« Les Lions n’ont pas de joueurs de classe mondiale comme Ann et Emma »
Pour les Belgian Lions, ce sera compliqué d’égaler les performances de leurs homologues féminines : en juin, les Cats ont remporté la médaille de bronze au Championnat d’Europe à Prague. Le distributeur Sam Van Rossom est cependant doublement motivé au moment de s’envoler pour Istanbul : il espère faire mieux que sa copine.
Voilà trois ans que Jana Raman (26 ans) et Sam Van Rossom (31 ans) forment un couple de sportifs de haut niveau. Ils sont tous les deux internationaux en basket. Leur relation n’est cependant apparue au grand jour que cet été, lorsque Van Rossom est apparu, déguisé en supporter, dans les tribunes de l’O2 Arena de Prague pour les demi-finales du Championnat d’Europe où Raman se produisait avec les Belgian Cats. « Je savais que Sam avait prévu quelque chose », raconte Jana. « Mais lorsque j’ai vu trois Power Rangers en train d’agiter le drapeau belge dans les tribunes, je me suis dit : ce n’est tout de même pas Sam ? Eh bien, si ! Les autres filles ont éclaté de rire. »
Elles n’ont pas ri très longtemps, car les Cats ont été balayées par les futures championnes d’Europe espagnoles en demi-finale. Mais elles se sont rattrapées dans le match pour la 3e place face à la Grèce. C’était la première fois qu’une équipe nationale belge de basket remportait une médaille lors d’un grand tournoi.
À partir de vendredi, ce sera à Van Rossom de prendre possession du parquet. À Istanbul, les Belgian Lions participeront à leur 4e Championnat d’Europe d’affilée. Le distributeur, arrivé en fin de contrat avec Valence (champion d’Espagne pour la première fois), a bien failli louper l’événement. Au printemps, il s’est blessé au genou, a loupé les play-offs espagnols et a dû entamer une véritable course contre la montre pour être prêt à temps pour le grand rendez-vous international. Une course qu’il a gagnée, bien qu’on lui ait prédit trois mois de revalidation, grâce à un travail intensif auprès de Lieven Maesschalck. Et les Lions auront bien besoin de leur leader.
Sam, tu attends quoi de ce Championnat d’Europe ?
VAN ROSSOM : On a été versés dans un groupe très relevé, probablement le plus relevé des quatre dernières éditions. On commence par la Grande-Bretagne qui est, en principe, l’adversaire le plus accessible. Il faudra donc être au top dès le départ, et ce n’est pas nécessairement un avantage car les Britanniques tiendront le même raisonnement. Si l’on perd ce match, la suite de l’EURO risque d’être déjà compromise. On est bien placés pour en parler : on a vécu le même cas de figure lors de notre premier EURO en Lituanie (2011, ndlr). On a perdu nos trois premiers matches et la motivation a disparu pour la suite de la compétition. La campagne de préparation a démontré que, dans un bon jour, on peut ennuyer tout le monde : on a battu l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, on a des qualités.
Pour toi, ce Championnat d’Europe doit être une vitrine : tu cherches un nouveau club.
VAN ROSSOM : Effectivement, pour l’instant, je n’en ai plus (il grimace). J’étais bien à Valence, j’y ai passé quatre belles années. Dommage que je doive partir au moment où le club a conquis son billet pour l’Euroligue, un objectif qu’il poursuivait depuis longtemps. Mais c’est la dure loi du sport. Je l’avais un peu senti venir. Ces problèmes de genou m’ont coûté cher, c’est clair. C’est ce même genou qui m’avait déjà causé du souci dans le passé et m’avait obligé à passer dix mois sur la touche en 2015-2016. Ça a refroidi les candidats. Je veux démontrer à l’EURO que j’ai retrouvé mon meilleur niveau. Il y a déjà des contacts avec quelques clubs étrangers. En principe, je n’ai pas encore l’intention de rentrer en Belgique, mais on verra bien. Je n’ai pas envie, non plus, de rester sans club pendant trois mois.
JANA RAMAN : Pour moi, la prochaine saison sera placée sous le signe du Championnat du Monde qui aura lieu en Espagne en septembre de l’an prochain. Je veux devenir une valeur sûre chez les Cats. Je devrais y parvenir grâce à des entraînements plus intensifs. Cette année, pour la première fois de ma carrière, je serai professionnelle aux Kangoeroes de Willebroek. Ce sera la première fois qu’une équipe nationale belge participera à un Championnat du Monde Senior, ce sera donc un événement unique. Je n’ai jamais travaillé autant que cet été.
VAN ROSSOM : Un tel événement ne se reproduira peut-être plus jamais, il faut donc en profiter. En ce qui concerne les Lions, on entame notre campagne de qualification pour le Championnat du Monde en novembre, mais ça s’annonce compliquée. Notre chance réside peut-être dans le fait que les clubs de NBA et d’Euroligue refuseront de libérer leurs joueurs pour ces dates qui tombent en plein milieu de la saison. Les grands pays seront donc privés de leurs meilleurs éléments. Mais, d’un autre côté, c’est dommage car ça dévalue un peu ces matches internationaux. Ces joueurs seront au centre d’un conflit qui oppose, depuis plusieurs années, la FIBA et l’Euroligue. Les joueurs prendront forcément parti pour leur employeur. Déjà, les calendriers sont surchargés : on dispute 70 matches chaque année, parfois 80 ou 90 si on ajoute l’équipe nationale. Ce rythme d’enfer est difficile à gérer physiquement.
Entraînement cérébral
Jana, c’était la folie en Belgique après l’exploit des Belgian Cats. Subitement, tout le monde a appris à connaître les noms des basketteuses belges. Tu t’en rends compte ?
RAMAN : Je commence à réaliser. En août, les Cats ont effectué un mini-stage et on a pu découvrir notre popularité toute récente. En novembre, on dispute les qualifications pour le Championnat d’Europe 2019. Je dois reconnaître que, ces deux derniers mois, j’ai régulièrement visionné les images de l’EURO à Prague. Mon père a tout enregistré. Ce qu’on a vécu est complètement fou. Sam n’a encore jamais remporté le moindre trophée pour son pays, alors qu’il était au sommet avec son club de Valence. Même Ann Wauters n’avait encore jamais remporté de médaille avec la Belgique, alors qu’elle a tout gagné avec ses différents clubs.
VAN ROSSOM : Défendre les couleurs de son pays, ça reste quelque chose de spécial. Surtout quand on joue à l’étranger, comme c’est mon cas depuis neuf ans. Chaque fois que l’on revient, on retrouve des amis. Les Belgian Lions forment vraiment une bande de potes. Et une partie d’entre eux jouent ensemble depuis près des sept ans.
RAMAN : De quoi rehausser les ambitions.
VAN ROSSOM : On joue notre quatrième EURO d’affilée, on attend donc beaucoup de nous. Et les joueurs en veulent aussi toujours plus. Aujourd’hui, on doit se battre pour sa place. Ce n’était pas le cas quand j’ai débuté.
Les ‘étrangers’ doivent porter l’équipe ?
RAMAN : Chez nous, il est clair qu’Ann Wauters et Emma Meesseman doivent porter l’équipe. Et quelque part, c’est logique étant donné leur statut.
VAN ROSSOM : À l’étranger, on apprend à jouer sous pression. Chez les Lions, il y a Jonathan Tabu, Axel Hervelle, Maxime De Zeeuw et moi. On apporte de l’intensité, on est habitués à disputer des compétitions de haut niveau. Et, en montrant l’exemple sur le terrain, on entraîne les autres dans notre sillage. Il n’y a pas besoin de beaucoup parler.
RAMAN : Emma n’est pas, elle non plus, une leader « verbale ». Elle est assez introvertie, mais elle tire l’équipe vers le haut par ses prestations. À l’EURO, on avait une psychologue du sport (Ellen Schouppe, également active chez les Red Panthers en hockey, ndlr). On a pu constater toute son importance lors de la préparation et pendant la compétition elle-même. On a eu des ateliers, pour nous préparer aux situations de stress et les anticiper. Et ça a porté ses fruits, on a souvent bien négocié les fins de matches.
VAN ROSSOM : Remporter une médaille alors que la majorité des filles disputait son premier EURO, c’est fou. Car, plus on avance dans la compétition, plus il y a de l’intensité. Si on n’y est pas préparé, on peut couler après cinq minutes. Lorsque Jana m’a parlé de ces ateliers, j’ai dû sourire au départ. Peut-être à cause de notre attitude macho : on considère souvent la présence d’un psychologue comme négative, on a l’impression qu’on ne peut résoudre les problèmes que nous-mêmes. Je n’ai été voir un psychologue qu’une seule fois. C’était à Valence, il y a deux ans. Mais il n’est resté que quelques mois, car le club ne lui laissait pas faire tout ce qu’il voulait. Malgré tout, j’estime que je lui dois beaucoup. J’étais en pleine phase de revalidation suite à ma blessure au genou. Il m’a expliqué que je devais aussi m’entraîner à la concentration. Il avait un appareil qui développait l’activité du cerveau en faisant bouger une petite balle. Au départ, je trouvais ça ridicule, mais j’ai essayé. Il m’a aussi fait visualiser certaines phases de match. Et, inconsciemment, je m’en suis servi après. C’est de l’entraînement cérébral.
RAMAN : La psychologue nous obligeait à fixer trois objectifs avant chaque match. Par exemple, si on s’était montrée imprécise lors du match précédent, il fallait fixer un nombre de tirs que l’on comptait réussir lors du match suivant. Ça favorise la concentration.
VAN ROSSOM : Mais il faut aussi pouvoir décompresser. Dans les clubs étrangers, les mises au vert sont très fréquentes. On se rend compte que ce n’est pas bon de rester enfermé trop longtemps dans sa chambre d’hôtel. Quand on a le temps, on essaye, avec quelques joueurs, d’aller se balader en ville. Ou de s’installer à une terrasse. Je ne dis pas boire des bières, hein ! Simplement, se libérer l’esprit. Si on est trop concentré, on est souvent pris par le stress.
Un grand tournoi permet de créer une dynamique de groupe ?
VAN ROSSOM : Il faut apprendre à vivre ensemble, en tout cas. Je pourrais citer de nombreux d’exemples d’équipes plus fortes que nous, qu’on a battues parce qu’il leur manquait cette dynamique de groupe. Les Belgian Lions ne peuvent d’ailleurs compter que sur leur collectif. On n’a pas de joueurs de classe mondiale, comme Ann et Emma chez les Cats. Aucun de nos joueurs ne joue en NBA, ni même en Euroligue. Alors que tous nos adversaires à l’EURO possèdent au moins un joueur en NBA et plusieurs joueurs en Euroligue. Mais si ces joueurs ne s’entendent pas, on peut les battre.
Nouvelles générations
Si les Cats peuvent s’appuyer sur leurs qualités offensives, les Lions doivent surtout bien défendre. Vous êtes d’accord avec ce constat ?
VAN ROSSOM : Oui, on doit miser sur notre énergie et notre agressivité défensive. Surtout en l’absence de Matt Lojeski, toujours capable d’inscrire 15 ou 20 points à chaque match. Sans lui, on sera encore plus dépendants de nos tirs à trois points. Il nous manque aussi un point d’ancrage dans la raquette comme Christophe Beghin avant. Kevin Tumba et Ismaël Bako sont des joueurs qui aiment courir, pas des pivots qui jouent dos à l’anneau. On doit donc jouer différemment.
RAMAN : Sur le plan offensif, les Cats avaient de nombreux atouts. On était adroites à distance, et avec Emma et Ann, on avait aussi de la taille à l’intérieur. Défensivement, ce duo faisait son travail également. On avait un très bon équilibre entre les qualités défensives et offensives. On n’a été balayées que par l’Espagne. Mais l’Espagne, c’est le top mondial. Alors que plusieurs de nos joueuses évoluent encore dans le championnat de Belgique. Comme moi par exemple.
Le niveau du basket féminin s’est fortement amélioré ces dernières années ?
RAMAN : On est plus rapides. Et deux générations de grand talent évoluent ensemble.
VAN ROSSOM : Deux joueuses belges en WNBA, cela ne se reproduira peut-être plus jamais. Comme nous n’aurons, sans doute, plus jamais deux joueuses de tennis du niveau de Justine Henin et Kim Clijsters. De temps en temps, il faut avoir la chance que tous les éléments soient réunis au même moment. Chez nous, la nouvelle génération est prometteuse également, avec Manu Lecomte, Retin Obasahan et Hans Vanwijn. Lecomte et Obasahan sont deux des rares talents belges qui ont réussi à s’imposer dans le championnat universitaire américain. Physiquement et mentalement, ils sont plus forts que les autres joueurs de leur âge. Les collèges américains, ce n’est pas le jardin d’enfants. On y apprend à supporter la pression, à jouer dans des salles remplies de 15.000 spectateurs.
RAMAN : Dans les rangs des Cats, Kim et Hanne Mestdagh ont été formées dans un collège américain, tout comme Serena-Lynn Geldof aujourd’hui. Mais je ne pense pas que Kim ait tellement appris aux États-Unis. Elle a surtout beaucoup progressé lorsqu’elle est devenue professionnelle aux Castors de Braine. J’ai aussi reçu des propositions des États-Unis, mais je n’en rêvais pas spécialement. J’ai toujours privilégié les études : obtenir un diplôme était pour moi primordial. Les chances de pouvoir vivre du basket féminin sont très minces. J’ai débuté comme podologue indépendante dès la fin de mes études. Avec le recul, je me dis parfois que j’aurais dû procéder différemment. Je serais peut-être arrivée plus loin dans le basket. Je constate que certaines filles gagnent plus à l’étranger, en jouant uniquement au basket, que moi en combinant le basket et le boulot. J’avais projeté d’aller jouer à Valence la saison prochaine, mais comme le contrat de Sam n’y a pas été prolongé, ce plan est tombé à l’eau.
La folie autour des Cats était plus grande que lors des participations précédentes des Lions au Championnat d’Europe. Comment vous l’expliquez ?
RAMAN : On a été très actives sur les réseaux sociaux. Une personne en particulier était chargée d’y veiller, mais on a aussi apporté notre contribution, avec le groupe. On a chacune reçu un compte, on a posté des photos et des vidéos. Ça a contribué à accroitre notre popularité. On sait d’où on vient : avant, on jouait à l’Arena de Deurne devant une vingtaine de spectateurs.
VAN ROSSOM : Une médaille de bronze crée forcément de l’effervescence et il faut en profiter. La fédération devrait aussi s’en inspirer.
Les Lions ont-ils loupé le train ?
VAN ROSSOM : En 2013, nous avons terminé 9e à l’EURO. Compte tenu de nos qualités, c’était une performance incroyable, car on ne pouvait pas rêver de médaille. Et, en 2015, on a battu la Lituanie… mais on n’a pas tiré profit de cet exploit. Il y a quelques années, on a logé dans le même hôtel que l’Ukraine, qui avait énormément investi avec, entre autres, l’engagement d’un coach réputé de NBA, Mike Fratello. À table, au petit déjeuner, les membres du staff étaient plus nombreux que les joueurs. On en a rigolé, mais il faut admettre que l’investissement a payé, puisque l’Ukraine s’est qualifiée pour le Championnat du Monde pour la première fois de son histoire. Un bon encadrement peut donc faire la différence. On ne peut jamais se satisfaire de ce que l’on a, et les joueurs doivent aussi apporter leur contribution.
par Matthias Stockmans
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