Little Big Man

Le Jeune Pro de l’Année semble encore avoir acquis une dimension supérieure. Même s’il s’en défend, il est devenu une pièce maîtresse du Sporting.

Voici 15 jours, Lucas Biglia avait éclaboussé de sa classe le match aller de Ligue des Champions contre Fenerbahçe, à Istanbul, malgré un coup reçu le week-end précédent contre Lokeren. Trois jours plus tard, il avait fait l’impasse sur le match à Dender par mesure de prudence, et on a vu le résultat. Le jeune Argentin est trop modeste pour se mettre verbalement en exergue, mais le fait est là : celui qui a été élu Jeune Pro de l’Année est devenu une pièce-maîtresse du Sporting d’Anderlecht. L’échographie qu’il a passée en début de semaine dernière l’a rassuré : plus de peur que de mal, sa blessure n’est plus qu’un mauvais souvenir. Les Mauves auront bien besoin de ses services, ce soir, s’ils veulent se qualifier pour les poules de la Ligue des Champions.

Ce match retour contre les champions de Turquie, est-ce le match le plus important de l’année ?

LucasBiglia : Oui, on peut dire cela. Car le résultat aura une incidence directe sur l’avenir du club, à court terme en tout cas.

Pourriez-vous imaginer disputer la Coupe de l’UEFA ?

Non, je ne veux pas y penser. La deuxième mi-temps que nous avons disputée en Turquie a laissé entrevoir des possibilités. Il y a moyen de se qualifier.

Comment voyez-vous le match retour ?

Ce sera un match difficile, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. L’équipe turque a beaucoup d’expérience. Nous devrons essayer de reproduire le jeu que nous avons développé après la pause, sur les bords du Bosphore, période durant laquelle nous avons dominé la partie.

Comment expliquez-vous cette différence entre la première et la deuxième mi-temps ?

En première mi-temps, on s’était montré trop attentiste. On a laissé jouer l’adversaire. Fenerbahçe possède beaucoup de joueurs techniques dans l’entrejeu, dont les Brésiliens. Ils ont fait circuler le ballon et on a couru derrière.

 » Anderlecht est supérieur à Fenerbahçe « .

En deuxième mi-temps, vous vous êtes montrés plus entreprenant. Parce qu’à 1-0, il n’y avait plus rien à perdre et qu’il fallait à tout prix marquer ?

Non, on s’est simplement rendu compte qu’on devait s’imposer comme équipe et démontrer qu’on était également capable de bien jouer au football. Ce qu’on a fait.

Au début, il y avait donc trop de respect pour l’adversaire ?

Je pense que oui, en effet.

A cause de l’ambiance, de la réputation de l’adversaire, des noms ronflants qui composaient l’équipe turque ?

Non, je pense qu’on attendait simplement de voir dans quelles dispositions tactiques et mentales l’adversaire allait aborder le match. On était un peu dans l’expectative. C’était un round d’observation, comme on dit on boxe, mais qui s’est prolongé jusqu’à la mi-temps.

Ce comportement attentiste n’était donc pas dicté par les consignes de Frankie Vercauteren ?

Non, pas du tout. C’était plutôt la faute des joueurs. Par la suite, on a pris plus d’initiatives. On s’est créé des occasions, surtout pendant les 15 ou 20 premières minutes de la deuxième mi-temps, mais malheureusement on n’a pas su les concrétiser. Le gardien a sorti quelques arrêts de classe. Puis, le rythme du match a de nouveau baissé. Chez nous, avec l’appui du public, on devrait être capable de reproduire ce football offensif avec plus de constance, en espérant que la réussite sera au bout de l’effort.

1-0, c’est un résultat piège ?

Oui, tout à fait. Mais il laisse malgré tout de belles perspectives. Je suis confiant.

Quelle sera la clef du match ?

Il faudra rester serein, croire en nos chances et oser entreprendre. On a un but à remonter, mais il ne faudra pas s’énerver. On doit, au contraire, se persuader qu’on a autant de qualités que l’adversaire.

Fenerbahçe vous a-t-il impressionné au match aller ?

Pas vraiment. Je savais ce qu’on pouvait attendre de ce genre d’adversaire. On connaissait la qualité des joueurs qui composent l’équipe turque, mais je pense qu’Anderlecht est supérieur.

Quelle fut votre réaction au moment du tirage au sort ? Lorsqu’on est tête de série, on s’attend tout de même à un rival plus aisé ?

Oui, peut-être. Mais lorsqu’on s’engage en Ligue des Champions, il faut être prêt à affronter n’importe quel adversaire. Le sort nous a réservé Fenerbahçe, il faut s’en accommoder. De toute façon, on n’a pas le choix. Et si on a la chance de se qualifier, il faudra s’attendre à d’autres équipes très difficiles dans les poules.

 » On ne peut pas laisser les Turcs faire joujou avec le ballon « .

Beaucoup de noms ronflants composent l’équipe de Fenerbahçe…

Oui, des joueurs connus dans le monde entier et dont la carrière incite au respect, comme Roberto Carlos, Mehmet Aurelio ou Mateja Kezman. Mais, lorsqu’on monte sur le terrain, on ne peut pas penser à cela. On doit simplement défendre à fond les couleurs du club qu’on représente.

Fenerbahçe, c’est aussi un budget quatre fois plus important que celui d’Anderlecht…

Je l’ai lu, en effet. Mais le football se joue sur le terrain, pas dans les banques. Même si la puissance financière d’un club influence directement sa politique de transferts.

Quel est le joueur le plus dangereux, à vos yeux ?

On aurait tort de se focaliser uniquement sur un joueur. Il y a des joueurs qui manient très bien le ballon, comme Mehmet Aurelio, mais il faut se méfier de tout le monde, sans pour autant être paralysé par l’évocation de ces noms.

Anderlecht a subi la loi de l’adversaire dans l’entrejeu…

Oui, parce qu’on n’a pas exercé de pressing sur l’adversaire. On l’a laissée jouer, et à partir de là, cela devient effectivement très difficile. Quand on affronte des joueurs à la technique aussi affûtée, on ne peut pas les laisser faire joujou avec le ballon car ils se régalent.

Si vous n’avez pas exercé de pressing, est-ce parce que les qualités techniques de l’adversaire vous en empêchaient ?

Non. On a simplement eu le tort de reculer, et en laissant l’initiative à l’adversaire, on s’est nous-mêmes compliqué la tâche. Au repos, l’entraîneur a remis les choses au point et on a abordé la deuxième mi-temps avec beaucoup plus d’entrain.

Vous-même, vous avez livré un grand match…

( Unpeugêné) Si vous le dites…

Vous n’étiez pas impressionné par l’ambiance, vous avez connu pire en Argentine ?

Peut-être, mais il ne faut pas attacher d’importance à cela. Ce que je retiens, c’est qu’on a perdu, et à partir de là, il ne faut pas trop s’attarder sur une prestation individuelle, fut-elle de qualité.

Il n’empêche, tout le monde a souligné le fait que vous avez tenu la dragée haute à des rivaux prestigieux. Est-ce lié à la confiance, à la forme physique, à la motivation qui vous habite actuellement ?

La motivation doit toujours être présente, à fortiori dans un match pareil. Si l’on n’est pas motivé lorsqu’on joue en Ligue des Champions, on ne le sera jamais. Toute l’équipe a envie de se qualifier, puis de réaliser de meilleures prestations dans les poules que la saison dernière. Mais pour y parvenir, il faut beaucoup travailler.

 » Le rôle de Polak et le mien sont différents « .

En principe, les objectifs sont fixés par ordre chronologique : d’abord se qualifier pour la Ligue des Champions, puis essayer de faire bonne figure dans les poules, et enfin essayer de conquérir un nouveau titre de champion ?

C’est une manière de voir les choses, mais je pars du principe que le match le plus important est toujours celui à venir. C’est bien de se dire qu’il faut absolument se qualifier pour les poules de la Ligue des Champions, mais si on continue à gaspiller des points en championnat, on risque d’être largué par plusieurs équipes et d’être contraint à une course-poursuite effrénée.

Vous avez un nouveau compagnon dans l’entrejeu : Jan Polak. Avant l’aller à Fenerbahçe, vous n’avez eu qu’un match de championnat, contre Lokeren, pour rôder vos automatismes. Etait-ce suffisant ?

Nous n’avions pas le choix. En tant que professionnel, il faut s’adapter aux circonstances. Jan Polak est un très bon joueur, c’est un renfort pour l’équipe. Je ne veux pas chercher d’excuses dans un éventuel manque d’automatismes. L’international tchèque s’est adapté très rapidement. Maintenant, il est clair que plus on jouera de matches ensemble, mieux ça ira. Mais le football moderne ne laisse pas un grand temps de rodage, les rendez-vous importants s’enchaînent à une cadence effrénée.

Comment vous voyez-vous fonctionner avec Jan Polak ?

Bien. Entre bons joueurs, on doit forcément s’entendre. On a un peu modifié le dispositif : Jan a été légèrement déplacé vers la droite à Istanbul et j’occupais une position plus centrale. Nos rôles respectifs sont différents.

Quel est votre rôle en particulier ?

Celui que je remplissais déjà la saison dernière : je dois donner le meilleur moi-même, me mettre au service de l’équipe et faire en sorte que mes partenaires bénéficient de mon activité.

On parle beaucoup de box-to-box actuellement. C’est devenu un terme à la mode…

Oui, on peut le dire.

Vous-mêmes, n’êtes-vous pas également un box-to-box ?

Si, bien sûr. Je suis capable de défendre, d’attaquer. Mais je dois encore progresser dans tous les domaines.

 » Frutos est devenu un des leaders « .

Actuellement, Anderlecht semble éprouver des problèmes à la concrétisation. L’absence de Nicolas Frutos est-elle à ce point préjudiciable ?

C’est quand il n’est pas là qu’on se rend compte à quel point Nico est important, mais c’est un peu réducteur d’expliquer le manque d’efficacité de l’équipe uniquement par son absence. Tout comme il serait injuste de jeter uniquement la pierre aux attaquants. S’ils ont moins marqué, c’est peut-être aussi parce qu’ils ont reçu moins de bons ballons. On doit tous se remettre en question.

Mais Frutos reste un joueur important ?

Bien sûr, et j’espère qu’on pourra compter sur lui le plus rapidement possible.

Pouvez-vous préciser son apport ?

Nico exerce une grande influence sur toute l’équipe, aussi bien sur le terrain que dans les vestiaires. Il est devenu l’un des leaders, au même titre que Daniel Zitka, Olivier Deschacht ou Bart Goor. Son influence se répercute bien au-delà des limites de la pelouse. Et sur le terrain, il est important pour sa présence, pour l’attention qu’il sollicite de la part des défenseurs adverses. On le serre de près et il libère des espaces pour les autres. Il rassure, également. On sait qu’il est toujours capable d’inscrire des buts importants, c’est un privilège de pouvoir compter sur un partenaire aussi efficace en zone de conclusion.

Et vous-même ? On a l’impression que vous avez encore acquis une dimension supérieure ?

Je progresse, petit à petit. J’apprends des choses nouvelles tous les jours. Je ne suis peut-être pas encore assez efficace, mais cela viendra. C’est aussi une question d’expérience, je suis encore jeune.

Vous avez désormais une saison en championnat de Belgique derrière vous. Votre adaptation est donc faite ?

J’ai déjà beaucoup appris durant cette première saison en Belgique et je continue d’apprendre : en match, à l’entraînement, dans la vie de tous les jours.

Soyons clair : vous êtes devenu un joueur très important pour Anderlecht. Un joueur-clé, pourrait-on dire…

N’exagérons rien. Il y a beaucoup de joueurs importants à Anderlecht, mais je demeure convaincu que l’individualité la plus importante, c’est le collectif.

Il n’empêche : vous n’étiez pas présent à Dender et on a vu le résultat…

Ne faites pas de moi une pièce indispensable de l’édifice. L’équipe était parfaitement capable de s’imposer à Dender sans moi. Après avoir mené 0-2, on a concédé deux buts, certes jolis mais évitables, puis on s’est cassé les dents sur un adversaire hyper-motivé. Ce sont deux points précieux qu’on a abandonnés, et il faudra les récupérer ailleurs. Il ne sert à rien de s’appesantir sur le passé. Il faut regarder devant et corriger les erreurs.

 » J’ai été adopté très rapidement « .

En tout cas, vous êtes en train de justifier votre titre de Jeune Pro de l’Année…

Cette élection m’a fait très plaisir. Elle a peut-être contribué à accentuer ma confiance sur le terrain, mais pas uniquement. Cette confiance m’a également été insufflée par l’entraîneur, qui m’aligne régulièrement, et par mes partenaires, qui croient en mes capacités.

C’est important d’être reconnu par ses pairs ?

Oui, tout à fait. J’en ai été d’autant plus flatté que c’était ma première saison en Belgique. J’ai donc été adopté très rapidement.

Avez-vous été surpris ?

Oui, un peu. En fait, je ne savais même pas que ce trophée existait. En Argentine, on élit seulement le meilleur footballeur de la saison, mais il n’y a pas différentes catégories, comme ici.

C’est votre premier trophée individuel ?

Oui, tout comme le titre de champion de Belgique conquis en mai était mon premier titre national. Au niveau des clubs, en tout cas, puisque j’ai aussi été champion du monde des -20 ans avec l’Argentine. Cette distinction constitue surtout pour moi une motivation à travailler encore davantage, pour continuer à m’améliorer.

Votre première saison en Belgique n’a engendré que du positif ?

Oui. Ce départ pour l’Europe était un peu un saut dans l’inconnu. Je me suis directement imposé, j’ai gagné le respect du staff technique, de mes partenaires et de mes adversaires. J’ai remporté le titre, j’ai décroché un prix individuel. Je ne peux pas me plaindre. Mais je ne compte pas m’endormir sur mes lauriers. Je veux encore aller de l’avant.

Vos parents vous ont-ils déjà rendu visite en Belgique ?

Non. On communique régulièrement par téléphone ou par internet, mais ils n’ont pas encore trouvé l’occasion de venir me rendre visite. Ils sont très contents de ce qui m’arrive. J’ai quatre frères, dont trois jouent également au football : c’est difficile de consacrer du temps à tout le monde.

Votre fiancée, en revanche, est présente ?

Oui, elle est à mes côtés. Sa présence m’est précieuse.

Vous n’en avez jamais parlé depuis votre arrivée en Belgique, mais vos beaux-parents avaient été séquestrés lors d’un home-jacking à Buenos Aires. Ce sont ces souvenirs-là qui vous étaient apparemment revenus en mémoire lorsque vous avez pleuré après avoir converti un penalty contre le Brussels, lors du match qui a offert le titre à Anderlecht la saison dernière ? Ces mauvais souvenirs appartiennent désormais au passé ?

( Leregarddanslevide). On s’en remet, oui. Même si c’est difficile à oublier. Ce sont les aléas de la vie.

La sécurité relative qui règne à Bruxelles, par rapport à l’Amérique du Sud, vous fait-elle apprécier davantage la vie en Belgique ?

On s’y sent plus tranquille, effectivement. On risque moins d’être agressé. On ne s’en rend pas toujours compte, mais par rapport à ce que j’ai connu, c’est très calme ici.

par daniel devos

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