DIABLE NOIR
A la découverte du buteur belgo-ghanéen du Essevee.
S alou Ibrahim : » Je suis originaire de Kumasi, la deuxième ville du Ghana après la capitale, Accra. Cadet d’une famille de 13 enfants, j’ai eu une jeunesse dorée. Aisés, mes parents ont toujours mis un point d’honneur à conférer une bonne éducation à leur progéniture. Aussi, quatre de mes frères, tous universitaires, habitent à New York à présent. Mon père aurait aimé que je marche sur leurs traces. Mais j’ai préféré suivre le bon exemple de mon aîné de 20 ans, Sofiane, qui a fait carrière comme footballeur, tant à l’échelon local qu’en équipe nationale, chez les Black Stars. Kumasi compte trois clubs de renom. Le plus connu est Asante Kotoko, multiple champion national et continental. Puis viennent, par ordre d’importance, le FC Cornerstones, dont est issu un certain Nii Lamptey Odartey, bien connu en Belgique, et King Faisal. C’est là que j’ai effectué mes débuts, en 1995, aux côtés de deux autres teenagers devenus très célèbres entre-temps : Samuel Kuffour, le défenseur de l’AS Rome et Mohammed Gargo, un autre défenseur qui évolua à l’Udinese avec deux autres noms aux consonances familières pour vous : Johan Walem et Régis Genaux.
Comme son appellation l’indique, King Faisal avait été créé en hommage à l’ancien roi d’Arabie Saoudite. Dans une région à dominante catholique, ce cercle ne comportait que des musulmans. Son président était comparable à un imam et se plaisait à entreprendre chaque année le fameux pèlerinage à La Mecque. Profondément croyant, j’escompte bien, moi aussi, l’imiter un jour. Car je veux tôt ou tard voir associé à mon nom le qualificatif d’ El Hadj ou Hadji que portent ceux qui ont sacrifié au rite. Comme le Sénégalais Diouf. Il tombe toutefois sous le sens que je devrai patienter jusqu’à la fin de ma carrière avant de réaliser cette entreprise. En attendant, je veille à respecter très scrupuleusement les préceptes du coran et le ramadan « .
Pivot
» Par rapport à mes compagnons d’âge, j’ai longtemps été très frêle. Au départ, j’ai été aligné le plus souvent dans l’entrejeu. Par la suite, après avoir gagné en taille et en puissance, je me suis retrouvé en défense. C’est dans cette attribution que j’ai quitté le pays, en 1997, afin de rallier les rangs de la Société Sportive Bouna en Côte d’Ivoire. C’était une entité des plus modestes par rapport aux monstres sacrés d’Abidjan que sont l’ASEC ou le Stade. Mais, pour la première fois de ma vie, je percevais un salaire, ce qui m’avait toujours été refusé auparavant. Dans ce nouvel environnement, ma trajectoire sportive allait subir un tout premier coup d’accélérateur. Le technicien français Robert Nouzaret, actif sur place à cette époque, convainquit l’entraîneur de m’utiliser comme pivot au lieu d’arrière central. Et, quoique je le dise moi-même, ce fut un coup dans le mille. D’emblée, j’ai éprouvé de très bonnes sensations dans ce rôle new look pour moi. Au point de susciter l’intérêt de Jean-Marc Guillou, dont l’Académie jouissait déjà d’une belle réputation sur place. Sans doute aurais-je convergé vers Sol Béni si je n’avais compté que 14 ans au lieu de 18. Du moins était-ce là le langage qu’il m’avait tenu. En lieu et place, Nouzaret m’avisa d’une possibilité de transfert en Europe. A Wandsbek 81, plus précisément, un club de ligue régionale situé non loin d’Hambourg. L’Europe, c’était ni plus ni moins la destination dont je rêvais. Et l’Allemagne, c’était le pays où Anthony Yeboah, le puncheur de notre équipe nationale, faisait fureur. En deux temps trois mouvements, ma décision était prise et j’ai donc rallié le Vieux Continent « .
Polyglotte
» Wandsbek 81, ainsi que la grande cité hanséatique, ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable, tant s’en faut. Même si j’ai enrichi mon bagage là-bas, aussi bien sur le terrain que dans la vie de tous les jours. Avant mon départ d’Afrique, le football avait toujours été affaire de technique pour moi. Aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais travaillé ma condition, ni à King Faisal ni à Bouna. D’un côté comme de l’autre, c’était le ballon qui faisait le boulot, davantage que les joueurs eux-mêmes. En Allemagne, j’ai découvert une autre réalité. Là-bas, avant de toucher le cuir, il s’agissait d’être au point physiquement. J’en ai bavé. Je me demandais si j’avais été engagé comme athlète ou comme footballeur (il rit). Moi qui n’avais jamais enduré la moindre blessure, je souffrais subitement de divers bobos : contractures, élongations. La transition entre la nonchalance africaine et la Pünktlichkeit allemande était pour le moins abrupte aussi. Dans la mesure où j’étais blessé, je ne comprenais pas pourquoi je devais me présenter aux soins à 10 h précises et non un quart d’heure ou vingt minutes plus tard par exemple. Au Ghana, dans les mêmes conditions, je restais sagement chez moi (il rit). Après quelques jours à peine, j’avais parfaitement compris qu’on ne badinait pas avec la discipline. Avec le recul, je me dis que cette leçon aura été bénéfique. Car, depuis lors, je suis toujours ponctuel aux rendez-vous. La rigueur allemande m’aura permis de maîtriser également, en peu de temps, la langue de Goethe. Si en Belgique, lorsqu’un étranger ne parle pas le français ou le néerlandais, l’anglais lui sert neuf fois sur dix de passe-partout, ce n’est pas le cas outre-Rhin. Là, si on ne fait pas l’effort de parler la langue nationale, personne ne s’échinera à vous venir en aide. Cette mauvaise volonté m’a fréquemment heurté. Mais l’obstination des gens a fait en sorte que j’ai cultivé le don des langues. Aujourd’hui, en effet, je maîtrise non seulement l’anglais mais aussi l’allemand, le néerlandais et le français « .
25.000 euros
» Même si l’entraîneur du HSV, Frank Pagelsdorf, se mêlait quelquefois à l’assistance lors de nos matches à domicile, je n’en avais pas moins le sentiment que la Bundesliga, voire un passage dans les rangs du FC Sankt-Pauli, le deuxième club d’Hambourg, était un objectif peu réaliste au commencement du nouveau millénaire. Dans ces conditions, j’ai préféré quitter l’Allemagne pour répondre à l’appel du FC Turnhout, qui évoluait alors en D2. Après des tests contre le Lierse et le Sporting Charleroi, l’entraîneur du club, Stéphane Demol, me déclara bon pour le service et je signai un contrat de quatre ans. Au lieu de poursuivre ma progression, ce fut malheureusement la chute sous la forme d’une mise en liquidation assortie d’une relégation en Promotion ! Incroyable mais vrai, Lille s’intéressa à mes services et je fus convié à un test par son coach, Claude Puel. L’adversaire du jour était le MSV Duisbourg et je marquai un but tout en délivrant une passe décisive. Le dossier n’allait jamais être finalisé, malheureusement. Sous prétexte qu’un club français était venu à la charge, les dirigeants de Turnhout, le vice-président Jean-Paul Robberechts en tête, réclamaient aussi bien le beurre que l’argent du beurre. Leurs homologues du LOSC, lassés de ces volte-face constantes, ont alors décidé de ne plus insister. J’étais encore sous contrat à ce moment et mon sort dépendait donc de la bonne volonté des responsables du club. En dépit de multiples supplications de ma part, la direction s’est montrée inflexible. Elle avait à c£ur que je contribue à la montée, avec Bruno Versavel. Finalement, nous sommes parvenus à nos fins. Après le tour final en 2004, j’ai eu droit à pas mal d’échos positifs. Plusieurs clubs de l’élite étaient soi-disant charmés. Comme le Lierse, Westerlo et Charleroi. Mais aucun n’était disposé à payer les 25.000 euros nécessaires en échange de ma liberté « .
Manu Ferrera
» A une journée de la fin de la période des transferts, le directeur technique de Courtrai, Manu Ferrera, a pris langue avec moi. Pour avoir rencontré son équipe avec le FC Turnhout, je savais qu’il me tenait en haute estime. Mais il n’avait jamais insisté pour m’embrigader, convaincu que je trouverais chaussure à mon pied plus haut dans la hiérarchie. Etonné d’apprendre qu’aucun club n’était allé au bout des tractations avec moi, il me proposa de venir le rejoindre au Kavé, convaincu qu’avec moi dans ses rangs à l’attaque, Courtrai pouvait espérer la montée au plus haut niveau. Mis à part moi-même, qui étais persuadé d’avoir les qualités requises, il était la seule personne qui avait manifestement foi en moi. Les 98 % restants n’y croyaient pas. Les Flandriens ont payé les 25.000 euros requis pour ma liberté et j’ai donc rallié le stade des Eperons d’Or. Ce fut une idée lumineuse car je me suis régalé là-bas d’un bout à l’autre de la saison. Vu mon arrivée tardive, j’ai repris le train en marche chez les Rouge et Blanc. Lors de ma venue, en effet, le club comptabilisait à peine un point sur 21. Après deux autres revers contre l’Antwerp et Zulte Waregem, elle était enfin sur les bons rails et n’a pas arrêté d’engranger les points. Au départ, j’ai officié seul en pointe, à l’image du sort qui m’est réservé depuis le début de cette saison par l’entraîneur Francky Dury. Après qu’ Aloys Nong, du FC Brussels, nous eut rejoints, le système en vigueur fut le 4-4-2. Personnellement, je n’avais pas de réelle préférence. J’ai continué à empiler des buts – 11 au total – ainsi qu’à délivrer des assists. Cela m’a valu de taper dans l’£il des recruteurs de Zulte Waregem et c’est ainsi que j’ai abouti chez les promus l’été passé « .
Soulier d’Ebène
» A présent que tout rigole pour moi, d’aucuns n’hésitent pas à voir en moi un Soulier d’Ebène en puissance. C’est grisant mais je n’oublie pas que j’ai dû convaincre, chemin faisant, pas mal de sceptiques. Car beaucoup étaient convaincus, en début de campagne, que j’allais être, ni plus ni moins, la cinquième roue de la charrette derrière Ibrahim Tankary, Tim Matthys, Frederik D’Hollander et Sylvio Breleur. En définitive, dès la fin de la période de préparation, après un tout bon match contre Valenciennes notamment, j’ai compris que je serais en réalité le premier choix du coach. Cette sensation s’est bien confirmée par la suite. Si je fais figure de révélation de la saison, ce sentiment peut aussi être étendu à Zulte Waregem en entier, qui réussit au-delà des espérances. Francky Dury a eu le bon goût de ne varier ni les hommes, ni le système. A domicile, comme en déplacement, le propos est et reste toujours de développer notre jeu, quelle que soit l’identité de l’adversaire. La plupart du temps, nous sommes d’ailleurs parvenus à nos fins. Ce n’est pas illogique, dans la mesure où tout le monde peut battre tout le monde dans ce championnat. Jamais, jusqu’à présent, nous n’avons été surclassés. Pas même par les trois grands : Anderlecht, le Club Bruges et le Standard. D’un point de vue personnel, les satisfactions auront été nombreuses. Je songe à mon hat-trick en Coupe de Belgique face à Westerlo, par exemple, ou encore au but que je marque contre ce même adversaire au retour, et qui est synonyme de qualification pour les demi-finales. Mais mon meilleur souvenir remonte au match que nous avons disputé sur nos terres face à Saint-Trond. Celui-là même qui fait beaucoup jaser aujourd’hui, vu que nous avions été battus 1-5. Pourtant, je n’ai jamais mieux joué que ce jour-là, inscrivant un but et multipliant les bonnes passes. Je maintiens que la chance nous a boudés, tout simplement « .
Angleterre
» Je me pince parfois, aujourd’hui, à l’idée que ma valeur marchande est de 2,5 millions d’euros, alors qu’elle était cent fois moindre il y a deux ans à peine. A ce tarif-là, le nombre d’indécis risque d’excéder les 98 % (il grimace). J’espère toutefois que le bon sens l’emportera et qu’en cas de très bonne offre, la direction de Zulte Waregem me donnera l’occasion de poursuivre mon chemin ailleurs. Pendant la trêve, le Club Bruges et Anderlecht sont venus aux nouvelles. C’est déjà bon signe (il rit). S’il le faut, je suis prêt à aller à pied chez eux. Un ténor en Belgique constituerait le tremplin idéal pour me propulser un jour, qui sait, en Angleterre. Je ne cache pas que la Premier League constitue mon rêve. En vue d’y aboutir, il faudra cependant que je gagne d’abord mes galons d’international ou que je devienne Belge « .
BRUNO GOVERS
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