n’y paraît car le jour où nous avons donné la réplique au Lierse, un dimanche à 18 heures, le joueur s’est empressé de rentrer chez lui sitôt la partie terminée afin de voir à l’£uvre sur Canal Plus Deporte 1 des images de son ancien club, Independiente face à Argentinos Juniors. Ce n’est qu’un petit geste de notre part, mais il a été apprécié à sa juste mesure par notre recrue. C’est sur cette voie-là qu’il faut persévérer en tant que club. Je suis sûr que, de son côté, le bouche-à-oreille du joueur fera de l’effet aussi (il rit).
» Frankie Vercauteren doit rester »
Le club a maintenu sa confiance envers l’entraîneur après le 1 sur 6 réalisé en début d’année contre le Cercle Bruges puis au Germinal Beerschot. Frankie Vercauteren sera-t-il toujours en place la saison prochaine ?
Il a signé un contrat comme coach pour une période de deux ans, assortie d’une option pour une saison supplémentaire. La balle est dans son camp, entendu qu’une évaluation est déjà prévue en fin de saison. Pour moi, l’entraîneur peut aller au bout de son bail, et même davantage s’il en éprouve l’envie. Il est dans le bon, même si les résultats ne répondent pas tout à fait à l’attente. Frankie est un passionné, qui connaît la musique et qui sait ce qu’il veut. C’eût été une véritable honte de le sacrifier et de succomber au Player Power qui a sans doute trop longtemps sévi ici. Il fallait un signal fort, de la part des dirigeants, pour que chacun comprenne où se situe sa place réelle. Les joueurs sont là pour jouer, le coach pour entraîner et les dirigeants pour décider.
Que se serait-il passé si d’aventure le Sporting n’avait pas remporté son match suivant face au Racing Genk ?
Je ne serais peut-être pas en train de vous accorder une interview car j’aurais sans doute été emporté moi-même dans la tourmente. On m’aurait reproché un 1 sur 9, un Frutos insuffisant en regard de sa dernière prestation au Kiel, les départs de Walter Baseggio et Jestrovic et que sais-je encore. Six semaines plus tard, je me rends bien compte que le vent a tourné : on me félicite pour le redressement de l’équipe et pour la trouvaille argentine, qui a d’ores et déjà effacé notre ancien buteur serbe de la mémoire collective. Quant à Walt, acclamé par 25.000 personnes lors de son ultime montée sur le terrain, il est réserviste plus souvent qu’à son tour à Trévise. Comme quoi, ici aussi, la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain !
BRUNO GOVERS
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