» EN TURQUIE, JE NE SUIS PLUSCHEVALIER ARDENT « 

On l’avait quitté en pleine gloire courtraisienne, on le retrouve empêtré en fin de classement du championnat turc, à Rizespor. Un choix de carrière déroutant que le Français assume. À 28 ans, il était temps de penser à son avenir. Rencontre avec un expatrié en mal d’amour.

Rize, capitale autoproclamée du thé au-delà du Bosphore. Un non-sens, peut-être, pour cette petite ville de 90.000 habitants à peine, mais une évidence aussi quand on sait qu’il pleut douze mois sur douze dans ce petit coin reculé de Turquie, situé à une heure de route à peine de la Géorgie voisine.

C’est là, et non au Standard ou au Club Bruges comme cela avait été évoqué cet été, que Teddy Chevalier a déposé son baluchon de pèlerin à la fin du mois de juillet dernier. Un sacré défi pour cet enfant des terrils du nord de la France qui, après avoir passé la frontière linguistique belge (Zulte et Courtai) doit maintenant apprendre à se réinventer à Rizespor, modeste club de division 1 turc au palmarès éternellement vierge.

 » J’ai bien compris que ce n’est pas la Turquie qui va s’adapter à moi, alors je m’adapte et je cours « , dit-il, en galopant sur le tapis de course.  » Cette pratique, je m’y astreins tous les jours, parce qu’il ne faut jamais s’arrêter de courir ici. Si tu ne cours pas, tu ne joues pas.  » Mais même s’il court beaucoup, Teddy Chevalier joue peu pour sa première saison en Spor Toto Süper Lig.

Teddy, même s’il ne pleut pas aujourd’hui, est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi il a fallu faire près de 4000 kilomètres pour retrouver ta trace du côté de Rize, la seule ville de Turquie qui peut se vanter d’accumuler 2500 mm de pluie par an ?

TEDDY CHEVALIER : Quand je suis arrivé ici, je pensais qu’il y avait du soleil toute l’année, c’est en parlant avec les autres joueurs que j’ai compris qu’il pleuvait  » assez souvent  » (rires). J’avais déjà signé, mais la ville, même si elle est un peu reculée, est agréable à vivre. Il pleut, mais les températures restent bien meilleures qu’en Belgique ou dans le nord de la France. On n’a pas eu d’hiver très froid par exemple, c’est déjà ça de pris. Cela ne m’empêche pas de passer le plus clair de mon temps à regarder des séries. Je crois que j’ai vu tout ce qui était possible de regarder ces neuf derniers mois.

 » J’AI FAIT UN CHOIX DE VIE ET DE CARRIÈRE  »

C’est quand même un choix de vie étrange pour quelqu’un comme toi qui est si attaché à la famille et qui a toujours fait en sorte de ne pas s’en éloigner de trop. Pourquoi choisir un club inconnu qui se situe sur les rives de la mer Noire, plus proche d’Erevan (Arménie) et de Tbilissi (Géorgie) que d’Istanbul ?

CHEVALIER : J’ai toujours dit que ma famille, c’était ma force, c’est vrai. Et le fait d’avoir joué tant d’années près des miens m’a permis beaucoup de choses. Je ne serais pas arrivé là où je suis sans eux. Mais j’ai eu cette belle opportunité, à 28 ans, et je ne pouvais décemment pas la refuser. Il en va de mon avenir. En restant en Belgique, je savais que j’aurais dû travailler et obligatoirement me reconvertir après ma carrière. En acceptant de jouer ici quelques années, je sais que je suis en train de changer le cours ma vie, mais aussi celle de mes futurs enfants. C’est un choix que j’ai fait. Un choix difficile pour quelqu’un comme moi qui adore sa région et qui se sentait tellement bien en Belgique, mais un choix que j’assume même si j’ai eu beaucoup de mal à quitter Courtrai.

De quand datent tes premiers contacts avec Rizespor ?

CHEVALIER : C’est une histoire marrante parce que ses responsables sont venus une première fois vers moi au mois de décembre 2015, mais leur offre n’était pas suffisante pour Courtrai. Je n’avais donc même pas pris la peine de négocier. Ils sont revenus une deuxième fois au mois de juillet avec une offre plus importante, mais là c’est moi qui ai refusé après avoir cogité toute la nuit. Le lendemain, c’était la journée des supporters à Courtrai. Je préviens Walem et les supporters que je reste, mon agent vient me voir et me dit que je suis fou d’avoir refusé. Je lui dis que je m’en fous de gagner autant et que je préfère vivre ma vie et être heureux. Pour rire, lui surenchérit et me dit :  » Mais imagine s’ils reviennent une troisième fois et qu’ils te proposent telle ou telle somme ? » Là je lui ai dit qu’honnêtement je préférais que ça n’arrive pas parce que cela me mettrait face à une réflexion bien compliquée. Dans la foulée, je pars sur la côte voir mon frère parce qu’on avait deux jours de libre. Au moment de manger des moules-frites, je reçois un message de l’agent turc qui me propose une troisième offre similaire à celle faite sur le ton de la rigolade par mon agent la veille. Ça m’a coupé net l’appétit, mais à partir de là ça a été très vite.

 » JE GAGNE SEPT FOIS PLUS QU’EN BELGIQUE  »

Suffisamment vite pour que tu prennes Johan Walem de court, lui qui comptait clairement sur toi pour le début de la nouvelle saison.

CHEVALIER : Je suis retourné à l’entraînement à Courtrai le lundi et le soir je mangeais avec mes agents. Ils ont insisté pour que je vienne avec ma copine parce qu’ils connaissent le rôle important qu’elle joue dans mes décisions. Ils ont réussi à la convaincre de ne pas aller travailler le mardi et quelques heures plus tard, on était en route pour Istanbul. Ils nous ont vendu du rêve. Les plus beaux restaurants, un superbe hôtel. Patrick Decuyper, le directeur sportif de Zulte, était au courant, mais pas Walem qui a cherché à m’appeler toute la nuit et qui m’en a forcément voulu. C’est ma copine qui m’a dit qu’il fallait qu’on pense à notre avenir et à partir de là, j’ai dit OK et c’était signé. Ce n’était plus possible de refuser une pareille offre.

À quoi ça ressemble une offre qu’on ne peut pas refuser quand on est un footballeur de 28 ans et qu’on a joué toute sa carrière ou presque en Belgique ?

CHEVALIER : C’est vraiment une offre incroyable. En gros et pour être clair, je gagne sept fois ce que je gagnais en Belgique et j’ai signé un contrat de trois ans. Je pense qu’à Anderlecht, à Genk ou Standard, ils sont encore loin de ce qu’on touche ici. Ça veut dire que je gagne mieux ma vie qu’un Steven Defour par exemple, c’est fou. C’est flatteur, surtout, de se dire que moi, Teddy Chevalier, je gagne mieux ma vie qu’un international belge, un grand joueur qui a joué à Porto et moi – qui n’ai entre guillemets presque rien fait de ma carrière – et qui a toujours joué dans des petits clubs, je me retrouve avec un salaire aussi élevé. Et Rize, qui n’est pas non plus un gros club en Turquie a quand même mis 740.000 euros pour me transférer…

De la manière dont tu en parles, on a presque l’impression que tu as honte de gagner tout cet argent, que tu ne le mérites pas. D’autant que sportivement, ce n’est pas tous les jours facile. Neuf titularisations en championnat et un seul petit but pour deux passes décisives…

CHEVALIER : Oui. Même si je ne pense pas avoir changé mon mode de vie, c’est sûr que ça perturbe un peu. Après, le football turc est très différent. Beaucoup plus physique que chez nous. Et puis le rythme de vie n’est pas le même non plus, les repas, la langue, les entraînements, etc. Pour quelqu’un comme moi qui aime bien avoir son petit cocon, c’est compliqué. Les Flamands ont une façon de penser qui est autre que les Wallons ou les Français. Mais les Turcs, c’est autre chose encore. Ils ne fonctionnent vraiment pas comme nous.

 » JE SUIS DEVENU UN AUTRE TEDDY  »

Explique ?

CHEVALIER : Ce qui me marque le plus, c’est qu’ici tu as quelqu’un qui te lave tes chaussures. Si d’aventure je fais une séance de tirs au but après l’entraînement, j’ai aussi quelqu’un qui va rester avec moi pour aller me chercher mes ballons, etc. Vu le milieu modeste d’où je viens, j’ai d’abord été choqué, je lavais moi-même mes chaussures par exemple, mais on m’a fait comprendre qu’il fallait que je laisse faire au risque de paraître pour quelqu’un de désagréable. Donc, à force, tu finis par t’habituer.

Malgré tout, on te sent apaisé, relax, bien loin de l’image que tu as parfois pu renvoyer en Belgique. C’est le changement d’atmosphère, de mentalité aussi, qui t’aide à voir les choses différemment ?

CHEVALIER : Non, c’est juste que je vis autre chose et que j’ai 28 ans. J’ai dû apprendre à m’adapter à un autre style de vie, aussi. Après, je dis ça, mais heureusement que ma copine a accepté de me suivre. En même temps, elle savait que je si je venais tout seul ici, je n’allais pas tenir deux mois. Mais c’est vrai que j’ai changé. Maintenant, je laisse aller, j’essaie de ne pas trop prendre les choses au sérieux. À la base, j’aime bien être un leader et porter l’équipe vers le haut. Ici, je n’arrive pas à le faire. Le pays, la langue, je ne sais pas. Je me suis peut-être trop assagi finalement. Plus rien à voir avec le Chevalier Ardent de Belgique. Ça me convient peut-être, mais je passe vraiment de tout à rien. À Courtrai, j’étais reconnu, le public m’adorait, j’étais un peu la star et puis j’arrive ici, je n’ai rien prouvé, personne ne me connaît et tu te demandes forcément ce que les gens pensent de toi. Peut-être qu’ils se demandent ce que je fais là ou se disent que je suis nul. En tout cas, c’est un choc de passer d’un statut de leader à celui de Mister Nobody. Je vais devoir ramer pour acquérir un autre statut. Sur le terrain, je suis un chien normalement, je ne lâche rien, mais depuis que je suis arrivé ici, c’est un autre Teddy. Je n’arrive pas à me l’expliquer. Ce n’est pas une dépression, mais c’est un apprentissage. Sportivement, j’aurai aimé que ça se passe autrement.

A t’entendre, on a l’impression qu’il ne faudrait finalement pas grand-chose pour te voir faire tes valises et revenir en Belgique ?

CHEVALIER : Je me vois bien rentrer, mais je n’ai pas toutes les cartes en main et je pense que le président comme l’entraîneur comptent sur moi. Honnêtement, je ne sais pas encore ce que je ferai l’année prochaine. J’ai déjà eu des possibilités de revenir en Belgique cet hiver, notamment à Courtrai, le reste je ne peux pas en parler parce qu’on ne sait pas ce qui peut encore se passer, mais ce sont grosso modo les mêmes clubs que l’été dernier. Cet hiver, j’aurais même pu signer à Lens, le club que je supportais étant gamin. Kombouaré (Antoine, l’entraineur lensois, ndlr) et Martel (Gervais, le président du club, ndlr) m’ont appelé, mais ça ne s’est pas fait. Mais je suis quand même venu ici pour m’imposer et pour jouer. Ce que j’essaie de faire depuis que je suis là.

 » J’AI PEUT-ÊTRE UN REGRET QUAND MÊME  »

Quand tu vois qu’un Ivan Santini, ton ancien partenaire d’attaque joue aujourd’hui au Standard et que Benoit Poulain est à Bruges, tu n’as aucun regret ?

CHEVALIER : Moi, j’ai eu la chance de venir en Turquie, c’est autre chose. Je suis très content pour Ivan, c’est quelqu’un que j’apprécie et qui le mérite. Benoît, c’est pareil, il vient de Nîmes, ce n’était pas facile tous les jours et aujourd’hui il a droit à cette belle récompense. Après, c’est vrai qu’après notre super-saison avec Ivan, je pensais que le Standard allait nous prendre tous les deux pour qu’on reproduise ce qu’on avait fait à Courtrai. Au fond de moi, je pense qu’à deux au Standard, on aurait pu faire mal. Allez, si j’ai un regret, c’est peut-être celui-là, parce qu’Ivan et moi on se connaît par coeur. C’est sûr qu’on aurait fait quelque chose là-bas.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE – IBRAHIM SAHIN

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