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» Je dois vendre le projet RWDM aux joueurs «
Entre ses débuts chez nous au FC Brussels et son nouveau job de directeur sportif du RWDM, Julien Gorius est passé par Malines, Genk, la Chine et Louvain. La boucle est bouclée.
Julien Gorius (35 ans)est de retour à la maison après douze années passées en Flandre et dans le nord de la Chine. Le nom du club hébergé au Stade Machtens a été modifié entre-temps, mais pour le reste, peu de choses ont changé depuis que le Français a quitté le Brussels pour Malines en 2008. Pour lui, le RWDM actuel est toujours le club familial où il a fait ses débuts pros en 2005. » J’ai l’ADN de ce club. Quand j’étais à Malines puis à Genk, je continuais à venir voir des matches ici. Comme beaucoup de supporters du RWDM, je proviens d’un milieu modeste, c’est sans doute pour ça que ça a vite matché. Mon père travaillait dans la construction, ma mère gardait des enfants, ils ont dû se battre pour gagner chaque euro qui arrivait sur leur compte. Ça m’a appris à ne pas planer quand j’ai commencé à gagner ma vie. »
Depuis qu’il est devenu directeur sportif du RWDM au début du mois de septembre, Gorius a pris une habitude : il suit tous les entraînements donnés en matinée. Il veut voir lui-même comment le noyau se comporte durant la semaine. » Dans ma carrière, j’ai connu des directeurs sportifs qu’on ne voyait que le jour du match. Je veux être au courant de la vie du groupe. Je ne veux pas arriver à un match et devoir me dire : Pourquoi ce joueur est-il sur le banc ? Je suis persuadé qu’un directeur sportif moderne doit être de plus en plus présent aux entraînements. »
Tu as arrêté ta carrière professionnelle il y a un peu plus d’un an. Ça ne te manque pas, quand tu es au bord d’un terrain ?
JULIEN GORIUS : La vie de pro ne m’a pas encore manqué une seconde. Ça ne me vient même pas à l’esprit de remettre mes godasses et de shooter dans un ballon. C’est le plus beau métier du monde, mais j’en avais marre de ce milieu. Sur la fin, à Louvain, il y avait des jours où je n’avais plus envie d’aller à l’entraînement. C’était le signe que je devais m’arrêter. Je tire mon chapeau aux footballeurs qui prolongent jusqu’à 36 ou 37 ans et qui continuent jusqu’au bout à se remettre tous les jours en question. Mais je sais aussi que beaucoup de joueurs doivent consulter un psy parce qu’ils n’arrivent pas à accepter que leur carrière est terminée. Il y en a plus qu’on ne le croit ! Moi, mes soucis sont plutôt physiques. J’ai fait une séance de padel avec un pote en janvier, et depuis, j’ai une hernie discale. Ça me fait tellement mal que je ne sais plus faire un jogging.
» Ne pas trouver un dernier club, ça n’a pas été un problème »
Tu as joué ton dernier match pro en mars 2019 avec Louvain contre Tubize. Tu en gardes quels souvenirs ?
GORIUS : Il y a une histoire incroyable derrière ce match. À onze ans, je me suis fait une déchirure à la cuisse. Et un petit os s’est détaché. Le docteur m’a prévenu que ça risquait de me gêner très fort. Mais je n’ai jamais rien ressenti. Jusqu’à ce match contre Tubize… C’est quand même un concours de circonstances bizarre, tu ne trouves pas ? Sur le coup, j’ai pensé à une élongation, et donc je ne me suis pas rendu compte que je jouais mon dernier match. Comme une douzaine d’autres joueurs, mon contrat n’a pas été prolongé. En septembre, comme je ne trouvais pas de nouveau club, j’ai arrêté. Mais je ne voyais pas ça comme un problème.
Aujourd’hui, quand il y a des négociations pour un contrat, tu es de l’autre côté du bureau. Ça fait quoi ?
GORIUS : Mener des négociations et jongler avec des salaires, c’est une chose. Mais je trouve surtout important d’apprendre à mieux connaître les joueurs. Via des entretiens individuels, je veux déceler leur personnalité et voir comment je peux les traiter sur un plan purement humain. Je dois sentir certaines choses. Quelles sont les informations sensibles que je dois garder pour moi ? À quel moment je dois parler à l’entraîneur de la situation personnelle de tel ou tel joueur ?
» Tu ne dois pas donner l’impression aux joueurs que tu es inaccessible »
Il n’y a pas le risque que tu sois trop proche de certains joueurs ? Tu dois quand même maintenir une certaine distance, non ?
GORIUS : Tu as raison. Mais tu ne dois pas donner l’impression aux joueurs que tu es inaccessible. Quelle est ta plus-value de directeur sportif si tu n’es pas accessible pour tes joueurs ? J’en ai connu qui étaient comme ça. Moi, je crois à fond aux interactions entre les joueurs et le management. Entre les joueurs et le coach. Les entraîneurs qui n’ouvrent jamais la porte de leur bureau sont condamnés à échouer, à terme. Il faut développer un lien émotionnel avec les joueurs, jusqu’à un certain stade. Et aussi leur tirer les oreilles à certains moments.
Pour que le club grandisse, il faut des rentrées d’argent. Le président Thierry Dailly t’a fixé des objectifs en matière de revenus de transferts ?
GORIUS : On devra installer ça plus tard. Ma priorité consiste à stabiliser le club dans le monde professionnel. Après ça, on devra rehausser le niveau de notre académie en vue de préparer des jeunes pour le noyau A, et en même temps on doit investir dans des joueurs à haut potentiel qu’on pourra revendre avec une plus-value.
» Un coup de fil du coach à un joueur peut aider à gagner quelques pourcents »
Mais pour le moment, tu dois surtout être créatif avec le budget ?
GORIUS : Dans ma position, il y a deux domaines dans lesquels on peut faire la différence. Le salaire et le discours. On n’a pas les moyens de donner des salaires de dingue, alors je dois compenser par ce que je raconte aux joueurs. Je dois leur vendre le projet RWDM, leur expliquer comment ce club peut les aider à exploser. Et ces joueurs doivent sentir que tout le monde dans le club souhaite leur venue. Ça peut paraître idiot, mais un coup de fil du coach à un joueur peut aider à gagner quelques pourcents.
Tu prépares tes discours ?
GORIUS : Je suis mon intuition. Et j’ai appris qu’il fallait souligner les aspects positifs. Je veux connaître par coeur chaque joueur que j’invite pour discuter. S’il constate que tu es capable d’énumérer tous ses points forts, tu marques des points. Depuis mon retour de Chine en 2016, j’ai souvent vécu l’inverse. J’ai eu plusieurs conversations avec des directeurs sportifs, et à part Wim De Corte à Louvain, ils m’ont tous donné l’impression qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi. Ils commençaient en disant : On te voudrait, mais… C’était peut-être une stratégie pour faire baisser le salaire. Mais en parlant comme ça, tu diminues tes chances de séduire le joueur.
Tu es du genre à multiplier les déplacements pour aller voir des joueurs en live ou tu te concentres plus sur les datas ?
GORIUS : Avec tout le matériel vidéo disponible, on peut déjà faire un fameux tri. Si j’ai cinq profils intéressants pour un poste, je vais voir sur place. Ça ne me dérange pas de faire deux heures de route pour avoir une vision objective d’un gars. Je trouve que la marge d’erreur est beaucoup trop grande si on ne se base que sur les images.
Tu seras aussi dépendant de ce que les agents te proposeront.
GORIUS : Je reçois aujourd’hui beaucoup plus d’appels qu’il y a un an quand je cherchais un club… Tout le monde peut m’appeler. Dans la mesure du possible, je réponds ou je rappelle. Je peux encore me le permettre, mais j’imagine qu’un Vincent Mannaert doit filtrer les coups de fil des agents. C’est peut-être pour ça que certains directeurs sportifs choisissent de travailler avec un ou deux agents attitrés.
» Après un mois et demi de stage, j’ai compris que le métier d’entraîneur n’était pas fait pour moi »
Qui sont tes modèles dans la profession ?
GORIUS : J’aimais bien Gunter Jacob quand j’étais à Genk, je trouvais que c’était un visionnaire. Il avait l’art de repérer très vite les bons joueurs et il sentait si les gars allaient pouvoir s’adapter à la philosophie de son club. Kalidou Koulibaly, Kara Mbodj, Wilfried Ndidi et Sergeï Milinkovic-Savic n’ont pas coûté très cher, puis ils ont rapporté beaucoup d’argent à Genk. On peut dire beaucoup de choses à propos de Jacob, mais il a fait plus de bons transferts que de mauvais. Au niveau international, j’aime bien Luis Campos, Leonardo et Monchi, qui a transformé Séville, un club jusque-là moyen, en grand d’Europe. Ce sont trois profils différents, mais ils font tous partie du gratin européen.
Pourquoi t’a-t-il fallu un an pour choisir ton nouveau métier ?
GORIUS : Sur les conseils de Wim De Corte, le manager sportif de Louvain, j’ai fait un mois et demi de stage comme entraîneur avec les Espoirs de ce club. Et j’ai compris qu’un entraîneur passait finalement plus de temps derrière son PC, à revoir des matches et à évaluer des séances d’entraînement, que sur le terrain. À la fin de ce stage, j’ai décidé que j’allais faire le même métier que De Corte. Devenir agent, c’était aussi une option, mais j’aurais eu des problèmes de conscience. Et j’aurais mal dormi si un de mes joueurs s’était retrouvé sans club.
» Sur des critères purement sportifs, le RWDM n’avait rien à faire en D1B »
Bryan Van Den Bogaert et Leandro Rocha ont été tes premiers transferts. Avec eux, le RWDM a 18 nouveaux joueurs.
GORIUS : Quand je suis arrivé, le club avait déjà fait seize transferts entrants. Ça paraît beaucoup, mais c’était nécessaire pour avoir un noyau plus qualitatif. Comme le Lierse Kempenzonen, on doit notre promotion à un bon management. Parce que sur des critères purement sportifs, le RWDM n’avait rien à faire en D1B. On a le plus petit budget de toutes les équipes professionnelles en Belgique et c’est un miracle d’avoir su former un noyau compétitif.
Il ne faut donc pas attendre grand-chose du RWDM cette saison ?
GORIUS : Avec la disparition de Roulers et de Virton, le niveau de la D1B a baissé. Et ça nous ouvre des perspectives. Les équipes qui ont une défense solide n’auront pas de problèmes cette saison. Mais un championnat à huit équipes, je trouve que ça n’a pas beaucoup de sens. Tout le monde serait gagnant si on faisait un championnat à seize, en y mettant des équipes d’Espoirs des meilleurs clubs.
À part Deinze, tous les clubs de D1B ont des investisseurs étrangers. On entend que le RWDM est aussi à la recherche d’investisseurs.
GORIUS : À terme, le but est effectivement de trouver des nouveaux investisseurs. En peu de temps, Thierry Dailly a réussi un tour de force incroyable. Mais on ne peut rien faire contre des clubs qui sont soutenus par Brighton, Manchester City ou Leicester. Un jour, le RWDM devra peut-être aussi choisir cette voie. Mais on ne reniera jamais notre identité bruxelloise. Dans un scénario idéal, on préserverait l’ADN du club et on grandirait grâce aux capitaux d’un investisseur externe.
» Je pensais que mon contrat au Brussels était prêt… j’ai dû faire trois semaines d’essai »
Il y a quinze ans, tu débarquais au FC Brussels, tu n’avais que 19 ans. Qu’est-ce que tu as gardé comme souvenir de ton premier jour dans ce club ?
JULIEN GORIUS : J’étais venu sur les conseils d’Albert Cartier. Quelques mois avant ça, il entraînait La Louvière et j’avais fait un test là-bas, un amical contre l’équipe nationale du Luxembourg. Après le match, Cartier m’avait dit qu’il allait signer au Brussels et il m’avait fait comprendre qu’il allait essayer de m’attirer. Quand il m’a appelé pour venir au Brussels, je pensais que mon contrat était prêt. Mais au moment où je suis arrivé, ce n’était pas tout à fait ce que je croyais. Cartier m’a dit : Le président, Johan Vermeersch, veut d’abord te voir à l’oeuvre. C’est son argent et il veut visionner lui-même les joueurs. J’avais quitté la France en étant persuadé que j’avais un nouveau club et je me retrouvais en test.
Il t’a fallu combien de temps pour convaincre Vermeersch ?
GORIUS : J’ai dû faire trois semaines de test et Vermeersch n’est venu me voir qu’une fois. Le tout dernier jour, dans un match amical contre Mons. On était à trois à l’essai et ça s’était bien passé pour chacun. J’estimais qu’on avait tous les trois assez de qualités pour recevoir un contrat. Mais justement, dans ce match amical, on a été très mauvais. À cause de joueurs absents, j’ai dû jouer au back droit. Cartier estimait que j’étais suffisamment intelligent pour me débrouiller à cette place. Mais ça n’a pas été du tout. J’ai juré. Pourquoi Vermeersch n’était pas venu me voir plus tôt ? Il avait eu une vingtaine de jours pour ça. Le lendemain, le directeur sportif Dimitri Mbuyu est venu nous voir à notre hôtel pour nous donner le verdict. Les deux autres joueurs n’ont pas été conservés. Quand mon tour est venu, je ne le sentais pas. Mais Mbuyu m’a dit que je pouvais signer. Un contrat minimum, 1.800 euros brut par mois, plus les primes. Je n’ai pas hésité. Pour moi, c’était une occasion unique de devenir pro. À Metz, je m’entraînais avec le noyau A, mais j’avais un contrat de stagiaire.
Tu crois que Cartier est intervenu ?
GORIUS : Évidemment. Il croyait en moi et il a sans aucun doute poussé pour que je sois engagé. S’ils s’étaient basés sur le seul match contre Mons, je n’aurais jamais été retenu. Après ça, j’ai été très performant directement et l’option de mon contrat a été activée dès le mois de janvier.
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