Laurent Raphaël
London Calling J-36: Cours Forrest, cours!
À un peu plus d’un mois du marathon de Londres, Laurent Raphaël livre le huitième épisode de son carnet de bord hebdomadaire. Il y revisite Forrest Gump et évoque les traditionnels travaux pratiques.
Forrest primaire
Ne jamais se fier (entièrement) à sa mémoire, elle a tendance à repeindre systématiquement les murs de couleurs vives… Sorti en 1994, l’Oscarisé Forrest Gump m’avait laissé un souvenir plutôt agréable qui doit beaucoup, je m’en suis rendu compte en le revoyant, à l’idée poutre du film: revisiter en accéléré l’histoire moderne des Etats-Unis à travers les yeux d’un simple d’esprit (QI de 75) qui court plus vite que son ombre, son « jeu de jambes » lui ouvrant les portes de la gloire et de la fortune. Il y avait là potentiellement matière à récurer les casseroles peu reluisantes que traîne derrière elle la première puissance mondiale: ségrégation raciale, assassinats politiques, Vietnam, Watergate, etc.
Las, Robert Zemeckis a eu la main lourde en cuisine, faisant fondre son quartier de viande dans une grosse flaque de beurre sentimentale. Il ne reste au final dans l’assiette qu’une ode dégoulinante à la bonté et à l’innocence farcie de bonnes intentions et de patriotisme, le tout arrosé d’une louche d’humour sans arêtes. Tout le savoir-faire du chef (qui n’est pas mince puisqu’on lui doit Back to the Future ou Who framed Roger Rabbit?) est passé dans la déco, les effets spéciaux assez bluffants -on voit le héros se glisser dans des films d’archive pour serrer la louche de Kennedy ou faire papote avec John Lennon- servant à faire mousser un conte de fées dont les canines de la perversité auraient été limées par la police du bon goût. Faute de conscience, Forrest Gump galope dans les pièces les plus sombres de la maison Amérique mais prend bien soin de ne laisser aucune trace sur la moquette morale.
Au fond, ce drôle de zigue, incarné par un Tom Hanks aux mimiques cartoonesques, est une sorte de super héros raté. Comme si un problème technique s’était produit au cours de sa fabrication: il est bien équipé d’un pouvoir (courir pour échapper à tous les dangers) mais un bug l’a privé de la jugeote qui lui permettrait d’utiliser ses compétences autrement qu’en touriste azimuté. Résultat: la guerre, les magouilles politiques, le mouvement hippie et les hauts et bas d’une relation amoureuse sadique sont ravalés au rang d’épisodes inoffensifs de sitcom.
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Le seul moment du film qui échappe à la tutelle Disney c’est quand vers la fin, une fois de plus délaissé par Jenny (derrière laquelle se cache Robin Wright), Forrest ne cherche plus à court-circuiter l’Histoire et se lance sans raison dans une course à travers tout le pays. Pour la première fois de sa vie, il fait quelque chose par lui-même, et non parce qu’il y a été contraint. Un acte de résistance qui va attirer sur lui l’attention des médias et, dans la foulée, de brebis égarées. Des dizaines de disciples suivront bientôt au petit trot ce messie chevelu et mutique qui doit détenir une vérité pour se détacher ainsi de toute contingence.
Le temps d’une séquence, le film fait une embardée dans un univers parallèle. Rendue à son essence première, la course à pied n’est plus un accélérateur du quotidien mais un grain de sable dans la logique productiviste du monde. Dans ce temps suspendu, Forrest Gump est soudain libéré de la pesanteur de son handicap. Peu importe sa destination, c’est le chemin qui compte. Cette attitude rebelle suscite la fascination, et bientôt l’idolâtrie. Le moindre geste ou parole devient culte. Comme quand il essuie sur un t-shirt la boue qui macule son visage et qu’apparaît un smiley.
Cette parenthèse métaphysique donne du grain à moudre à tout coureur de fond qui s’interroge forcément sur le sens de ces efforts répétés, de cette douleur consentie. Et si tout ça n’avait aucun sens au fond, et c’est ce qui en fait justement la valeur?
Dorénavant je me retournerai de temps en temps pour vérifier si personne ne me colle au train d’un peu trop près…
Et comme chaque semaine, le bonus santé avec un article du magazine Body Talk. Menu du jour: les effets étonnants sur le corps d’une course sur (très) longue distance. A lire ici.
Travaux pratiques
Le compte à rebours est lancé! Il reste cinq semaines avant mon trip londonien. Autant dire pas grand-chose sachant que je suis censé lever le pied les 15 derniers jours. Une phase de repos indispensable pour remettre les pendules biologiques à l’heure. Car avec 65 à 70 km dans les pattes chaque semaine, le corps se demande un peu ce qui lui arrive. Il peine à trouver la bonne carburation pour répondre en temps réel à cette demande énergétique inhabituelle. Un peu comme une usine qui devrait répondre à une énorme commande dans un délai serré et qui risque du coup à tout moment la rupture de stock des matières premières.
Un foutoir organique confirmé par une prise de sang de routine: créatinine au-dessus de la normale, transaminases en pagaille dans le foie, globules rouges un peu ramollos, vitamine D aux abonnés absents… A première vue, le bilan de santé fait un peu peur. « Rien de grave, m’a tout de fois rassuré le toubib, avec votre activité physique du moment, ces petits dérèglements ponctuels sont logiques. Tout le reste, cholestérol, etc., est impeccable. »
Et voilà comment on se retrouve sans rien demander à jongler avec le jargon médical sportif que l’on avait plutôt l’habitude d’entendre à la télé dans les affaires de dopage. Après tout, le corps est mon « instrument de travail », il est donc logique que je sache un peu comment fonctionne la tuyauterie. Le bon pilote de F1 est aussi un crac en mécanique.
Pour faire court, la créatine se déshydrate spontanément dans les muscles, et le résidu de cette transformation s’appelle la créatinine. Si elle est présente en trop grande quantité, cela veut dire que les muscles ont morflé. Les transaminases désignent pour leur part des enzymes présentes surtout dans le foie (ALAT) et les muscles (ASAT), en particulier le coeur. Là encore, un surplus d’ALAT peut faire craindre le pire (cancer, hépatites, etc.). Mais aussi résulter simplement d’une débauche physique. Quant aux globules rouges, tout le monde connaît. Reste la vitamine D qui, contrairement à ses cousines A, B, C, etc., ne se cache pas dans les brocolis ou les bananes mais bien dans les rayons du soleil. A l’état naturel elle est donc plutôt rare en hiver sous nos latitudes. Cette carence n’a donc rien à voir avec mes séances de torture.
Quelques boîtes de compléments alimentaires (vitamines et enzymes) et un supplément de viande rouge dans l’assiette (ou des oeufs) devraient remettre tous ces curseurs dans le vert avant le rendez-vous du 26 avril. Y a intérêt à ce que ça marche parce que le marathon en lui-même va malmener tous les organes, du coeur à l’estomac en passant par les reins. Autant dès lors ne pas partir avec un handicap. No pain no gain…
On referme le dossier médical et on revient sur le terrain sportif. Je terminais mon billet la semaine dernière en me demandant comment j’allais gérer le virage délicat des 30 km. Tout s’est bien passé… pour la bonne et simple raison que je me suis arrêté à 24. Stoppé net non par la fatigue ou une blessure mais pas l’horloge.
Sauf à vivre en ermite, il n’est pas toujours simple de dénicher deux à trois heures tous les dimanches dans l’agenda familial. La vie ne s’arrête pas parce que je me suis lancé un défi chronophage. Parti un peu tard -enfin, tout est relatif, 9h pour un dimanche, ce n’est pas comme si j’avais fait la grasse matinée-, je n’ai eu que deux heures montre en main pour m’entraîner. Assez pour me rassurer sur mon état de forme mais insuffisant pour aller chatouiller cette barre psychologique et métabolique des 30 bornes. A me demander si je ne suis pas parti inconsciemment exprès trop tard.
Après un samedi placé sous le signe du fractionné intense (8 fois 1000 mètres à 95 % de ma fréquence cardiaque maximale, le premier bouclé en 3’45 », le dernier en 3’30 », ce qui est plutôt bon signe), je redoutais le retour de flamme musculaire le lendemain. Enchaîner une séance d’intervalles avec une sortie très longue, c’est comme se taper une choucroute après un bolo. La probabilité que ça finisse en nausée est grande…
Ayant retenu la leçon du dimanche précédent (pour rappel, une cadence trop élevée qui m’a fait voir des petites chandelles pendant quelques heures), j’ai démarré mon parcours en première. Direction: l’anneau du Bois de la Cambre. Un bon 5 km pour aller, le temps de chauffer le moteur diesel. Sur place, au milieu des hordes scouts qui préparent les 24h vélo à « corps » et surtout à cris, j’ai enclenché la deuxième. Un, deux, trois, quatre, cinq tours et puis s’en va, horloge sur la tempe oblige. J’en étais alors à 19km et tout se déroulait sans encombre. Foulée souple, respiration fluide… Un vrai Kényan.
Sur le retour, je me sentais tellement bien que je me suis autorisé une accélération sur la longue ligne droite du boulevard du Souverain. De quoi monter jusqu’à 4′ au kilomètre et tirer ma moyenne sur tout le tracé complet à 5′. Comme quoi, partir moins vite ne veut pas dire arriver plus tard. Pour une allure identique, je me suis senti beaucoup mieux qu’une semaine plus tôt. Savoir doser l’effort est la clé du succès. Il faudra que je l’inscrive sur mon bras à Londres…
Cet état de grâce a tempéré quelque peu ma frustration de ne pas avoir attrapé la floche. Car pour la première fois, j’ai réellement senti les effets bénéfiques de l’entraînement accumulé depuis deux mois. Comme après un rodage, chaque piston chantait une douce mélodie.
C’est donc un peu rassuré que j’ai attaqué le reste du programme hebdomadaire: footing décontracté le mardi, chapelet de semi-sprints (12 x 1′) le jeudi. Un apéritif avant le week-end chargé qui m’attend: cette fois, je n’y couperai pas, je dois mettre le cap sur les 30. Il reste trois dimanches « utiles » avant de lever le pied, il est donc grand temps d’entrer dans le vif du sujet!
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