L’ACADÉMIE EN RUINES
Le nouveau coach n’a qu’une ambition : maintenir son club en D1.
Pour Beveren, le 3-5-2 novateur instauré par le nouvel entraîneur, Edy De Bolle, n’aura pas eu le même effet à Anderlecht (défaite 4-0) qu’une semaine plus tôt face à Westerlo (victoire 4-1). Souveraine devant les Campinois, la brigade légère ivoirienne n’a pas fait le poids contre des Sportingmen particulièrement en verve, qui auraient pu inscrire davantage de buts encore au gardien beverenois Davino Verhulst s’ils n’avaient pas péché par précipitation ou collectivisme exacerbé.
» Avec un entrejeu renforcé, nous aurions, en principe, dû priver les Mauves du ballon dans un secteur qui constitue quand même le centre névralgique de l’équipe « , explique De Bolle après coup. » En lieu et place, nous avons été étouffés par notre adversaire, non seulement sur cette portion du terrain, mais également dans toutes les autres zones « .
Depuis le départ de Marco Né à l’Olympiacos, Beveren est très largement tributaire du rendement de Junior. Or, celui-ci était aux abonnés absents au Parc Astrid. Sans leur guide, ses compatriotes ont tout simplement sombré et n’ont jamais réussi à déjouer un Anderlecht virevoltant.
Pour commencer, une chose nous tracasse : pourquoi écrit-on Edy et non Eddy comme tout le monde le pense ?
Edy De Bolle : Ou bien mon père était particulièrement inattentif au moment de m’inscrire à l’état civil, ou bien l’employé communal était particulièrement éméché. Ou bien les deux (il rit)…
Retour au jeu : pourquoi avoir troqué le 4-4-2 cher à Jean-Marc Guillou contre un 3-5-2 ?
Ce dispositif nous permet de réaliser le surnombre tantôt dans la ligne médiane, tantôt dans l’arrière-garde entendu que les deux joueurs de flanc, Fontenette et Badjan, épaulent automatiquement les trois défenseurs en cas de reconversion dans notre camp. Cette approche plus attentiste s’imposait, dans la mesure où, depuis le début de cette saison, nous n’étions encore jamais parvenus une seule fois à conserver le zéro au marquoir. Le FC Brussels était dans la même situation la saison passée et a fait de la corde raide jusqu’au bout. Pour avoir resserré les boulons depuis l’arrivée d’Albert Cartier, il s’est d’ores et déjà sauvé. C’est un exemple à méditer.
Changer son fusil d’épaule, à ce stade de la compétition, ne constitue-t-il pas un risque ?
Ce qui m’inquiète surtout, c’est notre manque de répondant physique. A l’occasion du stage hivernal, à Gérardmer, l’accent a été mis tout particulièrement sur le foncier. Depuis lors, malheureusement, cet aspect a été insuffisamment travaillé. Un footballeur se doit d’entretenir sa condition. Jean-Marc Guillou et Vincent Dufour étaient d’avis que les seules activités avec le ballon suffisaient pour conserver le fond nécessaire. Dans le football actuel, c’est un leurre. Depuis que j’ai repris l’équipe en mains, j’essaie de gommer ce manquement en prônant des séances de préparation plus longues. Et en veillant, surtout, à ne pas les interrompre à tire-larigot, comme le faisait mon devancier, pour exprimer ses directives. Car à chaque arrêt, les joueurs reprenaient évidemment leur souffle. Dans ces circonstances, ils n’éprouvaient bien sûr aucune difficulté à tenir la distance… à l’entraînement.
Au stade à vélo
Les joueurs vous disent plus pointilleux que votre prédécesseur ?
Je suis exigeant au plan de la discipline. Sur et en dehors du terrain. Tout d’abord, l’heure c’est l’heure, au grand dam de certains qui pouvaient parfois se permettre tout et n’importe quoi. Je suis moins enclin à frotter dans le sens du poil. Vincent Dufour avait parfois tendance à vouloir faire trop plaisir aux joueurs. Avec lui, l’entraînement devait être ludique. Il s’amusait aussi à botter lui-même les coups francs parce qu’il excellait davantage que ses ouailles en la matière. D’accord mais, sur le terrain, en compétition officielle, le coach n’est jamais là…
Comme joueur, vous avez eu une belle carrière. Quels sont les entraîneurs qui vous ont marqué ?
Chacun d’entre eux a ses mérites. Mais celui qui m’a le plus sidéré, c’est un homme que j’ai connu indirectement à Beveren : Arsène Wenger. En raison de notre collaboration avec Arsenal, j’ai eu l’opportunité de discuter avec lui à l’une ou l’autre reprise. Et c’était chaque fois édifiant. S’il y a une phrase que je retiens de lui, c’est : – Les bons joueurs sont toujours satisfaits de l’entraînement ; les moins bons jamais. Avec le recul, je me rends compte que tous les cracks que j’ai connus, aussi bien comme joueur que comme entraîneur, ne se plaignaient à aucun moment. Mais pour les seconds couteaux, il y avait toujours quelques chose à redire : soit la séance était trop longue, soit elle était trop corsée, et patati et patata. Mais j’ai connu quand même une exception confirmant la règle : Rob Rensenbrink. Dès qu’on allait au bois, il se cachait derrière un arbre et recollait au peloton lors de son dernier passage. Mais lui, c’était vraiment la classe mondiale ( il rit).
Nourrissez-vous à présent des ambitions en tant que coach principal ?
Pas du tout. Je suis prêt à aller au bout de ma mission cette saison, entendu qu’il reste peu de temps pour roder un nouvel entraîneur. Mais dès la campagne à venir, je serai à nouveau adjoint. A 56 ans, j’aspire à une stabilité que seul ce rôle-là garantit dans le monde du football. J’habite Willebroek, à 28 kilomètres du Freethiel, et je me rends tous les jours au stade à vélo. J’entends perpétuer cette habitude le plus longtemps possible.
Avez-vous le sentiment d’avoir le même impact auprès des joueurs ivoiriens que leur gourou, Jean-Marc Guillou ?
Je ne surprendrai personne en affirmant que le respect pour lui s’était un peu étiolé ces derniers mois. La preuve par Marco Né, qui avait négocié son transfert à l’Olympiacos sans en aviser son prétendu père spirituel. Ou encore par Moussa Sanogo qui n’a pas voulu rempiler et joue au FC Brussels actuellement. Quoique je le dise moi-même, mon curriculum vitae plaide en ma faveur. Quand certains ont appris que j’avais joué trois ans à Anderlecht, ils ont manifesté leur respect.
L’entêtement de JMG
Pour quelle raison Beveren se retrouve-t-il dans de sales draps ?
La veine des Académiciens s’est épuisée. Le club compte toujours de bons joueurs mais, sans vouloir faire injure à leur talent, force est de reconnaître qu’ils ne soutiennent pas vraiment la comparaison avec les première et deuxième promotions que nous avions accueillies. Il en allait là de garçons comme Gilles Yapi Yapo, Arsène Né, Yaya Touré et j’en passe. Comme Emmanuel Eboué, qui évolue à Arsenal à présent.
Les aptitudes des joueurs sont-elles seules en cause ?
Non, l’entêtement de Jean-Marc Guillou a sûrement joué un rôle pendable aussi. Il faut toutefois lui rendre ce qui lui appartient : si Beveren a su assurer sa survie pendant une demi-douzaine d’années et qu’il a eu l’occasion de se constituer un bas de laine grâce à la vente de l’un ou l’autre de ses meilleurs Ivoiriens, c’est au travail réalisé par JMG, dans son Académie d’abord, puis à l’ASEC Abidjan et, enfin, à Beveren, qu’il le doit. Mais il a poussé sa philosophie trop loin.
Que voulez-vous dire ?
La richesse du football, c’est sa diversité. Pour former une bonne équipe, il faut de tout : technique, physique, tactique, puissance, taille, poids. Jean-Marc Guillou n’avait d’yeux que pour les seules aptitudes de ses Académiciens, balle au pied. Le reste, il s’en souciait comme un poisson d’une pomme. Désolé, mais on n’affronte pas des joueurs de gabarit, comme le Club Bruges par exemple, avec une défense dont la taille moyenne n’excède pas les 170 centimètres. C’est une hérésie.
Vincent Dufour ne tenait-il pas le même langage ?
C’était LE disciple de JMG. J’avoue avoir frémi, en début de saison, quand je l’ai entendu dire que le beau jeu lui importait davantage que les résultats. Par moments, j’ai essayé de rectifier le tir. Mais ses idées épousaient celles de son maître. Avec Guillou aussi, il était vain de discuter. Quand je lui faisais remarquer qu’on allait rencontrer une équipe du top et qu’une certaine prudence s’imposait peut-être, il répondait toujours : – Pas d’importance, on va quand même les balayer. Ce terme-là, c’était son verbe favori. Il l’employait constamment. Et toujours dans le même contexte.
JMG s’absentait souvent, en raison de son implication dans ses Académies, en Côte d’Ivoire d’abord, puis à Madagascar et en Thaïlande. Etes-vous toujours resté fidèle à sa philosophie ?
Avec Dufour, il n’était pas question de lui faire un enfant dans le dos. Mais avec son devancier, Herman Helleputte, c’est vrai qu’on a procédé à certains aménagements par moments. A l’occasion, nous avions opté pour une approche un tantinet plus prudente. Non sans succès d’ailleurs, car nous avions chaque fois ramené un point dans ces conditions. Quand Guillou l’apprenait, il était fou de rage. – Vos adaptations tactiques, c’est des conneries, fulminait-il alors. Dans ces conditions, chacun comprendra pourquoi Herman a dû céder sa place. Son successeur était plus docile.
Le vide Romaric
De tous les Ivoiriens qui sont allés exercer leur talent ailleurs, quel est celui qui a laissé le plus grand vide ?
N’Dri Koffi Romaric, même s’il n’était pas le plus doué. Il possédait toutefois des qualités que ses frères de couleur n’avaient pas : une frappe de mule et un sens du but très aiguisé. A lui seul, il était capable de nous plier un match grâce à un coup franc ou un tir meurtrier, quasiment à l’arrêt, des 25 ou 30 mètres. Je me souviens qu’un jour, lors d’une visite à Saint-Trond, il était rentré trop tard de Paris. Le match débutait à 15 h et à 14 h 20 seulement, son train était attendu en gare de Berchem, à Anvers. Helleputte, qui sentait bien le personnage, demanda qu’on le cueille à sa descente pour l’amener le plus vite possible au Staaienveld. Il nous rejoignit finalement en début de deuxième mi-temps, alors que le score était toujours vierge. A 20 minutes du terme, le coach décida de l’aligner et notre touriste français parapha le seul but du match. Il était aux anges jusqu’à ce qu’il apprenne sa mise à l’amende pour arrivée tardive ( il rit).
Sa percussion vous a particulièrement manqué cette année.
Exact. A son contact, Sanogo avait livré une saison d’enfer la saison passée alors qu’il était démuni au premier tour, cette saison. Gervinho a repris la relève, mais il n’a pas la même facilité en zone de vérité. Pour scorer, nous devons pour ainsi dire pénétrer dans le goal, balle au pied. Il en résulte un football où les stations intermédiaires sont nombreuses. Et qui est exigeant aussi au plan physique. La plupart du temps, nous avons davantage de possession du ballon que l’adversaire. Mais au décompte final, ces 65 % ne se traduisent pas en buts. Or la vérité s’inscrit au marquoir. L’opposant, qui n’est pas né de la dernière pluie, sait à la longue comment s’y prendre contre nous : il nous laisse le monopole du ballon et attend que l’équipe se fatigue. Au cours des 20 dernières minutes, il passe alors lui-même la surmultipliée et nous crucifie.
Beveren réussira-t-il son opération sauvetage ?
L’équipe en a les moyens en tout cas. Au cours des sept dernières journées, nous allons rencontrer quatre adversaires guère mieux lotis que nous : La Louvière, le Cercle Bruges, le Germinal Beerschot et Mouscron. Si nous réalisons une bonne séquence face à eux, tous les espoirs sont permis.
BRUNO GOVERS
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