© Aurélie Geurts

En MMA, « on entre dans la cage en mode survie »

Jef Van Baelen Journaliste Knack

Le MMA est en pleine expansion médiatique. Rencontre avec Q-bomb, sensation belge de ces arts martiaux mixtes que l’on connaît surtout sous leur acronyme.

Jan Quaeyhaegens a un rêve et pour le réaliser, il doit affronter Paul Hughes le 14 octobre à Dublin. Et le vaincre, évidemment. De préférence par K.-O. ou en étranglant l’Irlandais. Quaeyhaegens et Hughes pratiquent le MMA, pour «arts martiaux mixtes». Un sport brutal dans lequel beaucoup de choses sont permises et dont les combats se déroulent dans une cage appelée octogone.

En MMA, Quaeyhaegens est connu sous le nom de Q-bomb, «l’homme qui éteint les lumières»: ses cinq derniers combats, le natif d’Anvers les a remportés par K.-O. Mais son adversaire n’est pas un tendre non plus. «Hughes est le champion en titre des poids plume. Il fait ses débuts contre moi en tant que poids léger, une classe de poids plus élevée, explique Quaeyhaegens. Tout le monde pensait qu’il serait engagé par l’UFC, l’équivalent de la Champions League pour les arts martiaux mixtes. Hughes pensait la même chose, c’est pourquoi il a refusé toutes les invitations pendant un an. Comme cela n’a pas abouti, Hughes veut fêter son retour dans son pays d’origine, où il est extrêmement populaire. Mais je vais tout bousiller. Je veux faire taire le public irlandais: rien de tel que de triompher dans la fosse aux lions.»

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Etes-vous impatient d’y être?

Dans un certain sens, non, mais c’est toujours le cas à l’approche d’un combat. A chaque fois, il y a un moment où l’on se dit: «Qu’est-ce que je fous? Pourquoi ne suis-je pas en train d’exercer un travail normal?» C’est un mécanisme de protection, dont on a également besoin pour faire face aux situations dangereuses. Une fois dans la cage, par contre, je suis on ne peut plus confiant.

Vous avez défié Paul Hughes sur les réseaux sociaux. C’est authentique, comme démarche, ou c’est du fake?

Non, c’est authentique. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je bouillonnais. Cela fait deux mois que je suis prêt à me battre, mais personne ne pouvait me dire quand aurait lieu mon prochain combat. Il n’y a plus beaucoup d’adversaires intéressants pour moi et maintenant que j’enchaîne les K.-O., il n’y en a probablement plus beaucoup qui ont envie de se battre non plus. J’ai pris les choses en main et j’ai contacté Paul Hughes. En une journée, c’était réglé.

Vous avez reproché à Hughes que ses trois dernières victoires ont été obtenues par décision des juges. Vous n’avez pas cette réputation: l’Irish Sun vous surnomme d’ailleurs «l’artiste du K.-O”.

C’est du moins de cette manière qu’est décrit Paul Hughes et c’est probablement la raison pour laquelle il n’est pas à l’UFC: c’est un combattant qui draine un large public et son style est séduisant, mais il ne termine pas ses combats. Ceux qui jouent la carte de la sécurité et se fient aux juges ne sont pas pris au sérieux. Personnellement, je n’ai jamais eu besoin du soutien d’un arbitre. Huit de mes onze victoires ont été obtenues par K.-O., les trois autres par abandon.

Tout est-il permis en MMA?

Les coups de poing à l’arrière de la tête, à l’entrejambe ou à la colonne vertébrale sont interdits et, lorsque l’adversaire est au sol, les coups de pied à la tête ne sont pas autorisés. Mordre ou mettre les doigts dans les yeux ou dans la bouche entraîne également la disqualification. Ces règles sont généralement bien respectées. Le MMA, ce n’est pas du combat de rue. Ceux qui ne savent que frapper ne feront jamais carrière. Il faut également être en bonne forme physique. Un combat peut durer de trois à cinq minutes, et ceux pour le titre encore plus longtemps. Combattre quelqu’un pendant 15 minutes d’affilée n’est possible que si l’on est au meilleur de sa forme. Cela implique également une certaine tactique. Vous pouvez choisir de frapper vigoureusement dès les starting-blocks. Mais si ce départ féroce échoue, l’autre, qui a dépensé moins d’énergie, a déjà à moitié gagné. J’ai une bonne condition physique, mais j’ai rarement besoin de l’utiliser, car souvent l’adversaire est rapidement contre la toile. Mon combat le plus court a duré cinq secondes: un uppercut et les lumières se sont éteintes.

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Contre Erick da Silva, vous avez gagné après 25 secondes, par un coup de genou. Dans un documentaire sur YouTube, on a pu comprendre que c’était prémédité.

Chaque combattant a ses habitudes, bonnes et mauvaises. Je savais que da Silva aimait plonger vers les jambes lorsque son adversaire était contre lacage. J’ai fait un pas en arrière, je l’ai attiré au sol et j’ai planté mon genou contre son visage. Ce finish spectaculaire m’a fait connaître. Depuis lors, sur le plan tactique, j’ai toujours eu un solide avantage. Je suis grand pour ma catégorie de poids. Les adversaires plus petits cherchent toujours un combat au sol avec moi, pour me forcer à abandonner par étranglement. Maintenant qu’ils savent que mon genou représente un danger, ils y réfléchissent à deux fois. Ce genre de combats au sol peut être particulièrement effrayant. J’ai vu de solides culturistes hurler d’effroi lorsqu’ils étaient serrés par des filles de 70 kilos de moins qu’eux! Ne pas pouvoir bouger, être lentement étranglé, ne pas voir d’issue… rien n’est plus terrifiant.

Comment êtes-vous arrivé aux arts martiaux mixtes?

En regardant des vidéos sur Internet, lorsque j’étais adolescent. Ça avait l’air cool, sans fioritures et ancré dans le réel. J’ai commencé à chercher un club, et il y en avait un près de chez moi. Mes parents n’étaient pas très enthousiastes. J’étais un ado turbulent qui n’aimait pas l’école et ne savait pas ce qu’il voulait faire de sa vie: ils craignaient que je fasse des bêtises. Nous avons convenu que le MMA s’arrêterait si mon comportement évoluait négativement ou si je me battais en dehors de la cage. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Ce sport m’a appris la discipline et la persévérance. Il faut surveiller son alimentation, s’entraîner tous les jours. L’ego y est aussi sérieusement mis à l’épreuve: à la salle de sport, il y a toujours quelqu’un qui est plus fort ou plus résistant que soi.

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La cage, un endroit où les hommes montrent leur côté animal?

Se battre est quelque chose de très humain, de très naturel. Mais nous ne le faisons plus, parce que la société le désapprouve. A juste titre, bien sûr, mais au fond, beaucoup de gens aspirent au contact physique, au stress ou même à la peur de la bagarre et à la sensation de libération qui s’ensuit. Je le dis à moitié en plaisantant, mais il se crée un lien particulier lorsque l’on se gifle. Vous vivez ensemble une expérience unique et vous vous respecterez mutuellement pour le reste de votre vie. Ceux qui commencent le MMA découvrent souvent qu’ils comblent un vide dont ils n’étaient pas conscients.

Dans les premières années du MMA, les gens opposaient des boxeurs à des lutteurs de sumo et des judokas à des kickboxeurs. Il s’agissait au départ d’une recherche du sport de combat ultime…

Entre-temps, cette recherche a abouti. Nous savons maintenant ce qui fonctionne: le style de combat le plus efficace est un mélange de boxe, de boxe thaï et de lutte, avec des influences du judo et du jiujitsu brésilien. La lutte libre en est la base: tous les champions sont passés par ce sport. Dans les sports de combat, les arts martiaux mixtes sont considérés comme le summum. Tous les boxeurs, boxeurs de muay-thaï ou karatékas veulent progresser vers le MMA.

Dans le milieu du MMA, on évite de parler de cage fighter (combattant en cage). Pourquoi?

Je ne suis pas vexé si on m’appelle comme ça mais “combattant en cage” a une connotation qui n’aide pas à présenter le MMA comme un sport professionnel. D’un autre côté, il s’agit et il s’agira toujours de deux hommes – ou deux femmes – qui se battent dans une cage. Il ne faut pas cacher qu’il s’agit d’un sport féroce et brutal. Je comprends également que ce n’est pas l’idée que tout le monde se fait d’une soirée plutôt relax.

Certains combats se terminent en carnage…

Lorsqu’on entre dans la cage, on est en mode survie. Lui ou moi. Celui qui y va à reculons a déjà perdu. Le moment crucial, ce sont les derniers coups, avant que les lumières ne s’éteignent. Je peux en parler d’après ma propre expérience: il est très difficile de déterminer quel coup de poing sera le coup de trop. Vous voulez battre un adversaire, mais quand l’achèverez-vous? L’arbitre joue un rôle crucial. Il doit dire quand c’est assez… sinon vous continuez.

Quel est le pire souvenir que vous ayez gardé d’un combat?

Un nez cassé et, de temps en temps, une coupure ou un œil au beurre noir. A l’entraînement, il m’arrive de me déchirer les ligaments, mais ce peut aussi être le lot d’un footballeur. Mes adversaires n’ont jamais été gravement blessés non plus, bien que je gagne généralement par K.-O. Les choses semblent souvent plus graves qu’elles ne le sont, même lorsque le sang coule. Mais je le dis sans détour: on ne connaît pas les effets à long terme des coups portés à la tête.

Vous n’êtes bien entendu pas un sauvage assoiffé de sang. Mais dans la cage, enclenchez-vous un processus de ce type-là?

Dans la vie de tous les jours, je suis un père tranquille et gentil, mais j’ai aussi un côté agressif. Sinon, je ne me retrouverais pas dans ce sport. Les combattants de MMA savent dans quoi ils s’engagent. L’adversaire entre dans la cage pour me faire du mal ; pour me protéger, je fais pareil. On me demande souvent si je ne me suis pas adouci en devenant père, mais c’est le contraire. Pour me motiver, je visualise mon adversaire en train d’essayer d’anéantir le futur de ma famille. D’une certaine manière, c’est vrai: je vis de ces combats. C’est maintenant ou jamais. Si cela se termine mal contre Paul Hughes le 14 octobre, cela me ramènera des années en arrière et je devrai peut-être réévaluer mon avenir. J’ai 30 ans. A 35 ans, un combattant de MMA n’a généralement plus rien à espérer. Il faut plus de temps pour récupérer et la rapidité décline. On ne se lance pas dans la compétition quand on n’est plus au sommet, parce que trop se battre peut mal finir. Mais si je réussis contre Hughes, on me promet un duel contre George Hardwick, le champion de ma division. Si je le bats aussi, il est pratiquement certain que l’on me signera à l’UFC, la plus grande ligue de MMA au monde.

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Un contrat avec l’UFC signifie-t-il gagner beaucoup d’argent?

C’est plutôt décevant. Les montants sont publics: douze mille dollars par combat et douze mille dollars supplémentaires en cas de victoire. Ces sommes sont toujours soumises à l’impôt et les sponsors internes sont interdits. A moins de devenir une superstar, il n’y a pas de quoi s’enrichir. On gagne plus dans certaines ligues en Russie ou en Pologne mais elles ne sont pas aussi prestigieuses que l’UFC. Si je peux dire que j’y ai combattu, cela m’ouvrira peut-être des portes pour devenir analyste plus tard ou être augmenté, en tant qu’entraîneur. Pour moi, ce serait de toute façon un pas en avant sur le plan financier. J’ai du mal à joindre les deux bouts avec ce que je gagne aujourd’hui grâce à mes combats. Heureusement, j’ai des sponsors privés et ma femme travaille.

Récemment, un article paru sur le site Internet de Sporza commençait par la question suivante: «Le MMA est-il un sport adapté aux jeunes?» La réponse est-elle forcément négative?

A mon avis, les enfants ne doivent en aucun cas être frappés à la tête. On peut toutefois leur apprendre la technique et ne passer aux choses plus brutales que lorsqu’ils sont en âge de le faire. Le problème, c’est que les jeunes sont attirés par le côté brutal du sport. Il faut donc à la fois les freiner et les pousser. Malheureusement, tout le monde n’est pas aussi prudent que nous. En Russie ou au Brésil, les jeunes commencent à pratiquer les arts martiaux mixtes dès l’âge de cinq ans. Il y a là de grands centres d’entraînement, où on y va à fond. Sur mille candidats, à 18 ans, seuls cinq n’auront pas abandonné.

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