Jouer facile
Pour le défenseur tchèque, le plaisir est essentiel. Au risque de fâcher parfois Trond Sollied ?
Lors de notre dernière entrevue, il portait un masque. D’un coup de coude, Jochen Janssen lui avait infligé une triple fracture de la pommette. David Rozehnal (24 ans) vivait ses premiers mois en Belgique et s’étonnait de courir plus de risques dans ses duels avec les attaquants qu’en Tchéquie.
» Depuis, je suis mieux armé pour ces combats « , sourit-il. » Je ne dis pas que je rends coup pour coup mais je me suis endurci mentalement. Au fond, je dois être reconnaissant envers les avants qui me font mal » (il rit).
Après cette interview, plus personne ne vous touchera.
David Rozehnal : Tant mieux, comme ça, j’aurai des espaces et je pourrai jouer. J’aime la précision, je préfère récupérer proprement le ballon, sans commettre de fautes, provoquer de coups francs ni prendre de cartes. Cela se joue en deux ou trois mètres. Si on est plus rapide, on est près de l’homme et du ballon.
Vous avez affirmé venir à Bruges pour progresser. Où en êtes-vous ?
J’ai déjà accompli un grand pas en avant. Je me sens plus fort, mentalement et physiquement. Je joue mieux, plus offensivement, et cela me plaît. Le plaisir est très important. Je ne connais qu’un joueur qui rit tout le temps sur le terrain, même quand il rate, c’est Ronaldinho. Fantastique !
Vous avez une bonne technique des deux pieds. Pourquoi relancez-vous parfois si mal le ballon ?
C’est moins fréquent quand je joue sobrement mais je veux accélérer le jeu, surprendre. C’est quand même ça, le football ? L’entraîneur me demande de ne pas compliquer mon jeu mais si personne n’est démarqué ou ne demande le ballon, que puis-je faire ? J’aime combiner.
Quelle a été votre plus grosse gaffe jusqu’à présent ?
En Turquie, l’hiver passé, dans le match amical contre le Dinamo Moscou. J’ai cédé le ballon en retrait à Tommy Butina. Un adversaire était entre nous et a marqué.
Pourquoi vous trouve-t-on nonchalant ?
Je l’ignore. C’est une question de style. Je donne peut-être l’impression de ne pas m’intéresser à ce que je fais mais ne vous méprenez pas. Je ne suis pas aussi agressif que Gravesen, je ne suis pas non plus Timmy Simons, qui travaille beaucoup et court partout mais je me livre à fond pour l’équipe. J’ai aussi changé. L’entraîneur me dit : -Joue facile, sans trop de technique, car tu es un défenseur. Comme je veux jouer, je change un peu mais je ne peux pas non plus muer complètement, d’un défenseur qui joue en un tueur. Je serais nul dans ce registre. Ce n’est pas mon genre.
Parfois, votre jeu de position est brillant, vous êtes à la bonne place ; parfois, il est vraiment mauvais. Pourquoi ?
Il arrive que je me sente bien ou mal. Cela dépend aussi de l’adversaire et de ma propre équipe. C’est le football : une fois, on bat Anderlecht 3-0 et la semaine suivante, on fait un match nul contre Ostende. Peut-être ai-je la chance, une semaine, que mon adversaire joue le ballon juste à l’endroit où je me trouve (il rit). Mon jeu de position s’est amélioré mais certains aspects viennent avec l’âge et l’expérience. Comme dans la vie, on apprend en réalisant des expériences. Plus souvent on agit, dans des conditions difficiles, plus on apprend.
Après l’EURO, vous avez fait banquette. Il doit être difficile de supporter pareille concurrence dans l’axe défensif ?
La concurrence permet de progresser. Elle peut être bonne ou pas, comme quand vous êtes sur le banc, que la défense joue bien et que vous n’obtenez pas votre chance. Mais la rivalité est saine. En Tchéquie, certains étaient fâchés et stressés parce qu’un jeune comme moi jouait et pas eux mais ici, je ne pense pas que ce soit possible. Si nous avions commencé à nous disputer, nous aurions risqué de perdre le titre.
Vous êtes revenu dans l’équipe après le revers contre Dnipropetrovsk, où la défense n’a pas été brillante. N’avez-vous pas pensé : c’est bon pour moi ?
On pense d’abord qu’on perd des points précieux. Puis après le match : – Peut-être vais-je avoir ma chance, mais on ne sait jamais. Contre Saragosse et pour le dernier match de championnat avant la trêve hivernale, j’étais à nouveau sur le banc et si j’ai joué la Supercoupe, c’est parce que Marek Spilar s’était blessé…
` » Je pense toujours que je vais jouer »
Est-il difficile de retrouver votre niveau après avoir longtemps fait banquette ?
Cela dépend de moi. Si je pense dès le lundi que je ne jouerai pas le week-end, je perds une semaine et je régresse. Je pars toujours du principe que je vais jouer, même si ça n’apparaît pas dans notre shadowgame.
Parlez-vous à vos concurrents ?
Avec Birger, trente secondes, avant le match. Nous savons ce que veut l’entraîneur, il n’est pas nécessaire d’épiloguer.
Birger Maertens dit : » Le courant passe avec David « . Tomislav Butina dit : » Cela va avec Bicky et David « . Qu’a fait Philippe Clement de mal ?
Cela n’a rien à voir avec Philippe. Parfois, on se sent bien avec quelqu’un. Je me sens très bien avec Bicky, mieux qu’avec nul autre, ne serait-ce que parce que c’est avec lui que j’ai joué le plus souvent. J’espère que ça ne changera plus.
Que pensez-vous des déclarations de Philippe Clement à l’égard de l’entraîneur en hiver ?
On ne peut pas faire ça. S’il n’est pas d’accord avec la composition d’équipe et estime qu’on lui manque de respect, il doit en parler avec l’entraîneur et le groupe mais pas se taire pour aller s’épancher ensuite auprès des journalistes. Ce n’est pas bon pour l’esprit d’équipe.
N’avez-vous jamais été tenté de réagir fort ?
Si, il y a eu de tels moments mais il faut réfléchir. Quand quelqu’un vous cherche, il faut rester calme, le laisser s’exciter et prendre une carte rouge. Alors, vous êtes the king. C’est mon style. En Supercoupe contre Anderlecht, Jestrovic m’a décoché un coup de coude en fin de partie mais j’étais assez cool pour ne pas réagir. Après, je lui ai serré la main, j’ai dit : – Sorry, friend. Il m’a répondu la même chose.
Quel est le meilleur avant que vous ayez affronté ?
J’ai trouvé Ibrahimovic très bon. Il est grand, il a un bon bagage technique, il utilise bien son corps. Un défenseur ne peut pas toucher le ballon. Il joue comme un Brésilien. On voit qu’il savoure son match. En championnat de Belgique, ce sont des Anderlechtois : Wilhelmsson avec sa vitesse, Aruna et Mpenza, qui sont très agressifs et exploitent tout.
A quel point l’état du terrain du Club vous affecte-t-il ?
Il est catastrophique ! C’est un gros problème. Cela aurait pu nous coûter des points. Nous nous sommes méfiés de lui dans la course au titre. Le club doit tout mettre en £uvre pour l’améliorer. Parfois, en deuxième mi-temps, c’était comme s’il y avait eu une course hippique sur un côté… On rate beaucoup de ballons dans ces conditions et les gens vous en attribuent la responsabilité. Cela a pesé sur le moral des joueurs.
Pourquoi le Club n’a-t-il pas réussi sa campagne européenne ?
Je ne sais pas. La saison passée, nous avons failli atteindre le deuxième tour de la Ligue des Champions et nous avons perdu beaucoup de points en championnat. Cette fois, nous n’avons pu nous qualifier pour la Ligue des Champions, pas plus que nous n’avons pas franchi les 32e de finale de la Coupe UEFA mais nous ne perdons pas beaucoup de points en championnat. Ainsi va le foot : on bat l’AC Milan puis on perd contre Heusden-Zolder.
Dans le noyau tchèque
Vous avez obtenu votre première sélection avec la Tchéquie il y a un an. Vous faites partie du noyau, mais n’avez joué qu’un match en qualification de la Coupe du Monde, à Andorre…
Je ne suis pas une valeur sûre ! En principe, je suis sur le banc mais ça va changer. Donnez-moi six mois ! (Il rit). Je pense que l’entraîneur est satisfait. J’ai obtenu ma première chance contre l’Italie et j’ai été repris pour l’EURO. Là, j’ai été titularisé contre l’Allemagne, je suis entré contre les Pays-Bas et le Danemark. Une expérience fantastique. J’attends d’autres chances mais l’essentiel est d’en être. Une minute en équipe nationale me permet déjà de progresser.
Quel genre d’homme est Karel Brückner, le sélectionneur ?
Un homme qui jouit d’un grand respect. Même Pavel Nedved s’adresse à lui comme à un roi. Le football l’accapare 25 heures par jour, il regarde cinq fois par jour la vidéo de l’adversaire et en parle pendant trois heures.
A quoi ressemble un vestiaire rempli de vedettes ?
La première fois que j’ai serré la main de Nedved, j’étais intimidé mais malgré son statut, son Ballon d’Or et tout ça, il est resté un garçon simple. Comme Karel Poborsky, qui adore faire des farces avec les jeunes joueurs. Au repas qui a suivi mon premier match, il a dit : – David, as-tu un peu d’argent pour moi ? Il est le banquier de l’équipe, il gère l’argent avec lequel nous allons manger. A Olomouc, il fallait même verser quelque chose quand on arrivait au club avec une nouvelle voiture et à chaque photo de soi qui paraissait dans le journal !
Dans la poule 1, la Tchéquie va-t-elle se qualifier sans Pavel Nedved, malgré la présence des Pays-Bas ?
Nous restons bons même sans Nedved. Poborsky, Galasek, Koller, Cech sont toujours là. Nous ne manquons pas de noms. Jusqu’à présent, nous n’avons perdu des points que contre les Pays-Bas, qui nous ont battus 2-0 mais ont fait match nul en Macédoine. En octobre, nous recevons les Pays-Bas. Nous pouvons encore briguer la première place. Nous n’avons qu’un point de retard sur eux…
Vous aimez le beau football. Quel est votre joueur favori ?
Ronaldinho. Et Zidane. J’aime bien les défenseurs aussi mais je préfère les médians et les avants qui jouent avec leur cerveau. Le Real Madrid et Barcelone sont mes clubs préférés. Regarder leurs matches est un plaisir.
D’autres clubs se sont-ils intéressés à vous depuis que vous évoluez à Bruges ?
Chaque joueur veut évidemment rejoindre un plus grand club européen. J’espère que le Club m’aidera à franchir ce cap un jour mais je suis encore très jeune. J’espère qu’il me reste encore dix ans.
Comment vous débrouillez-vous en néerlandais depuis que le Club a supprimé les cours ?
Mon amie me l’apprend. Depuis l’été dernier, elle suit des cours quatre fois par semaine et peut déjà tenir une conversation en néerlandais. Elle s’y attelle car elle a achevé ses études en économie à l’université et qu’elle voudrait travailler à temps partiel. Nous nous plaisons ici. Les gens sont plus calmes et plus amicaux que d’où nous venons. Ici, on n’amoche pas ma voiture par simple jalousie.
Qu’avez-vous fait de votre masque ?
Il est à la maison. Mes parents et mes beaux-parents nous ont rendu visite à la Noël. Ils avaient bu et le masque est venu bien à point…
Christian Vandenabeele
» Je dois être reconnaissant envers les attaquants QUI ME FONT MAL «
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