Comment la vulnérabilité a conduit à la grandeur : les leçons mentales de la star du ski Mikaela Shiffrin

En s’imposant à Kronplatz, en Italie, Mikaela Shiffrin a dépassé ce mardi le record de victoires en manches de Coupe du monde de ski de sa compatriote américaine Lindsey Vonn. Mais  l’héritage de la skieuse originaire du Colorado va bien au-delà de ces 83 succès et des 86 qu’elle visera en s’attaquant au record toutes catégories d’Ingmar Stenmark.

83 victoires sur 238 courses de Coupe du monde, soit un pourcentage de victoires de 35 %.

Ce record établi entre le 20 décembre 2012 et le 24 janvier 2023, soit une bonne dizaine d’années, ou – plus précisément – en 3688 jours. Et qui plus est, Mikaela Shiffrin n’est jamais âgé que de 27 ans.

L’Américaine est bonne pour 51 victoires dans le slalom, notamment, complétées par des triomphes dans les cinq autres disciplines du ski (le slalom géant, Super G, descente, combiné et parallèle).

Autant de chiffres et de records au cours des 56 ans d’existence de la Coupe du monde de ski. Et nous n’avons même pas mentionné les deux titres olympiques et les six titres mondiaux de Mikaela Shiffrin (dont une série unique de quatre sur le slalom).

Ces chiffres pourraient devenir encore plus impressionnants dans les jours, les semaines et les années à venir. La native du Colorado est désormais la seule détentrice du record de l’épreuve féminine suite à sa victoire à Kronplatz. Elle va maintenant essayer d’atteindre la barre des 86 et/ou 87 victoires et pourra ainsi égaler ou encore améliorer le record masculin, toujours détenu par le légendaire Ingmar Stenmark. Le Suédois avait collectionné ses bouquets en Coupe du monde entre 1974 et 1989.

Selon Vonn et Stenmark, Mikaela Shiffrin atteindra même facilement la barre des 100 victoires en Coupe du monde. Les deux légendes affirment que cette dernière rangera les skis dans X années en étant devenue la plus grande skieuse de tous les temps, certainement au moins dans la catégorie féminine.

Les clés du succès

83 victoires est déjà un score phénoménal dans un sport qui comporte autant de variables incontrôlables, qu’il s’agisse des conditions météorologiques, du parcours ou de l’ordre de départ.

Il a été réalisé grâce à une technique de ski sublime que Shiffrin a apprise dès son adolescence sur les pistes glacées de la Burke Mountain Academy. Cette dernière est située dans l’État américain du Vermont, à l’est du pays, alors qu’elle est plutôt originaire de l’ouest.

Shiffrin a pu se hisser au sommet de la hiérarchie grâce à une éthique de travail inextinguible et une attention portée aux moindres détails, tant sur le plan physique que technique. La forte concurrence de sa grande rivale Petra Vlhová lui a aussi donné plus d’appétit.

Elle a largement été épargnée par les blessures depuis le début de sa carrière, elle, en partie parce qu’elle se concentre principalement sur les disciplines les moins dangereuses du ski alpin, comme le slalom géant.

Elle bénéficie aussi de l’important soutien de son compagnon, lui aussi skieur de très haut niveau, le Norvégien Aleksander Aamodt Kilde. Dès son plus jeune âge, ses parents se sont montrés totalement investis dans sa réussite. Sa mère Eileen est son coach de longue date, sa partenaire de voyage, sa confidente et sa critique la plus acerbe. Quant à son père Jeff, il est le manager qui s’occupe de l’aspect marketing et financier de sa carrière.

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Vulnérabilité

Pourtant, on se souviendra aussi, et surtout, de Mikaela Shiffrin comme de l’athlète qui a ouvertement exposé sa vulnérabilité. Elle n’a pas hésité à en parler, alors qu’elle luttait pour se sortir de ses problèmes sur le plan mental.

En février 2020, elle a été largement affectée par le décès inopiné de son père, à 65 ans, des conséquences d’une chute mortelle dans son Colorado natal. Sans doute la blessure la plus profonde de la skieuse.

« C’était comme s’ils avaient planté un couteau dans mon cœur. Je préférais m’enfermer dans ma chambre et ne jamais en sortir. J’ai pensé : cette douleur, tu ne peux pas la supporter à long terme. L’idée qu’il ne serait plus au bord des pistes à regarder mes courses était terrible à accepter », a expliqué l’athlète américaine quelques mois après le drame.

Cet épisode fut sans doute un tournant dans sa vien mais aussi sa carrière. Par amour de son sport et parce que son père l’aurait sans doute voulu ainsi, elle a poursuivi sa carrière malgré tout. Et même si la crise du coronavirus était un obstacle de plus qui s’était ajouté entre temps.

Il y a eu de nouvelles victoire, mais aussi de cruelles déceptions. Comment ne pas oublier l’épisode des derniers Jeux d’hiver à Pékin ? En février 2022, cette olympiade s’annonçait comme le point d’orgue de sa jeune carrière. A la place, elle n’a connu que des revers: 9e dans le Super G, 19e dans la descente et trois chutes dans le slalom, slalom géant et slalom combiné. Une triste loi des séries qui avait fini par figer le visage d’une personne habituellement souriante.

Sa préparation perturbée par une blessure au dos, une infection à la covid, ainsi que des problèmes de concentration ont été les facteurs de cet échec retentissant. La mort de son père hantait encore sans doute son esprit, consciemment et inconsciemment.

Dans les 11 mois qui ont suivi, Shiffrin a remonté la pente dans un sport où il faut avant tout la descendre le plus rapidement possible. Elle s’est offert quatre médailles en Coupe du monde, dont le titre mondial sur le combiné. Elle a aussi remporté le classement final de la Coupe du monde. Cette saison, elle a frappé un encore plus grand coup en s’offrant pas moins de huit victoires en Coupe du monde. Dont six lors de ses sept dernières courses.

Plus sage et plus équilibrée que jamais, grâce aux leçons mentales apprises par le « Mozart du ski de compétition » depuis la mort de son père. Et aussi depuis les Jeux d’hiver de Pékin.

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Le titre de sa nouvelle série YouTube, qui donne un aperçu de sa carrière, de sa vie et de ses pensées, n’est sans doute pas une coïncidence : « Moving Right Along ». Que l’on peut traduire par « Continuez, continuez à regarder vers l’avant. » Même après la déroute de Pékin.

Ne pas rester dans son coin

Si elle a essayé de disséquer ce qui s’était mal passé lors de ces Jeux au cours de nombreuses interviews, Mikaela Shiffrin n’a jamais trouvé de réponse significative et claire. Pourtant, sans oublier ces questions, elle a préféré laisser cette désillusion derrière elle et a continué à s’entraîner dur pendant l’été, renforçant ainsi sa devise « Moving Right Along ».

Un crédo que l’Américaine utilise également dans les bons moments, comme lors de sa série de victoires de ces dernières semaines. Car, dit-elle, « s’attarder trop longtemps sur quelque chose n’est ni bon, ni sain, ni productif. »

La skieuse sait aussi, et elle en a fait l’expérience, que les événements peuvent rapidement tourner en ski et que chaque nouvelle victoire la rapproche inévitablement de sa prochaine défaite.

Si elle reste sobre dans ses propos, elle est toujours capable de s’émerveiller. Même après 82 victoires en Coupe du monde, elle semble toujours aussi heureuse que lors de son premier succès en 2012, alors qu’elle n’était qu’une lycéenne de 17 ans.

« Je ne réalise toujours pas que tout ce que j’ai accompli est vrai. Je n’ai jamais rêvé de ça, de ce record. Je ne m’attend jamais non plus à gagner une course. Parce que cet émerveillement, à chaque nouvelle victoire, est beaucoup plus amusant. Il me donne la motivation nécessaire pour continuer à travailler. Chaque matin, je me lève encore en pensant : que dois-je faire aujourd’hui pour devenir la meilleure ? Parce que je ne penserai jamais que je le suis », a-t-elle déclaré dans les colonnes du New York Times.

Concentrée à nouveau

L’état d’esprit de Mikaela Shiffrin n’est donc pas axé uniquement sur la victoire sur soi, sur le résultat. Pas plus qu’il ne l’est sur les Jeux olympiques d’hiver, ou sur sa série de victoires en cours. Elle se motive au travers du processus qui va la mener à l’objectif qu’elle s’est fixé, à savoir skier aussi vite et bien que possible, sans obsession de la perfection. « Si je fais une erreur ou si je tombe, je n’en suis plus affligé », explique-t-elle.

C’est ainsi qu’elle a résolu ses problèmes de mémoire et a pu vaincre ses troubles de la concentration. « Oui, je pense encore à mon père tous les jours, mais maintenant je peux me concentrer pleinement pour une compétition. Cela a pris beaucoup de temps, et c’est une grande amélioration par rapport à la saison dernière », raconte-t-elle.

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Mikael Shiffrin, qui, même avant la mort de son père, était parfois gagnée par le stress, est ainsi devenue plus stable que jamais sur le plan mental. Elle affiche toujours une passion pour le ski qui ne s’éteindra pas rapidement, même après avoir remporté 82 victoires en Coupe du monde.

« J’ai toujours le sentiment que je peux m’améliorer, que je n’ai pas encore exploité tout mon potentiel. Et c’est un défi très motivant », a-t-elle affirmé à USA Today, avant le coup d’envoi de la saison.

La motivation ultime étant de penser à son père au moment où résonne l’hymne national américain. Jeff lui avait demandé d’apprendre les paroles par coeur avant même qu’elle remporte sa première course de Coupe du monde, à 17 ans.

A 83 reprises, et huit fois lors de championnats majeurs, Mikaela Shiffrin a chanté « The Star-Spangled Banner », au nom de son père. Dimanche dernier, les larmes étaient plus présentes au bord de ses yeux bleus.

Nul doute que ce ne sera pas la dernière fois qu’elle devra le faire, sur le chemin d’un record qui restera en sa possession pendant sans doute longtemps, très longtemps.

Mikaela Shiffrin n’oublie sans doute pas son père au moment de chanter l’humne américain. (Photo by Christophe Pallot/Agence Zoom/Getty Images) © Belga
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