Des fleurs et deux papillons blancs pour Marieke Vervoort
Double médaillée paralympique aux Jeux de Rio, Marieke Vervoort a mis un terme à sa carrière, contrainte et forcée, en raison de la maladie musculaire évolutive dont elle souffre et qui l’a poussée naguère à réintroduire son dossier d’euthanasie.
Les adieux sont poignants. « J’espère pouvoir encore profiter du peu de temps qu’il me reste à vivre. » Pour MariekeVervoort, une journée sans sourire est une journée perdue mais là, elle ne plaisante pas. Son langage corporel le crie, comme ce qui s’est passé cet après-midi dans sa chambre à l’hôpital de Diest.
Les dernières nouvelles n’étaient déjà pas bonnes. Elle n’allait pas bien, les crises de douleur provoquées par sa maladie musculaire évolutive devenaient intenables et elle avait réintroduit son dossier d’euthanasie. Le jour de notre visite n’est certainement pas un de ses meilleurs. « Je suis très fatiguée. Vidée. » Parfois, elle s’endort pendant notre entretien. Mais elle veut que nous restions, pour poursuivre l’interview.
À son chevet, Liliane, une amie, et Lynsey, une photographe américaine. Marieke s’excuse à plusieurs reprises de s’être assoupie et de parler « par à-coups ». À moitié éveillée, elle revient sans cesse sur l’année 2016, au terme de laquelle elle a mis un terme à sa carrière sportive, après avoir remporté une médaille d’argent et une de bronze aux Jeux paralympiques de Rio.
« J’aurais souhaité continuer mais ça devenait trop pénible, avec toutes ces nuits d’insomnie et mes hospitalisations. J’avais une technique : rassembler ma rage. Avant une compétition, je me demandais : pourquoi moi, pourquoi est-ce que ça m’arrive à moi ? Je sentais la colère monter en moi, je l’alimentais jusqu’à la ligne de départ. Mais pour moi, c’est tout ou rien : je veux concourir mais il me faut un objectif. Je ne fais pas du sport comme ça. J’ai donc dû arrêter, aussi douloureux que ce fût. »
Brave Mie
La somnolence la gagne à nouveau, puis, elle s’étrangle avec un morceau de chocolat. Comme elle ne parvient pas à récupérer son souffle immédiatement, nous l’aidons à se redresser et nous lui tapotons le dos. « Allez, Marieke, ma fille », dit Liliane. « Tousse un bon coup. » Comme elle n’y parvient pas, Lynsey appelle les infirmières. Quelques tapes dans le bas du dos la soulagent enfin de son problème respiratoire.
Pourtant, elle ne veut pas encore renoncer. « Je veux donner cette interview ! Je ne veux pas rester couchée au lit comme une perdante. Je veux la faire maintenant ! » Elle le veut et elle le fera, c’est tout Marieke, remarque Liliane. « Brave Mie ! »
Au poignet gauche, Marieke porte un bracelet de Skydive en salle, le sport qu’elle pratique depuis qu’elle a arrêté la compétition. « J’ai eu peur en arrêtant le sport de haut niveau », avoue-t-elle en émergeant des nimbes de sa fatigue. « Je me suis demandée ce qui allait arriver ? Heureusement, je n’ai pas connu de trou noir. Grâce à mes nombreux amis, aux demandes d’interviews qui affluent encore de partout et à mon nouveau hobby.
Le Skydive est vraiment le max pour moi. Je plane dans un tunnel d’air et je vois ma chaise roulante là, en bas… J’en ai encore la chair de poule. On dit que le ciel est la limite mais ce n’est pas vrai. On peut aller encore beaucoup plus loin si on veut. Mais il faut le faire ! Je viens de m’étouffer mais je suis toujours là. Parce que je veux poursuivre cet entretien, pour pouvoir faire quelque chose. Car je me sens tellement inutile. »
Lettres d’adieux
Elle se fâche à nouveau. « J’ai remis de l’ordre dans mes papiers pour qu’une euthanasie soit possible si c’est nécessaire… (elle pleure)… Parce que je souffre tant… J’ai si peur… Personne ne sait à quelle vitesse ça va aller… Quand je vois à quel point j’ai régressé en peu de temps… Je ne peux même plus tousser (elle renifle)… Je ne veux pas de ça… C’est chaque fois pire. J’ai 38 ans et je veux pouvoir mener une vie convenable, comme quelqu’un de mon âge ! »
Elle hurle. Zenn, son chien, saute sur son lit et la lèche. « Zenneke, mon ami ! La nuit passée, j’ai eu une crise d’épilepsie et c’est lui qui a averti les infirmières. Il a aboyé jusqu’à ce qu’elles arrivent. Il les sent venir, comme il sait quand je suis triste, amère, quand j’ai peur de ce qui va arriver… Tout est prêt mais… »
Il y a un an et demi, elle nous avait dit avoir rédigé des lettres personnelles d’adieux, qui ne devaient être distribuées qu’après son décès. Elle a tout réglé. « Je ne veux pas de cérémonie triste. J’ai dit à l’entrepreneur des pompes funèbres que ça devait être festif. Je ne veux surtout pas d’un cercueil noir avec une croix. Je n’ai jamais cru en Dieu. Je veux un cercueil rouge avec un wheeler et des roses blanches…. Je le vois déjà… ouvert… »
Elle s’interrompt, pour ne pas tout dévoiler. Le rouge est sa couleur préférée, insiste-t-elle. « Quand j’ai reçu le Trophée Fierté de Flandre, c’était au son de Rood, de Marco Borsato. J’en ai les larmes aux yeux quand j’entends cet air… »
Sommeil éternel
Elle veut aussi une boîte avec deux papillons blancs qui seront relâchés, symbolisant la libération de son âme. Pourtant, elle a toujours dit que, pour elle, il n’y avait rien après la mort, donc pas d’âme non plus. Mais peut-être sent-elle qu’une conscience immortelle réside dans son enveloppe charnelle. « Je ne sais pas », soupire-t-elle. « Il n’y a plus rien pour moi mais je n’y pense pas. Pour moi, la mort est un sommeil éternel. Je préfère voir ça de manière symbolique : je ne veux pas être enfermée dans un cercueil ni dans une urne. »
On va donc disperser ses cendres en mer, près de Lanzarote, son endroit d’entraînement préféré. « Mais comme mes parents acceptent mal qu’on disperse toutes mes cendres, j’ai demandé qu’on en conserve une petite partie dans une urne, qu’on déposera au pied de ma statue, près de la piste de Laakdal. Pour qu’ils aient un endroit où se recueillir avec le sentiment que je suis encore quelque part… »
On frappe à la porte. C’est Eddy. Il apporte un carton de coupes et de médailles et un maillot de Marieke. Elle doit choisir les pièces à exposer et celles qui doivent être réservées à son musée à Hofstade. Eddy raconte qu’il a rechargé la batterie de sa voiture et ajouté de l’antigel au liquide des essuie-glaces. Il a ramené ses vieilles lunettes, que l’opticien a réparées. Marieke les prend et fait comme si elle venait de recevoir un coup. Elle va commander une deuxième paire.
« J’ai pu faire des économies grâce aux sponsors qui finançaient mes vêtements et ma nourriture mais maintenant, je pense : merde, fuck you ! Je fais ce que je veux, je suis arrivée à la fin de ma vie et je dépense mon argent dans ce qui me fait plaisir. »
Monsieur Pouf
L’heure est venue de partir pour Liliane. Les deux femmes s’enlacent et Marieke l’embrasse dans le cou. Elle a également réservé des adieux intenses à Lynsey. « Qu’on m’embrasse sincèrement et je suis la femme la plus heureuse du monde. »
Le téléphone sonne. C’est Florian Van Acker, médaillé d’or en tennis de table aux Jeux paralympiques de Rio. « Ha, Florian, monsieur Pouf ! » Elle poursuit en dialecte. Elle promet de le rappeler à huit heures, après son feuilleton.
Elle enchaîne en complimentant les paralympiques. Ils sont tous de grands champions, précise-t-elle. « Il faut s’astreindre à ces séances impitoyables. Votre vie se résume à manger, dormir et vous entraîner, à étudier ou à travailler. En plus, vous devez apprendre à vous battre contre un corps qui ne veut pas faire ce que vous voulez. Si je peux donner un conseil à tout le monde, c’est : n’oubliez pas de savourer chaque instant. »
C’est l’heure de la série « Echte Verhalen : De Buurtpolitie ». Marieke la regarde quand elle le peut. « Mais je vais devoir appeler les infirmières car la douleur revient. » Nous remarquons qu’elle a des spasmes aux jambes. Elle soupire, découragée. « Je suis en soins palliatifs mais… tout est si effrayant. J’ai terriblement peur d’étouffer, tu viens de le voir… Je ne peux plus être à l’aise à la maison. Je peux appuyer sur le bouton d’urgence mais le temps que quelqu’un arrive, je serai déjà bleue… Je me sens plus en sécurité ici. »
Peur
Elle nous montre le nouveau cathéter qu’on a implanté sous sa clavicule. « Je veux l’utiliser pour m’administrer les antidouleurs mais c’est plus compliqué que prévu. Le produit va directement dans l’artère principale et c’est dangereux. Le Valium peut affaiblir ma respiration et me tuer. Si ça arrive, qui est responsable ? Je veux assumer ça moi-même. La seule chose qui compte désormais, c’est le confort mais même ça, c’est difficile à conserver. Un Valium toutes les quatre heures car on ne peut plus me faire de piqûre de morphine dans les fesses : ce ne sont plus que des cicatrices. Quelle vie est-ce encore ? »
Ses parents sont du même avis. « Je les admire profondément. Quand j’ai dit à ma mère que je ne demanderai pas d’euthanasie avant son anniversaire le 27 février, elle m’a répondu : Si la douleur s’accentue, n’attends pas, Marieke, je ne veux pas que tu souffres pour moi. Mes parents savent que, le moment venu, je n’aurai pas la force de demander l’euthanasie s’ils y assistent. C’est trop grave (elle pleure)…
Quand je me sens comme maintenant, j’aspire à l’euthanasie… Je ne sais pas d’où ça vient… Pour moi, on peut la pratiquer demain… Mais c’est dur… J’ai si peur…. Tout ça est très dur, physiquement, mentalement… Quand je vois tout ce que j’ai fait, notamment l’Ironman d’Hawaï et que je suis maintenant dans cette situation… Sans plus rien pouvoir faire… Je ne peux pas me contenir. Je suis fâchée et j’ai très peur, tout le monde peut le savoir. Je ne serais pas humaine si je n’avais pas peur. »
Les infirmières sont arrivées et nous demandent de quitter la chambre. Marieke insiste pour que nous puissions rentrer une fois les soins donnés. Dans le couloir, un collègue du quotidien Het Laatste Nieuws attend son tour. Quand nous retournons dans la chambre, après un quart d’heure, Marieke dit qu’elle est contente d’avoir tenu le coup et de pouvoir poursuivre l’interview. Elle s’excuse encore de s’assoupir si souvent. Ses adieux sont poignants. « Tout ce que j’espère, c’est de pouvoir encore profiter du peu de temps qu’il me reste. »
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