Loena Hendrickx: « Patiner sur de la musique, ce n’est pas la même chose que danser »
Vendredi, le jour de son 22e anniversaire, Loena Hendrickx disputera le freestyle court du Grand Prix de Turin. Une répétition importante en vue des Jeux Olympiques de Pékin, qui se tiendront en février 2022. Après une cinquième place aux derniers Mondiaux, ceux-ci doivent constituer l’apothéose d’une carrière durant laquelle elle a connu autant de hauts que de bas.
L’entraînement de Loena Hendrickx se prolonge encore une vingtaine de minutes lorsque nous pénétrons dans la toute nouvelle patinoire de Deurne. Il fait un peu frisquet lorsqu’on n’a revêtu qu’une chemise, mais on se réchauffe rapidement en constatant le sourire et la passion dont fait preuve la patineuse artistique, suivie de près et filmée par son chorégraphe Adam Solya. Une confirmation des messages que Hendrickx avait postés sur Instagram ces derniers mois, soulignant souvent à quel point elle aime son sport. Par exemple: « Je n’ai besoin de rien d’autre, juste la sensation de glisser sur la glace! »
Ce n’est pas une coïncidence, dit la native d’Arendonk, lorsque nous prenons place dans la cafétéria du Sportoase après son entraînement. « Tout au long de ma carrière, j’ai été minée par les blessures. Quand j’avais douze ans, je me suis retrouvée sur la touche pendant six mois. Durant mon adolescence, encore six mois supplémentaires. Et après les Jeux de 2018, j’ai souffert de plusieurs blessures au dos, d’une fracture de stress, d’une cheville tordue, d’une déchirure des ligaments et d’une tendinite à mon autre cheville. Au printemps 2020, le confinement du corona est venu s’ajouter à tout cela… »
Pourquoi êtes-vous autant amoureuse du patinage artistique?
LOENA Hendrickx: Parce que c’est un sport très complet: un mélange de physique, de technique, de sens de la musique et de la performance… Sans oublier la force mentale nécessaire pour réaliser ce pourquoi vous vous êtes entraîné pendant des mois pendant quatre minutes, seule sur la glace, devant des tribunes pleines.
A-t-on tendance à sous-estimer la performance?
Hendrickx: Absolument: une compétition, c’est 30% de préparation et 70% dans la tête. Je connais de nombreux patineurs qui sont aussi bons que moi à l’entraînement, mais qui ne sont pas capables de performer en compétition.
« J’essaie de ne pas me soucier de ce que disent les jaloux »
Vous avez été harcelée à l’école primaire. Dans quelle mesure cela a-t-il joué un rôle dans votre développement mental?
Hendrickx: Cette période m’a profondément affectée, elle m’a marquée à vie. Lorsqu’on se moque de vous, alors que vous n’êtes encore qu’une jeune fille, ce n’est forcément pas agréable. Par pure jalousie, parce qu’il m’arrivait d’apporter un trophée à l’école le lundi ou d’être absente un jour parce que je devais participer à une compétition. Aujourd’hui, je sais que j’ai déjà accompli beaucoup plus que ces filles-là. C’est pourquoi j’essaie de ne pas me soucier de ce que disent les jaloux. Je me dis que je dois réaliser mon rêve, sans que d’autres ne puissent le gâcher.
Vous pouvez ajouter un attrait supplémentaire grâce à votre maquillage, ce qui vous fera apparaître comme une diva, dans le sens positif du terme, sur la glace. Faites-vous quelque chose de spécial?
Hendrickx: Depuis mon plus jeune âge, je m’en suis toujours chargée moi-même lors des grands tournois, car mes parents ne pouvaient jamais m’accompagner: c’était beaucoup trop cher. Au fil des ans, j’ai appris à maîtriser de mieux en mieux ces techniques de maquillage, en partie en regardant des tutos sur YouTube. À quatorze ans, j’étais encore une débutante dans ce domaine, mais maintenant je suis rodée. J’y consacre beaucoup de temps: jusqu’à près d’une heure et demie, en comptant ma coiffure.
Et le sens de la musique? Est-il naturel, chez vous?
Hendrickx: Non, car patiner sur de la musique, ce n’est pas la même chose que danser. Sur la piste de danse, je me sens même mal à l’aise. Mais j’aimerais quand même participer à DanseaveclesStars.
Votre choix de musique est étonnant: jamais de musique classique, mais de puissantes ballades pop de Madonna ( Frozen) et Céline Dion ( It’sAllComingBacktoMe). Et maintenant Caruso de Lara Fabian pour votre freestyle court, ou encore un mix de musique orientale pour votre freestyle long.
Hendrickx: Je n’ai jamais été la patineuse artistique la plus gracieuse, avec des jambes parfaitement tendues et de longues lignes. Mes mouvements puissants et mon charisme conviendraient mieux à une musique différente. Mais qui sait, dans les années à venir, je pourrais essayer quand même, pour me lancer un défi. Tout comme je suis sortie de ma zone de confort avec la musique orientale.
« Où une enfant russe trouve-t-elle toute cette force pour sauter comme un homme? »
De cette façon, vous compensez en partie vos lacunes techniques face aux patineuses russes de haut niveau.
Hendrickx: Le patinage artistique ne consiste pas uniquement à effectuer des triples axels. Ce n’est pas parce que vous êtes capables de sauter que vous pouvez reproduire un joli tableau musical.
A-t-on accordé trop d’importance à ces sauts dans les cotations?
Hendrickx: C’était le cas jusqu’à il y a quelques années, lorsque les Russes exécutaient tous leurs sauts difficiles dans la deuxième partie de leur freestyle, parce qu’ils obtenaient alors des points bonus. L’Union internationale de patinage est alors intervenue et a imposé une répartition des sauts sur l’ensemble du freestyle. C’était à mon avantage.
Comment les Russes parviennent-elles à réaliser tous ces quadruples sauts extrêmement difficiles?
Hendrickx: Je me pose aussi la question. Certaines d’entre elles y parviennent même dès l’âge de douze ans. Je me demande quand même: où une enfant trouve-t-elle toute cette force pour sauter comme un homme? C’est étrange… Bien sûr, elles sont entraînées dès leur plus jeune âge. Elles ne peuvent pas manger n’importe quoi, à l’exception de compléments alimentaires farfelus. Ça ne peut pas être sain… Je ne voudrais pas vivre comme ça.
Que pouvez-vous encore apprendre en termes de technique?
Hendrickx: L’été dernier, j’ai travaillé sur un triple axel, mais cette saison, je ne vais pas le réaliser en compétition. C’est impossible de le maîtriser parfaitement en quelques mois. Je préfère ne pas prendre de risques, notamment pour éviter les blessures. Il en va de même pour les quadruples sauts. Maintenant, je veux surtout perfectionner mes sauts actuels et améliorer mon score. En augmentant, par exemple, la vitesse entre les sauts, avec des pas plus grands.
« Je me suis longtemps battue avec mon image »
C’est là qu’intervient l’aspect physique, souvent sous-estimé du patinage artistique?
Hendrickx: Je ne l’ai pas encore mesurée, mais je soupçonne que ma fréquence cardiaque à la fin d’un long exercice se situe entre 160 et 200. La tension sur les tendons et les muscles est également très importante. Surtout lors des sauts, où vous devez supporter trois fois votre poids sur une lame très fine, et sur une seule jambe.
Quel pourcentage de votre préparation consacrez-vous à l’entraînement physique?
Hendrickx: Presque la moitié, dix à quinze heures par semaine. Exercices cardio, puissance, explosivité, équilibre. Il faut trouver le juste milieu, car je ne dois pas trop me muscler, surtout dans le haut du corps, si je veux effectuer toutes les rotations rapidement.
Et trouver le juste milieu en matière d’alimentation, aussi…
Hendrickx: Je me suis longtemps battue avec mon image. J’ai toujours comparé mes jambes musclées et mes larges épaules avec celles de Russes, dont les bras et les jambes sont très fins. Dans les mois qui ont précédé le confinement de 2020, j’ai même souffert du syndrome RED-S, un manque d’énergie relatif. En bref, je mangeais trop peu par rapport à ma consommation d’énergie. Ça n’allait pas jusqu’à l’anorexie: je ne comptais pas chaque calorie et je mangeais même parfois un morceau de chocolat. Mais je compensais en mangeant moins le reste de la journée.
Que pourrait apporter ce meilleur équilibre, dans tous les domaines, aux Jeux d’hiver de Pékin, après une cinquième place aux championnats du monde?
Hendrickx: Compte tenu de la crise sanitaire, il s’agissait d’un championnat du monde spécial, sans grandes compétitions au préalable. L’aspect mental a joué un rôle encore plus important. Cet hiver se passera, espérons-le, normalement. Cela changera-t-il la donne pour les Jeux? A priori, les Russes sont intouchables. J’espère une place parmi les huit premières, mais je ne suis pas vraiment préoccupée par ce résultat pur. Je ne me concentre que sur moi-même, pour qu’à Pékin je puisse réussir ma meilleure prestation et ne pas avoir de regrets.
Son frère Jorik comme coach
Après avoir travaillé ensemble pendant pas moins de seize ans, LoenaHendrickx et son entraîneuse CarineHerrygers se sont séparées l’été dernier. Son frère Jorik (29 ans), qui coachait déjà sa soeur à temps partiel aux côtés de Herrygers, est donc devenu son entraîneur principal. « Comme Jorik est plus créatif à l’entraînement et qu’il était plus impliqué avec moi en dehors de la patinoire, je penchais de plus en plus vers lui la saison dernière », explique Loena. « Carine a alors décidé de faire un pas de côté, et une semaine plus tard, elle s’est complètement retirée.
C’est dommage que cela se termine de cette façon, mais Carine a pris un autre chemin et au final, je ne retiens que le positif. Je m’entends très bien avec Jorik. Un entraîneur-né, qui a l’expérience du milieu, en tant qu’ancien patineur artistique de haut niveau. Il est strict et exigeant, aussi. Même si c’est mon frère, je n’ai aucun problème à l’écouter. Il est le patron, mais il écoute beaucoup. Nous n’avons pas eu une seule dispute ( Ellerit). »
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