Crocodile Hurlu
L’arrière de l’Excelsior fêtera ses 31 ans à Melbourne Victory FC, dans la nouvelle Hyundai A-League australienne.
« Je voudrais aller en Australie, où vit mon meilleur ami Joe Spiteri, l’ex-joueur du Lierse « , nous expliquait Geoffrey Claeys l’année dernière. Il songeait à des vacances, pas à un séjour prolongé à l’autre bout du monde. Mais c’est chose faite. A la fin du mois, il s’envole vers Melbourne. Peut-être, qui sait, ne reviendra-t-il jamais… En principe, il va y vivre deux ans et, comme Andy Vlahos (Cercle Bruges) et Archie Thompson (Lierse), il se produira pour Melbourne Victory FC dans la nouvelle Hyundai A-League.
» Cette opportunité s’est présentée inopinément, via Andy « , raconte-t-il. » Le club recherchait un défenseur central expérimenté. J’ai envoyé les cassettes de mes matches avec Mouscron contre Anderlecht et le Club Bruges, la saison passée, et les gens ont été ravis. Le manager Gary Cole dit aussi que mon caractère ouvert convient bien au club.
Le championnat débute le 28 août. La préparation est longue. Avant, je vais prendre deux semaines de vacances là-bas. Il s’agit d’une sorte de repérage. Melbourne est une immense ville multiculturelle de trois millions d’habitants. Le football y est le sport le plus important. Tous les déplacements s’effectuent en avion, on part systématiquement deux jours avant le match. Nous devons aussi jouer en Nouvelle-Zélande. Le Telstra Dome, le stade de Melbourne Victory, est magnifique. Capacité : 52.000 personnes. Nous jouons le premier match à Sydney contre l’équipe de Pierre Littbarski, l’ancienne vedette du foot allemand. On a déjà demandé 25.000 billets pour cette joute ! La Hyundai A-League suscite énormément d’intérêt médiatique. Nous espérons terminer dans le top quatre « .
Pourquoi partez-vous ?
Geoffrey Claeys : Pas pour l’argent car je gagnerai moins qu’à Mouscron, mais je veux vraiment participer à ce championnat. Ce pays et la mentalité de ses habitants m’attirent. Relax, sans pression, alors qu’ici, j’ai l’impression qu’on veut me rendre fou. Où que je joue en Belgique, je serais accompagné de préjugés. û Il ne vaut plus rien, et ceci, et cela… Je n’ai pas envie de vivre ça plus longtemps. Je suis à la recherche d’une expérience intéressante et je suis vraiment heureux d’aller là où on ne me connaît pas. Je voudrais aussi tirer mon plan tout seul, être livré à moi-même et peut-être être confronté à mes limites afin d’être contraint à m’améliorer. J’ai sans conteste du travail. Là-bas, je devrai laver mon linge et le repasser, je ne pourrai pas téléphoner à ma mère. En Belgique, on me mâche la besogne et je ne me développe plus.
Etes-vous prêt ?
On ne le sait jamais mais je pense que oui. Je vais peut-être fondre en larmes comme un gosse mais j’ai le sentiment de devoir partir, simplement pour moi-même. J’ai négocié et conclu ce transfert personnellement. Je veux me sentir bien dans ma peau sans avoir besoin de quelqu’un d’autre, savourer ma solitude, me trouver. C’est mon objectif actuel.
En janvier, vous avez failli rejoindre De Graafschap.
J’ai passé un test mais il n’a pas été bon. C’était juste après la débâcle à Mouscron et j’ai toujours eu besoin d’un peu de temps pour digérer certaines choses. Or, en janvier, j’ai dû faire mon sac immédiatement et faire mes preuves à De Graafschap. J’étais à nouveau sous pression et ça n’a pas été. J’ai calé. Maintenant, je peux me préparer tranquillement à l’Australie. J’ai le temps de réaliser un certain travail intérieur.
Pourquoi la pression vous paralyse- t-elle ?
C’est une angoisse profondément ancrée en moi. Peut-être disparaîtra-t-elle sous d’autres cieux, si j’effectue ce travail intérieur auquel je tiens. Je sais ce que je fais quand je suis dans le 36e dessous : je sors. Ce n’est pas bon mais parfois, il m’est difficile de résister.
» Il est important que je sois seul »
Et dans une ville comme Melbourne, vous n’aurez pas de tentations ?
Non car pour la première fois depuis longtemps, j’ai un objectif ! J’ai un but dans la vie et c’est l’Australie : vivre là-bas, y construire quelque chose. Il est grand temps que je change et que je me défasse de certaines habitudes. Je dois devenir plus fort émotionnellement, moins dépendant. C’est pour cela qu’il est important que je sois seul. Je ne considère pas cette expérience comme un test car alors la pression reviendra. C’est simplement une aventure combinée au football. Je veux en profiter, me motiver à fond en football et recharger mes accus pour ce qui sera peut-être la dernière fois.
D’où vient cette angoisse ?
C’est un facteur qui m’a toujours joué des tours. C’est un peu dans mon caractère. Depuis l’enfance, je ne suis pas vraiment sûr de moi mais à cette époque, ça ne se manifestait pas encore car j’ai vécu une jeunesse insouciante. J’ai connu peu de revers, j’ai reçu ma chance au Cercle sans être mis sous pression. Cette crainte a surgi pour la première fois de manière nette à Feyenoord. 40 à 50.000 personnes. Pression, jambes lourdes. Puis sifflé à Anderlecht. On vous colle une certaine étiquette et à la longue, ça fait boule de neige. J’ai été hué à Mouscron, renvoyé dans le noyau B. Le sentiment de ne pas parvenir vraiment à m’imposer, y compris sur le plan relationnel, a fait croître ce manque d’assurance, au fil des années. Cela paralyse un être humain, bloque la respiration, les jambes. Je n’étais plus content de moi-même et je me demandais ce que je faisais encore ici. Ce sentiment s’estompe car toutes ces expériences m’ont appris à relativiser mais durant une période, il a été très fort.
Je m’endurcis, ce qui est nécessaire, mais au fond de moi, je me ronge. Quand j’ouvre ma grande gueule, c’est peut-être aussi pour me protéger contre tout ce qui est en moi. On peut réagir de deux manières à l’anxiété : agressivement, par exemple en s’entraînant dur, ou en se recroquevillant dans son coin et alors, c’est la dépression. Je comprends parfaitement ce que vit Tristan Peersman. Etre confronté à une crise de confiance est terrible. Il doit continuer à travailler et son assurance se regonflera. Le processus dure un mois chez certains, deux ou trois pour d’autres.
Quelle est l’importance d’un soutien psychologique ?
Enorme. Ces personnes vous dirigent dans un certain sens mais vous devez accomplir le chemin vous-même, évidemment. J’ai consulté le Professeur Paul Wylleman. Il m’a confectionné un programme mental étayé par des entretiens. La respiration est essentielle. Le processus s’enclenche quand on bloque sa respiration. J’effectue encore ces exercices de temps en temps mais trop peu, en fait.
Quels sont ces exercices respiratoires ?
Il faut d’abord se défaire des émotions et pensées négatives, liées dans mon cas à une certaine peur du public et à ma volonté de faire mes preuves vis-à-vis de l’entraîneur et de tout le monde en général. On peut les faire remonter à la surface en les décrivant ou en les énumérant puis en disant stop tout en visualisant un panneau d’arrêt et en expirant lentement. Ensuite, on inspire en faisant remonter pensées et émotions positives. Il est essentiel de s’autocontrôler. Je n’y parviens qu’en effectuant un énorme travail sur moi-même pour me sentir bien dans ma peau.
Le faites-vous ?
Cela arrive mais encore trop peu. Je m’occupe de trop de choses au lieu de moi-même. Je me demande ce que ressent un autre alors que parfois, je ne sais même pas ce que je sens moi-même. Celui qui est malheureux sonde l’âme des autres pour ne pas devoir plonger dans la sienne, sans doute.
» Je cale dès que je ressens une résistance »
Vous n’avez jamais rien pu mener à terme ?
Je suis toujours plein d’entrain au début mais je cale et je perds mon envie d’entreprendre dès que je ressens la moindre résistance.
C’est pour cela que vous allez de club en club et de fille en fille ?
Oui. Tant que je n’aurai pas trouvé la paix, que je ne pourrai pas me donner à 100 % à moi-même, je n’arriverai pas non plus à me livrer à fond à quelqu’un d’autre, je pense. Ni en football ni sur le plan relationnel. C’est… Je ne dirais pas que j’ai peur de me lier mais simplement d’être moi-même et de me donner à quelqu’un. On n’y parvient que quand on sait qui on est. Et comment le savoir ? Quand vos angoisses ont disparu, que vous avez surmonté vos propres problèmes. L’Australie constitue une étape dans ce processus. J’y vais pour me découvrir et permettre à l’homme de grandir. Une fois que je que je me sentirai bien dans ma peau, je saurai sans doute ce que je veux vraiment dans la vie et je pourrai enfin déployer mes ailes.
Jusqu’à présent, mes relations ont été autant de catastrophes. Heureusement, je ne me suis pas marié et je n’ai pas d’enfants car j’aurais fait du mal à beaucoup trop de gens et je déteste blesser les autres. Pour le moment, il y a deux femmes dans ma vie : ma mère et ma filleule, Camille.
Votre dernier conflit vous a opposé à Philippe Saint-Jean. Pourquoi ?
Contre le Brussels, alors que Murcie avait envoyé un scout pour moi, j’ai commis une erreur. Etant visionné, j’étais sous pression, ce qui s’est traduit par ce manque d’assurance. Après le match, l’entraîneur m’a démoli dans le vestiaire. Il a également tenu devant la presse des propos avec lesquels je ne suis absolument pas d’accord. Il a même dit que je l’avais fait exprès. Cela m’a rendu malade.
Vous avez 30 ans. Quel bilan dressez-vous de votre carrière jusqu’à présent ?
Je suis partiellement satisfait. J’ai joué à Feyenoord et à Anderlecht, j’ai été international et j’ai disputé la Ligue des Champions. Beaucoup de gens estiment que j’ai retiré trop peu de ma carrière mais j’ai fait ce que j’ai pu avec mon caractère. Ma carrière m’a procuré une assise financière. J’ai déjà eu beaucoup de chance dans la vie, je trouve. Maintenant encore. L’Australie ! Beaucoup de gens rêvent d’y passer leurs vacances et épargnent pour ça. Moi, je vais y vivre et y jouer football.
Votre père est conseiller en placements. Votre fortune est-elle faite ?
Disons plutôt que plus tard, je devrai sans doute encore travailler à temps partiel mais sans pression. Cela me confère un sentiment positif : j’aurai la liberté de faire ce que je veux. J’ai bien gagné ma vie, sans claquer l’argent par la fenêtre. Je n’ai jamais joué. Si j’ai dépensé un peu d’argent, c’est en allant au restaurant et en prenant une bière.
Joe Spiteri est-il le seul véritable ami que vous vous soyez fait en douze ans de foot pro ?
Oui. Il est le seul dont je sais avec certitude que si demain, il lui arrive quelque chose et qu’il est en danger de mort, je fais ma valise et je pars en Australie. Ronald Koeman est aussi un bon ami mais je n’éprouve pas le besoin de lui téléphoner aussi souvent qu’à Joe, pour savoir comment il va. Le courant est passé immédiatement avec Koeman. Nous allions régulièrement manger ou boire un verre ensemble et je passais la nuit chez lui. Je ne l’ai plus vu depuis Ajax – Bayern. Il m’avait offert des billets et après le match, nous avons bu un verre dans le foyer des joueurs.
Ce sont deux étrangers.
Oui. On ne peut jamais le dire à l’avance mais une fois que j’aurai quitté Mouscron, il se peut très bien que je reste en contact avec Koen De Vleeschauwer, peut-être aussi avec Francky Vandendriessche mais ce n’est pas un fana du téléphone !
» Leekens n’a jamais hésité à me secouer »
Que retenez-vous des entraîneurs que vous avez connus ? Houwaart, Tipuric, Haan, Beenhakker, Dockx et Vercauteren, Hulshoff, Meeuws, Broos, Staelens, Leekens, Saint-Jean ?
Je ne peux pas dire grand-chose de Houwaart, que je n’ai connu que six mois. Il avait le coup d’£il, avait l’art de faire les bons remplacements mais on ne devait pas s’entraîner beaucoup. J’éprouve beaucoup de respect pour Tipuric. C’est un sage, il ne porte pas de masque, il est honnête et correct avec tout le monde. Haan s’appuyait un peu sur sa carrière de joueur. Humainement, j’ai souvent eu des difficultés avec lui. Beenhakker ? De l’humour, de la vista, un type super, que je respecte beaucoup, que j’écoute. Broos est un homme bien et un excellent entraîneur. Je lui voue beaucoup de respect aussi. Vercauteren est un professionnel. Hulshoff ? Un homme fantastique. Point. Wim De Coninck, qui était alors son adjoint à Alost, est une des rares personnes à très bien me connaître et je peux toujours m’adresser à lui. Meeuws ? On a beaucoup rit avec lui et il connaît le football. J’admire beaucoup Georges Leekens. Il est comme un second père pour moi. Un allrounder qui éveille quelque chose en moi. Humainement, Saint-Jean est OK mais je trouve qu’il se laisse trop accaparer par le football. Les vidéos, ses entraînements : il s’attachait trop à l’aspect tactique, schématique, alors qu’un joueur doit avoir la tête libre en montant sur le terrain. Et Staelens, que dois-je en dire ? J’ai commis une erreur en déclarant à la presse qu’il n’était pas maître du groupe. Cela m’a coûté la tête. Par la suite, par respect pour ce qu’il a accompli comme joueur, je lui ai présenté mes excuses.
Vous flippez de temps en temps ?
Parfois, je ne me contrôle pas et je dis certaines choses sans réfléchir aux conséquences. Je peux être hargneux. Ce sont les symptômes de mon manque de sérénité intérieure mais cela ne peut plus se traduire par des déclarations fautives. Je dois me libérer en étant agressif sur le terrain, voire en tapant dans un punching-ball. Je ne peux pas blesser les autres. Quand je n’y arrive pas, je deviens anxieux, très nerveux et ça peut sortir sous forme d’agressivité ou de bavardages, voire dans une combinaison des deux.
Que vous apprend cette introspection ?
Que j’ai déjà commis pas mal d’erreurs dans ma vie et que… Je ne dirai pas que je n’en ai tiré aucune leçon mais… Ma carrière footballistique est une succession de hauts et de bas. Chaque fois que j’étais dans le trou, je me suis battu pour revenir sans parvenir à poursuivre sur cette lancée, sauf la saison passée, sous Georges, parce qu’il m’a réveillé et qu’il n’a pas hésité à me secouer.
Christian Vandenabeele
» Je vais moins gagner en Australie qu’à Mouscron mais je dois DEVENIR PLUS SOLIDE émotionnellement »
» L’Australie et sa mentalité m’attirent. Relax. Sans pression. JE DOIS Y ALLER »
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